
Les forces de sécurité israéliennes déployées après un tir de missile iranien sur Haïfa, le 20 juin 2025. Shir Torem/Reuters
Alors que le ciel du Moyen-Orient s’embrase depuis les frappes israéliennes massives du 13 juin contre des cibles iraniennes, le Conseil de sécurité de l’ONU est devenu le théâtre d’une bataille diplomatique acharnée. À la veille d’une réunion publique d’urgence convoquée à la demande de Téhéran, deux lettres, déposées les 17 et 18 juin, se font face. Celle d’Israël qui revendique une opération de « légitime défense » contre la menace nucléaire iranienne. Et celle de l’Iran qui dénonce une agression militaire « préméditée » menée « en coordination avec les États-Unis ». Deux récits incompatibles. Deux visions opposées du droit international. Et, entre les lignes, un affrontement existentiel.
Israël : « La dernière fenêtre pour agir »
Dans sa lettre adressée au président du Conseil, le ministre israélien des Affaires étrangères Gideon Saar ne tourne pas autour du pot : l’Iran constitue une menace « existentielle et imminente » pour l’État hébreu. Les frappes du 13 juin, qui ont visé plus d’une centaine de sites iraniens – y compris des installations nucléaires, des usines de missiles, des postes de commandement et des personnalités-clés du programme nucléaire –, sont présentées comme une opération chirurgicale, légale et inévitable.
« La diplomatie a échoué », écrit-il, affirmant que l’Iran a rejeté tous les efforts internationaux pour limiter ses capacités nucléaires, notamment ceux de l’AIEA. Israël estime avoir agi « dans le respect de l’article 51 de la Charte des Nations unies », qui garantit à tout État le droit à la légitime défense. Plus encore, l’État hébreu affirme avoir saisi « la dernière fenêtre d’opportunité pour empêcher l’Iran d’obtenir l’arme nucléaire ». Mais au-delà de la neutralisation des infrastructures nucléaires, la lettre laisse planer un objectif plus vaste : réorganiser l’équilibre stratégique régional. Dans des propos ultérieurs, le Premier ministre Benjamin Netanyahu devait évoquer la possibilité que l’opération puisse conduire à un changement de régime à Téhéran – une déclaration qui a ravivé les pires craintes d’un engrenage régional incontrôlable.
Téhéran : « Une guerre illégale, avec la complicité de Washington »
En riposte, la lettre du ministre iranien des Affaires étrangères Abbas Araghchi, adressée au Conseil un jour plus tard, est sans appel. Le ton y est offensif, les accusations graves. Israël est accusé d’avoir lancé une « opération militaire massive, préméditée et délibérée » contre des installations civiles et humanitaires, incluant des hôpitaux, des zones résidentielles, le siège du Croissant-Rouge iranien, ainsi que des sites nucléaires civils placés sous la surveillance de l’AIEA.
Pire encore, Téhéran accuse directement les États-Unis de s’être « pleinement coordonnés » avec Israël dans cette offensive, évoquant une violation flagrante de la souveraineté iranienne et du droit international. La lettre appelle le Conseil de sécurité à condamner Israël sans équivoque, à empêcher de nouvelles attaques et à prendre des « mesures contraignantes » contre Tel-Aviv.
Téhéran réaffirme en parallèle son propre droit à la légitime défense, qu’il dit exercer « avec retenue », tout en promettant de poursuivre ses ripostes tant que les agressions ne cesseront pas et que le Conseil ne remplira pas son rôle.
Le théâtre militaire
Les événements sur le terrain donnent à cette guerre des lettres un arrière-plan des plus inquiétants. L’attaque israélienne du 13 juin a visé entre autres le site nucléaire de Natanz, principal centre d’enrichissement d’uranium du pays. Selon Rafael Grossi, directeur de l’AIEA, des installations en surface ont été endommagées, et des images satellite ont révélé des « impacts directs » sur des structures souterraines. Le complexe de recherche nucléaire d’Ispahan a lui aussi été touché. Les niveaux de radioactivité sont restés normaux, mais l’alerte est maximale.
L’Iran a répliqué par des frappes de drones et de missiles balistiques contre Israël. La plupart ont été interceptés, mais plusieurs ont atteint des cibles militaires et civiles, dont un complexe hospitalier. Bilan provisoire au 16 juin : 24 morts côté israélien, plus de 200 morts et 1 200 blessés en Iran selon le ministère de la Santé, dont 90 % de civils.
Washington en embuscade, l’Europe en équilibre
À Washington, Donald Trump a salué l’offensive israélienne comme une démonstration de force nécessaire. Il a évoqué une possible participation américaine directe à une seconde phase d’opérations, notamment pour frapper le site souterrain de Fordo, réputé invulnérable sans l’usage d’armes pénétrantes sophistiquées. Une décision est attendue « dans les deux semaines », a annoncé la Maison-Blanche. Mais l’ayatollah Ali Khamenei a d’ores et déjà averti : toute implication militaire américaine entraînera des représailles d’une ampleur « irréparable ».
Pendant ce temps, les discussions sur le nucléaire iranien, qui s’étaient timidement rouvertes, sont suspendues. Téhéran a annulé la prochaine session de négociation avec les États-Unis prévue le 15 juin, tout en maintenant des contacts avec les Européens. Abbas Araghchi devrait rencontrer à Genève ses homologues français, allemand et britannique – sans la présence américaine.
Le Conseil de sécurité, arbitre impuissant ?
La réunion du 20 juin verra s’exprimer la secrétaire générale adjointe aux affaires politiques de l’ONU, Rosemary DiCarlo, ainsi que le directeur de l’AIEA. Lors de leur précédente intervention le 13 juin, tous deux avaient appelé à la retenue. DiCarlo avait mis en garde contre un « embrasement régional aux conséquences mondiales ». Grossi, lui, avait rappelé qu’« aucune installation nucléaire ne doit jamais devenir une cible militaire ». Mais au sein du Conseil, les lignes de fracture restent tranchées : l’Algérie, la Russie, la Chine et le Pakistan soutiennent la position iranienne ; les États-Unis défendent la légitimité de l’opération israélienne ; la France et le Royaume-Uni, eux, naviguent entre prévention de la prolifération nucléaire et appels à la désescalade.
Alors que le Conseil de sécurité s’enlise dans les équilibres diplomatiques, les bombes poursuivent leur œuvre. Reste à savoir si l’ONU peut encore agir pour faire cesser la guerre, ou si elle se contentera d’en gérer les conséquences.