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Idées - Commentaire

Syrie : vers un fractionnement à l’irakienne ?


Syrie : vers un fractionnement à l’irakienne ?

Un membre des forces de sécurité syriennes en position à Sahnaya, près de Damas, le 30 avril 2025. Photo d’illustration Bakr Alkasem/AFP

La Syrie court aujourd’hui le risque d’une dérive « irakienne ». Dès leur entrée en Irak en 2003, les forces américaines ont en effet pris une décision lourde de conséquences, à savoir la dissolution de l’armée irakienne. Si cette décision était justifiée par la nécessité de combattre l’influence du parti Baas de Saddam Hussein, elle contribua toutefois à la déstructuration du pays, lequel s’enfonça dans une guerre civile pour plus d’une décennie, jusqu’au reflux de Daech à partir de 2015 sous les coups de la coalition internationale. L’Irak en sortira profondément divisé, avec une répartition de la population dans les différentes régions (ainsi qu’à Bagdad même) obéissant pour l’essentiel au critère confessionnel et ethnique. La Constitution du pays reconnaît ainsi l’hétérogénéité du pays et instaure le fédéralisme comme principe fondateur. Les postes essentiels (président de la République, Premier ministre, président du Parlement) sont répartis entre les principales communautés (respectivement kurde, chiite et sunnite), et les nominations à ces postes donnent souvent lieu à un consensus entre les puissances extérieures, en particulier les États-Unis et l’Iran, ainsi que l’Arabie saoudite et d’autres pays.

Paroxysme de la méfiance

La Syrie court le risque d’un processus similaire. En effet, dès la chute de Bachar el-Assad, l’armée syrienne a été très fortement bombardée par l’aviation israélienne, et ses installations, casernes et équipements ont été largement détruits, paralysant de facto cette dernière. L’ancien commandement de l’armée, qui reposait largement sur la communauté alaouite et les fidèles de l’ancien pouvoir, a été également neutralisé par l’effondrement du régime Assad. Le nouveau pouvoir doit donc s’appuyer, pour l’essentiel, non pas sur l’armée régulière mais sur les factions armées qu’il contrôlait, pour diriger le pays.

La Syrie est en outre fractionnée en entités ethniques et religieuses (sunnite, alaouite, druze, kurde) qui entretiennent une forte méfiance, que l’ère Assad, en les instrumentalisant, n’a fait qu’aggraver, tandis que les incidents depuis début 2025 entre le pouvoir central du nouveau président Ahmad el-Chareh et les communautés alaouites et druzes ont porté cette méfiance à son paroxysme. Enfin, le pays est déchiré entre plusieurs influences externes contradictoires, en particulier celle de la Turquie et d’Israël, qui se livrent à un combat feutré (sans compter l’Iran, qui pourrait tenter de revenir sur la scène syrienne). L’État hébreu, qui soutient ouvertement les druzes et entretient des relations avec les Kurdes, cherche ainsi à tout prix à entraver la progression de la Turquie, proche du président Ahmad el-Chareh, sur le terrain syrien, et n’hésite pas, pour cela, à bombarder les positions des factions du pouvoir alliées à Ankara.

Si les minorités syriennes, druze, kurde (voire alaouite) semblent ainsi vouloir tenir en respect le pouvoir actuel à Damas, l’unité du régime syrien lui-même n’est pas garantie, car ce dernier est composé de nombreuses factions rivales, qui ne suivent pas toujours à la lettre les directives d’Ahmad el-Chareh.

Prudence libanaise

Le pouvoir risque-t-il ainsi de se scinder entre les factions du nord, alliées de la Turquie, et celles du sud, souvent proches des pays du Golfe (voire, derrière ces derniers, d’Israël) ? La Syrie risque-t-elle de retrouver la carte qui fut la sienne au temps du mandat français, lequel avait scindé le pays en entités alaouites, druzes et kurdes, tout en créant les deux provinces à majorité sunnite de Damas et Alep ? La question se pose d’autant plus que la Syrie, selon la « Déclaration constitutionnelle » provisoire de mars 2025, demeure toujours un État unitaire et non un État fédéral. Tandis que le président Ahmad el-Chareh avait déclaré en février 2025 que la mise en place d’une Constitution et la tenue d’élections pourraient nécessiter de trois à cinq ans. La Syrie mettra-t-elle ce délai à profit pour rapprocher ses forces politiques et communautaires rivales, ou se dirigera-t-elle au contraire vers une fédéralisation à l’irakienne ?

Le Liban, lui, observe ces développements avec prudence, voire avec appréhension. D’une part, il accueille en effet près de deux millions de déplacés syriens, dont la présence et son maintien sont intimement liés au sort futur de leur pays. D’autre part, toute déstabilisation de la Syrie risquerait d’avoir des conséquences sur le pays du Cèdre, surtout si elle met nez à nez le pouvoir syrien et ses minorités, elles-mêmes également représentées au Liban. En cas de conflit, le risque de contagion est non négligeable. Il faut donc espérer que la communauté internationale, les États-Unis en tête, agira pour stabiliser la Syrie et la soutenir économiquement, tempérer la rivalité israélo-turque, et, surtout, pour protéger le Liban des retombées des crises régionales.

Par Fouad KHOURY-HELOU

Écrivain, économiste et directeur exécutif de « L’Orient-Le Jour ». Il intervient ici en tant que contributeur extérieur à la rédaction. Dernier ouvrage : « Liban, État de survie » (Max Milo, 2025).

La Syrie court aujourd’hui le risque d’une dérive « irakienne ». Dès leur entrée en Irak en 2003, les forces américaines ont en effet pris une décision lourde de conséquences, à savoir la dissolution de l’armée irakienne. Si cette décision était justifiée par la nécessité de combattre l’influence du parti Baas de Saddam Hussein, elle contribua toutefois à la déstructuration du pays, lequel s’enfonça dans une guerre civile pour plus d’une décennie, jusqu’au reflux de Daech à partir de 2015 sous les coups de la coalition internationale. L’Irak en sortira profondément divisé, avec une répartition de la population dans les différentes régions (ainsi qu’à Bagdad même) obéissant pour l’essentiel au critère confessionnel et ethnique. La Constitution du pays reconnaît ainsi...
commentaires (2)

''Syrie : vers un fractionnement à l’irakienne ?'', plutôt un fractionnement à la libanaise.

nb

12 h 19, le 14 juin 2025

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Commentaires (2)

  • ''Syrie : vers un fractionnement à l’irakienne ?'', plutôt un fractionnement à la libanaise.

    nb

    12 h 19, le 14 juin 2025

  • Il me semble que la description que cite l’auteur ressemble au fédéralisme officieux existant au liban.Tout comme, le président de la république et le premier ministre doivent faire l’objet de tractations et consensus entre divers pays les diverses communautés.Seule différence ? l’armée au liban est unifié et ne fait pas l’objet de dissensions communautaires.Sinon, tout le reste de la description c’est , AUSSI, le liban. D’où le besoin VITAL d’officialiser la fédération dans ces pays.Aujourd’hui, les populations sont plus éveillées.On ne peut plus imposer un mode de vie qui n’est pas le leur

    LE FRANCOPHONE

    08 h 24, le 06 juin 2025

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