Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

Moeurs Le piratage musical : une plaie que l'inapplication de la loi laisse béante (photo)

Au Liban, chaque année, trois millions de cassettes-audio sont imprimées et/ou vendues d’une manière illégale, contre 100.000 cassettes et 8.000 C.D licites. Les chiffres parlent d’eux-mêmes... Le piratage est roi sur un marché qui rapporte des millions de billets verts. Quelles sont les causes de ces violations collectives? Comment y remédier, comment est-ce possible? Comme on peut l’imaginer, s’il est facile d’aborder en tant que client un tel... parallèle, il est par contre quasi impossible de tirer les vers du nez de ceux qui l’animent...
En revanche, ceux qui se trouvent de l’autre côté de la barrière s’expriment – et dénoncent – volontiers.
Ainsi, Samir Tabet, qui défend les intérêts de la SACEM (association qui, de son côté, défend les intérêts des auteurs, compositeurs et écrivains) dit: «Il y a une négligence de la part du Législatif qui tarde à établir une loi nouvelle».
«Pourquoi tant de piratage? La raison est toute simple, presque aussi vieille que le monde: payer des impôts a toujours été et restera quelque chose que l’homme voudra éviter à tout prix. Les droits d’auteur, de compositeur étant une valeur plutôt morale, les pirates ne s’encombrent pas de scrupules,» estime M. Waddah Chaer, conseiller du ministre de l’Economie.
Le service de protection du consommateur (qui relève de ce ministère) est en principe responsable de la surveillance du bon fonctionnement de la loi n° 20/69 qui stipule que, «tout exploitant de musique dans un théâtre, music-hall, cinéma, night-club, café, bar, restaurant, hôtel, casino, radio, télévision, magasin et service de transport, etc. doit demander une autorisation préalable à la SACEM (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) qui gère les droits d’auteur.» «Notre rôle est d’intervenir sur le terrain pour mettre la main sur la marchandise faussée», poursuit M. Chaer. «Il y a un mois, une délégation du syndicat des artistes est venue nous voir pour nous presser d’agir. Nous leur avons demandé de dresser une liste complète des faussaires. Apparemment, il y a entre eux-mêmes un contentieux qui n’est pas encore réglé... Ils n’ont plus donné signe de vie...» Et d’ajouter: «Les pirates ne laissent aucun détail au hasard. Ils copient les cassettes à la perfection. Il est vraiment difficile, sinon impossible, de distinguer le vrai du faux. La meilleure façon de procéder serait d’aller à la source, et de voir quelles sont les sociétés de production qui paient les droits de reproduction», conclut-il.
Avocat-conseil de la SACEM au Liban, Samir Tabet a été désigné en 1995 par le siège de Paris pour succéder à son père, François Tabet qui occupait ces fonctions depuis 1953.
M. Tabet s’anime quand on lui parle de sa bête noire: le piratage, la violation des droits d’auteur. Jusqu’à présent, il a mené bataille dans une ombre relative. Mais trop, c’est trop. Face à la «fawda» ambiante, aux violations aberrantes, il ne veut plus se taire.
«Il y a une négligence de la part du Législatif qui retarde à établir une nouvelle loi. Cette loi dort, dort du sommeil des (in) justes dans un des tiroirs de l’Assemblée depuis deux ans. Il faut rectifier certains actes, en consacrant le droit d’adaptation audiovisuelle et le contrat de cession ou d’édition d’œuvres musicales. Il faut également que le droit de reproduction pour l’auteur prévoit une part proportionnelle des recettes provenant de la vente ou de l’exploitation.»
De plus, c’est uniquement sur licence délivrée par l’Etat que des entreprises pourront se livrer aux reproductions. Ceci en base d’attestations établies par les ayants droit de l’œuvre ainsi que par la Sûreté générale. Il faut en outre que la police veille à la stricte application des dispositions de la loi. D’autre part, les sanctions doivent être aggravées. En France par exemple, la peine encourue pour contrefaçon est de deux ans de prison et d’un million de FF (à peu près 200.000 $).
La SACEM a cinq percepteurs sur le terrain, un dans chaque mohafazat.
Ils recueillent une proportion variable à la recette brute sur toute œuvre interprétée ou jouée par des tiers. Donc même les chaînes de télé et les stations radio doivent payer une proportion des rentrées de publicité ou des aides que l’Etat leur fournit s’ils n’ont pas de ressources reconnues. En contrepartie, ils assument le droit d’exploitation de tout le répertoire musical mondial dont la SACEM est responsable.
«Au cas où un exploitant de musique (propriétaire d’établissement, interprète, ou organisateur de spectacles) refuserait de se conformer à la loi et à défaut de tribunaux, nous souhaiterions l’intervention des forces de l’ordre pour l’obliger à se conformer à la loi, sauvegardant ainsi les droits des auteurs et maintenant une justice. Car il ne serait pas équitable de faire payer des droits d’auteur aux gens honnêtes alors que leurs confrères s’y dérobent», poursuit M. Tabet.
On l’aura compris, la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique a pour objet la protection des droits de l’auteur auprès de tout exploitant public.

La SACEM

Cette ligue a été instituée en mars 1847 par Alexandre Bourget et Victor Parizot. Auteurs-compositeurs bien connus, ils avaient refusé de payer leur consommation dans un café-concert, déclarant qu’ils ne devaient rien puisque le propriétaire des lieux utilisait leurs œuvres à son bénéfice, faisant fi de leurs droits. Une action judiciaire devait s’en suivre et une loi a été promulguée.
«Les textes de loi ne sont utiles que si on les applique», souligne M. Tabet. Or aucun créateur ne pourrait faire valoir ses droits partout où ses œuvres sont utilisées, en raison du prodigieux développement des moyens de diffusion, de reproduction et de la pluralité des ayants droit.
Pour éviter ces difficultés, les auteurs ont créé un organe collectif de gestion, la SACEM, au sein duquel ils se sont regroupés, simplifiant ainsi leurs relations avec ceux qui diffusent leurs œuvres en public.
La SACEM, dont le siège social est à Paris, conclut des accords de réciprocité avec plus de 100 pays dans le monde. Elle couvre aussi la quasi totalité de la production musicale et perçoit les droits revenant à ses membres dans tous ces pays.
La perception se fait de la manière suivante: à chaque fois qu’il y a une représentation ou reproduction des œuvres qu’elle protège, la SACEM délivre, sous forme de contrat, les autorisations d’exécution de la musique dans les différents lieux publics exploitant la musique, et des autorisations de reproduction de la musique sur disques, bandes... Elle reçoit en contrepartie des redevances d’après les règles générales déterminées en fonction du service rendu par la musique. Les sommes perçues sont centralisées à Paris et réparties ensuite entre les ayants droit.
Tout auteur ou compositeur membre est tenu de déclarer ses œuvres à un service appelé «documentation générale». Il remplit à cet effet un bulletin qui représente un véritable acte de naissance de l’œuvre.

La loi libanaise

C’est en 1924 qu’au Liban les droits de propriété littéraire et artistique ont été reconnus et protégés par des dispositions légales. Dans son deuxième alinéa, ce texte parle du droit exécutif de l’auteur concernant son œuvre. Dans son 3e paragraphe, il précise que l’œuvre doit être déposée auprès du ministère de l’Economie. Enfin, le 4e article évoque les sanctions qu’encourt tout contrevenant. A ce propos, le Code pénal est venu en 1943 aggraver les peines imposées en 1924 sans toucher toutefois aux dispositions relatives au fond du droit.
«Cependant, selon M. Tabet, le ministère de l’Intérieur a fait paraître en 1946 une tarification contraire à toute logique et à la Convention de Berne elle-même. Cette loi, ajoute-t-il, a privé l’auteur et compositeur de ses droits de propriété. Les œuvres étaient vendues à 25 ou 30 L.L. pièce aux producteurs et à la radio qui pouvaient dès lors en faire usage à satiété».
Les démarches entreprises par les délégués de la SACEM au Liban en 1957, 60 et 61 pour l’abolition de la loi de 1946 n’ont pas abouti. En 1962, une commission présidée par le compositeur français bien connu M. Georges Auric est venue au Liban à la demande de François Tabet, alors délégué de la SACEM pour prendre contact avec les responsables et faire rendre aux auteurs leurs droits légitimes, par une loi locale.
En 1969 a paru la loi n° 20/69 (23/5/69) qui est venue modifier l’article 145 du décret 2385 de manière à reconnaître à l’auteur uniquement ou à ses héritiers après lui, le droit d’autoriser ou d’interdire la reproduction partielle ou totale, la traduction, la représentation et l’exécution publique de son œuvre musicale ou artistique.

Historique

M. Tabet passe ensuite en revue l’historique de la SACEM. Avant 1975, des accords avaient été signés avec les syndicats des hôteliers et des propriétaires de ciné.
Le syndicat des lieux de loisirs avait pour sa part refusé de signer un protocole.
Cependant plusieurs propriétaires d’établissement payaient régulièrement les droits d’auteurs.
La perception avait atteint 200.000 L.L. en 1974. Centralisée à Paris, elle devait revenir les années suivantes sous forme de Francs, allant de 600.000 à 800.000 F.F. par an.
Cela sans compter les subventions et allocations vieillesse accordées à certains sociétaires.
En 1971, la SACEM a signé un protocole d’accord avec les producteurs libanais les engageant à payer les droits de reproduction mécanique sur la base de 8% du prix de vente de l’enregistrement. Ceci a encouragé des firmes étrangères à venir enregistrer au Liban les disques et cassettes. Cinq fabriques de disques ont pu s’installer ici pour presser plus d’un demi-million de disques chaque année pour le marché local et l’exportation aux pays arabes. La reproduction mécanique étant désormais protégée par la loi, les infractions ont pu faire l’objet de poursuites judiciaires ce qui a réduit de plus de 70% le piratage des cassettes.
De 1975 à 1985, les perceptions ont sensiblement diminué du fait de la guerre. La recette n’ayant atteint que 138.000 L.L. en 1981, les Libanais n’ont reçu que 217.080 F.F. «En mars 1981, nous avons sollicité l’aide de Béchir Gémayel pour l’application de la loi dans le but de sauvegarder les droits des auteurs et maintenir une justice sociale», indique M. Tabet qui ajoute: «Cheikh Béchir a immédiatement réagi: la station de Radio-Liban libre a commencé à payer les droits d’auteur, des mesures répressives ont été prises à l’égard des propriétaires d’établissement qui refusaient de se conformer à la loi, les organisateurs de spectacles ou interprètes venaient à la SACEM demander une autorisation préalable avant toute représentation. Le syndicat des restaurants, bars et cabarets a fini par signer le protocole d’accord avec la SACEM, les stations de radios privées, à leur tour, ont pour la plupart signé des contrats pour le paiement des droits d’auteur. Télé-Liban a commencé à payer les droits... C’est ainsi que le niveau de la perception a sensiblement augmenté, rehaussant par le fait même la répartition des droits aux sociétaires libanais qui a atteint en 1984, 2.228.000,00 F.F.
«Depuis 1985, se plaint encore M. Tabet, la perception est presque nulle: seules Future, LBCI, Radio-Liban, la Télé-Liban et quelques honnêtes gens paient les droits d’auteur.
Les propriétaires des radios privées ne respectent plus leurs engagements. Les propriétaires des établissements publics ainsi que les interprètes exploitent la musique en faisant fi des droits d’auteur. Législation et pouvoir sont de nouveau absents».
Jusqu’à nouvel ordre (parlementaire?).

Maya GHANDOUR
Au Liban, chaque année, trois millions de cassettes-audio sont imprimées et/ou vendues d’une manière illégale, contre 100.000 cassettes et 8.000 C.D licites. Les chiffres parlent d’eux-mêmes... Le piratage est roi sur un marché qui rapporte des millions de billets verts. Quelles sont les causes de ces violations collectives? Comment y remédier, comment est-ce possible? Comme...