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Nos Lecteurs ont la Parole

La fête, les souhaits, les regrets et moi !

J’aurais aimé t’entendre me raconter ton enfance, me dévoiler ta souffrance lorsque tu es devenu gamin, abandonné orphelin. J’aurais aimé t’entendre me révéler ta jeunesse à Alep, comme on récite un conte ancien. Me parler des ruelles embaumées, saturées de fleurs et de jasmin, du tumulte des souks aux mille couleurs, jusqu’au grand jardin des promeneurs. J’aurais aimé t’entendre me parler de ta jeunesse, de tes espoirs et de tes maladresses.

J’aurais aimé t’entendre me murmurer l’histoire d’un amour perdu, d’un cœur épuisé avant même d’avoir vécu, de cette solitude que je devinais dans tes yeux, couleur bleue. J’aurais aimé t’entendre me confier tes désolations, tes faiblesses, tes afflictions.

J’aurais aimé t’entendre me raconter ma naissance, notre première rencontre lorsque tu m’as prise dans tes bras. J’aurais aimé t’entendre me dire que tu as été heureux d’avoir eu cinq enfants, que leur présence te comblait, malgré les difficultés, que tu aimais les entendre courir dans la maison, même si tu fus trop fatigué, que tu les regardais grandir et que cela te suffisait.

J’aurais aimé t’entendre me révéler l’histoire de ton exode vers le Liban, tes consolations, tes joies, tes satisfactions, mais aussi tes désolations, tes craintes et tes afflictions.

J’aurais aimé t’entendre me raconter comment on élève toute une famille, dans la guerre, quand les obus pleuvent, quand les nuits sont peuplées de peur, d’angoisse et de frayeur, quand le besoin et la faim se font collaborateurs. Comment fait-on pour surmonter la douleur, la faillite et le malheur. Derrière ton rire, tu cachais des déchirures, des embarras et des écorchures. Dans ton silence obscur tu enterrais une douleur étouffée, une amertume étranglée. Tu t’éloignais souvent, pour mieux noyer des nuits sans sommeil. J’aurais aimé t’entendre me raconter le courage qu’il te fallait pour tout recommencer, lorsque tout te semblait perdu et qu’il ne restait que des mains nues. Dis, as-tu tremblé, as-tu pleuré ?

J’aurais aimé que tu me parles. De tout, de rien, du temps, de la peur, de l’amour.

J’aurais aimé te voir célébrer, lever le verre à ta santé. Je ne t’ai jamais dit que tu avais réussi et, qu’à mes yeux, tu demeures irremplaçable, précieux et indispensable. Que tu fus grand, que tu fus immense.

Tu avais la timidité des grands hommes et la fierté des hommes vrais. Tu avais la pudeur des héros et la noblesse des cœurs abandonnés. Tu avais l’audace des guerriers et la douceur des dévoués. Tu ne gémissais pas. Tu ne flanchais pas. Tu avançais…

Tu ne disais rien. Tu ne te plaignais pas. Tu continuais, constant, implacable, persévérant.

J’aurais aimé que tu me racontes tes derniers moments ; as-tu senti la peur surgir, as-tu senti la mort venir ? As-tu entendu ma voix t’appeler, te supplier de rester… As-tu su qu’en partant tu m’abandonnais aux grands vents de la destinée ?

J’aurais aimé te raconter mes luttes, mes espoirs, mes diplômes, ma noble profession. Te révéler mes projets, t’avouer les difficultés surmontées, les deuils que j’essaye de dépasser, te confesser mes doutes, admettre devant toi mes faiblesses, mes erreurs et mes détresses, pleurer devant toi tous mes chagrins, te rapporter, ma vie sans toi, tout ce que j’ai traversé depuis que tu n’es plus là : mes dispersions, mes échecs, mes déceptions.

J’aurais aimé t’offrir mes lauriers, mes victoires et mes succès. J’aurais aimé danser avec toi ma première valse. J’aurais aimé que tu saches combien je t’ai cherché parmi ces hommes que je rencontrais.

J’aurais aimé t’attendre en robe blanche. Te chercher pour me donner ton bras, croiser ton regard pour savoir que tout ira bien.

J’aurais aimé que tu connaisses mon enfant. C’est en lui donnant naissance, en le nourrissant et en l’éduquant que j’ai compris combien ton fardeau fut pesant, tes tourments écrasants, tes soucis accablants. Je l’ai élevée à ta manière dans la droiture et la fermeté, dans la discipline et le respect. Du moins, j’ai essayé…

J’aurais aimé te recevoir dans mon chez-moi, te préparer ton café et m’asseoir à tes côtés. J’aurais aimé me bercer dans tes bras, mettre ma tête contre ton épaule et t’entendre me chuchoter : « Ne t’inquiète pas, je suis là. » J’aurais aimé t’étreindre d’affection, t’inonder de considération et te combler de compassion. J’aurais aimé te supplier de rester pour un verre de vin, un simple dîner.

J’aurais aimé te voir vieillir, t’entendre radoter, divaguer et avec toi rire et m’amuser. J’aurais aimé caresser tes rides, baiser tes mains pour m’entendre te dire, fais dodo, à demain…

J’aurais aimé te remercier pour ce que tu as été, ce que tu m’as appris, ce que tu m’as légué. Te dire que, malgré mes silences, mes maladresses et mes insolences, j’ai compris que tu as été là, que tu es le repère, le stigmate et le critère.

J’aurais aimé t’aimer vraiment, intensément, autrement.

T’aimer mieux, dans la vérité, la certitude et le respect, dans les expressions, dans les gestes, dans les mots et toutes mes capacités, t’aimer dans le présent et pas dans le souvenir, t’aimer sans condition, sans pudeur et sans fuir.

J’aurais aimé te fêter pour t’honorer, te décorer, te couronner pour ce que tu as donné. Mais il est tard et je le sais.

J’aurais aimé un tas de choses, tu sais ?

Mais le plus que j’aurais aimé est que tu sois encore et toujours à mes côtés, que tu sois toujours là, papa !

Bonne fête des Pères.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

J’aurais aimé t’entendre me raconter ton enfance, me dévoiler ta souffrance lorsque tu es devenu gamin, abandonné orphelin. J’aurais aimé t’entendre me révéler ta jeunesse à Alep, comme on récite un conte ancien. Me parler des ruelles embaumées, saturées de fleurs et de jasmin, du tumulte des souks aux mille couleurs, jusqu’au grand jardin des promeneurs. J’aurais aimé t’entendre me parler de ta jeunesse, de tes espoirs et de tes maladresses.J’aurais aimé t’entendre me murmurer l’histoire d’un amour perdu, d’un cœur épuisé avant même d’avoir vécu, de cette solitude que je devinais dans tes yeux, couleur bleue. J’aurais aimé t’entendre me confier tes désolations, tes faiblesses, tes afflictions.J’aurais aimé t’entendre me raconter ma naissance, notre première rencontre lorsque tu...
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