Les multiples vies du Dr Hamdan

Un personnage haut en couleur, c'est le moins qu'on puisse dire du Dr Abdel-Latif Hamdan. Il s'est d'abord fait connaître comme le médecin des chanteurs. Chirurgien ORL, il a en effet fondé le Voice Center, un lieu à la pointe de la technologie où ceux qui se sont cassé la voix viennent la réparer. Et où les stars se font accorder les cordes vocales. Normalement, un endroit pareil aurait dû rester classé hautement secret. Mais voilà. Depuis qu'il est devenu conseiller vocal des jeunes participants à l'émission télévisée Superstar, il est constamment accosté dans la rue par des prétendants au statut de star du monde arabe ou autre titre mirifique. Cela le fait sourire, au Dr Hamdan.
Cet homme, entré en médecine comme l'on pousserait la porte d'un café, insatiable amoureux de la vie, passionné par son métier qu'il a embrassé par vocation, s'est tourné vers la musique, « par choix », dit-il. «Pour décompresser du stress des hôpitaux». C'est en effet sur le tard, à 27 ans quand même, qu'il a ouvert son premier Méthode rose. Le jeune «medical resident» de l'AUH s'échappait trois heures par jour, même les dimanches, vers un appartement de la rue Hamra où son professeur, Astrid Sarkissian, lui inculquait les rudiments du clavier. Il refilait son beeper à un collègue et néanmoins ami, Ghassan Naufal, qui le remplaçait durant ses escapades musicales. «Je n'aurais, pour rien au monde, raté ces trois heures quotidiennes», aussi immuables que nécessaires à son équilibre. «Cet apprentissage, qui a duré trois ans, à Beyrouth puis aux States lorsque je suis allé suivre ma spécialisation médicale, était ma clé pour accéder à l'harmonie et au bien-être.»
Jusque-là, les instruments qu'il utilisait avaient davantage l'allure d'un bistouri. Mais le doigté du chirurgien s'est vite adapté aux touches blanches et noires.
Féru de mathématiques, il affirme que la musique est très proche de cette science qui s'appuie elle aussi sur les formules et les accords. C'est ainsi qu'il dit être passé tout naturellement à la composition. De nature romantique, ce féru de musique classique, de Chopin et de Tchaïkovski, avait des harmonies qui lui trottaient constamment dans la tête. De là à les transcrire sur papier il n'y avait qu'un pas. Son premier CD, Remorse, paraît ainsi en 2005, puis ont suivi Always near et Empty scenes, qu'il vient de signer lors d'un lancement très glamour au Buddha Bar.
La composition? «C'est fabuleux. Car au moment où l'on compose sa musique, que l'on parvient à y mettre tout ce qu'on aime, on se prendrait presque pour un génie. »
Le désir de devenir médecin est venu à l'adolescence de Abdel-Latif Hamdan, de son plaisir de «soigner les hommes» et de son sens de l'observation: «Pour moi, un médecin, c'est quelqu'un de très cultivé et d'honorable. C'est quelqu'un qui a beaucoup étudié et qui en a plein la tête », argumente-t-il. La musique, il l'a adoptée pour faire travailler l'hémisphère droit de son cerveau, celui qui est censé être le côté de l'imagination, des émotions, de la sensibilité artistique, par opposition à l'hémisphère gauche du cerveau qui est supposé être le siège de la logique froide, du verbal, de la raison. Deux personnalités dans une tête en quelque sorte, tel le yin et le yang, le héros et le méchant. Cette dualité, on la retrouve étonnamment dans la vie du Dr Hamdan qui est le jumeau taquin et malicieux, comparé à son frère très «comme il faut».
Alors, comment réussit-on à porter autant de casquettes, Dr Abdul-Latif Hamdan? «J'observe une discipline qui s'est imposée d'elle-même. Je classe mes priorités et je me concentre sur la tâche à accomplir», conclut le médecin pianiste avec un regard schubertien où l'on devine une profonde ambition à accomplir d'autres ambitions.