Critiques littéraires

Écrire sous le feu

Écrire sous le feu

Dire le Liban (collectif), Artliban, 2025, 256 p.

Le 23 septembre 2024, une nouvelle phase d’escalade dans la guerre menée par Israël contre le Hezbollah s’enclenche. Le conflit s’intensifie deux mois durant, avant de se prolonger par des frappes quasi quotidiennes, toujours en cours, malgré l’accord du cessez-le-feu. Dans de telles circonstances, « écrire » pourrait aux yeux de certains sembler un acte frivole en comparaison des tragédies vécues ou, du moins, vues à travers nos petits écrans. Pour d’autres heureusement, rester silencieux serait indécent.

« Le ciel du Liban est envahi par une foule de drones invisibles et sans pilotes qui surveille le territoire. Le ciel fait un bruit ininterrompu de moteur. Il est devenu le siège d’un gigantesque service de renseignement, qui confirme à l’échelle de la planète, la déshumanisation de notre espèce. » (Dominique Eddé)

Face à cette régression humaine qui caractérise la guerre, écrire serait une manière de rejeter notre part animale et de « retrouver l’homme partout où nous avons trouvé tout ce qui l’écrase », pour reprendre les mots d’André Malraux.

Dans ce registre, le recueil Dire le Liban est un défi : celui de transcrire la terreur sous le feu, puisque les textes qu’il regroupe sont écrits en octobre et novembre derniers. Lancé par Nidal Haddad, directrice des éditions Artliban, il a été relevé par plus de 70 auteurs libanais et étrangers d’horizons divers. Défi, car « le verbe s’égare dans un univers de barbarie » et « le crayon tremble entre les doigts du poète » (Randa el-Kadi Imad).

Dire le Liban revient donc à dire la guerre : « Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est la guerre / Ma maison, ce n’est pas une maison, c’est un abri » (Ramzi Salamé).

Dans une écriture cathartique qui exprime l’incompréhensible, le désespoir et la révolte sur le vif, Zeina Zerbé revient sur le sentiment d’insécurité enraciné depuis l’explosion des pagers  ; Josyane Boulos et Michèle Tyan évoquent les avertissements d’évacuation de « l’armée la plus morale du monde », « ce petit carré rouge » et « la foule devant l’échafaud à attendre à filmer » la frappe  ; Ramy Zein décrit le « calvaire » de tous ceux qui subissent la guerre  ; et Georges Boustany invente un « Abécéguerre » dont chaque lettre épelle les traumatismes du conflit : angoisse, bombe, crime contre l’humanité, Dahieh…

Dire le Liban, c’est remonter à la guerre de 1975 et raconter les événements avec la voix de l’enfant, car le Liban d’aujourd’hui rejoint celui d’hier, les plaies étant laissées ouvertes, la peur inchangée : « Un morceau de mon enfance / Porte toujours l’odeur du phosphore / Une odeur collée à ma mémoire / Une fumée collée à mes cheveux / Un obus collé à mon identité » (Sana Richa Choucair).

 

Dire le Liban, c’est aussi poser un regard rétrospectif sur le conflit israélo-arabe pour éclairer le présent à la lumière du passé : « J’admets que je continue de le vouloir, malgré le sang et les cris, en dépit des errements et des trahisons, et parce que c’est le fondement de notre humanité, qu’Israël dise pardon devant l’Histoire. » (Antoine Boulad)

 

Dire le Liban, c’est également souligner la beauté de ce pays qu’on continue à aimer malgré tout. Comme dans l’inventaire à la Prévert où René Otayek dresse le portrait d’un Liban éclaté mais profondément vivant, où se côtoient souvenirs d’enfance, lieux et figures emblématiques, ainsi que blessures collectives. Un désordre poétique à l’image du pays lui-même.

Dire le Liban, c’est enfin interroger le pouvoir des blagues et de l’humour en temps de guerre  ; celui de l’écriture et des idées dans le tourbillon de la violence  ; mais aussi celui de la solidarité, de l’entraide, du dialogue et de la nécessité d’un travail de mémoire. C’est croire encore à la possibilité d’un lendemain : « Il faut nourrir la paix et arrêter d’alimenter la guerre. Sur de solides bases de justice, d’équité, de droiture. Sans le dédain, l’entêtement, l’ignorance et le mépris de l’autre. » (Edgar Davidian)

Et si, comme l’écrit Fady Noun, « seule la paix rachètera la Palestine et le Liban », alors peut-être que ces mots, ces poèmes, ces cris qui composent Dire le Liban en sont les premières pierres.


Dire le Liban (collectif), Artliban, 2025, 256 p.Le 23 septembre 2024, une nouvelle phase d’escalade dans la guerre menée par Israël contre le Hezbollah s’enclenche. Le conflit s’intensifie deux mois durant, avant de se prolonger par des frappes quasi quotidiennes, toujours en cours, malgré l’accord du cessez-le-feu. Dans de telles circonstances, « écrire » pourrait aux yeux de certains sembler un acte frivole en comparaison des tragédies vécues ou, du moins, vues à travers nos petits écrans. Pour d’autres heureusement, rester silencieux serait indécent.« Le ciel du Liban est envahi par une foule de drones invisibles et sans pilotes qui surveille le territoire. Le ciel fait un bruit ininterrompu de moteur. Il est devenu le siège d’un gigantesque service de renseignement, qui confirme à...
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