
Le Palais de justice de Beyrouth. Photo Philippe Hage Boutros
Après l'inculpation de Karim Salam, frère et collaborateur de l’ancien ministre de l’Économie Amine Salam, par le premier juge d’instruction de Beyrouth, Bilal Halaoui, le 8 avril 2025, pour prévarication, L'Orient-Le Jour a appris jeudi que la chambre d’accusation de Beyrouth (juridiction d'appel), présidée par Maher Cheaïto, a confirmé dernièrement cette inculpation, en y ajoutant des accusations pour enrichissement illicite. L’instance a déféré devant la Cour criminelle de Beyrouth M. Salam, qui se trouve en état d’arrestation depuis environ quarante-cinq jours.
La décision a été rendue sur base du Code pénal (article 352), qui punit d’emprisonnement « toute personne investie d’un mandat public qui aura sollicité, pour elle-même ou pour un tiers, un don ou tout autre avantage en vue d’accomplir un acte contraire à sa mission », ainsi que sur la loi sur l’enrichissement illicite qui sanctionne toute hausse substantielle et injustifiée d’un patrimoine détenu par une personne liée de près ou de loin à la fonction publique.
L’affaire trouve son origine dans une plainte déposée, en 2023, par la compagnie d’assurances al-Mashrek, représentée par son directeur général, Georges Matossian. L’objectif de la prévarication présumée était de régulariser, avec des moyens jugés illégaux, la situation de l’entreprise en difficulté, auprès du ministère de l’Économie. Les problèmes financiers de la compagnie étaient dus à la perte d’une grande partie de son capital, notamment causée par la dépréciation de la livre, suite à la crise financière de 2019. Pour tenter d’éviter le retrait ou la suspension de la licence de l’entreprise par le ministère de l'Économie, M. Matossian s’était réuni avec le conseiller financier d’Amine Salam, Fadi Tamim, qui lui avait demandé la somme de 250 000 dollars en échange de la régularisation de sa situation, après lui avoir initialement réclamé 400 000 dollars. Toujours selon l’enquête, M. Tamim n’a pas précisé quelles personnes avaient exigé ce montant. Dans sa déposition, M. Matossian a toutefois interprété cette exigence comme émanant de l’ancien ministre et de son frère, estimant que les documents et rapports détenus par Fadi Tamim ne pouvaient provenir que du ministère.
M. Tamim a purgé neuf mois de prison, auxquels la Cour criminelle de Beyrouth l’avait condamné, en juin 2024, pour perception de pot-de-vin (article 352 du Code pénal). Interrogé donc en tant que témoin par la chambre d’accusation, M. Tamim a réitéré ses propos, selon lesquels il avait bien demandé 250 000 dollars à M. Matossian, mais uniquement à titre d’honoraires pour une étude menée sur les comptes d’al-Mashreq. Dans les faits, il a finalement perçu 100 000 dollars, qu’il a restitués lorsqu’il a été convoqué par la justice, tout en affirmant que Karim Salam n’avait aucun lien avec cette affaire. Ce dernier a également réfuté toute implication à ce sujet.
Mouvements financiers suspects ?
En raison de soupçons de corruption à l’égard de Karim Salam, la Cour criminelle avait, dans sa décision de juin 2024, demandé au parquet financier d’élargir l’enquête. Quelque temps plus tard, le parquet a requis de la Commission spéciale d’investigation (CSI), relevant de la Banque du Liban, de lever le secret bancaire sur les comptes de Karim Salam et d’en faire une analyse détaillée. Le rapport de la CSI a révélé que ces comptes incluent des chèques provenant de compagnies d'assurances ou de leurs employés, des dépôts en espèces atteignant plusieurs millions de dollars et des virements internes et internationaux, dont un virement vers un compte d’Amine Salam aux États-Unis. Pour la chambre d'accusation, ces flux financiers établissent une présomption d’enrichissement illicite.
Durant son interrogatoire, Karim Salam a contesté les conclusions du rapport de la CSI, soutenant que les fonds en question n’ont pas de lien avec des activités illicites.
La Cour criminelle de Beyrouth devra déterminer si les infractions présumées sont avérées ou infondées. En attendant, le procureur général près la Cour de cassation, Jamal Hajjar, devrait entendre mardi l’ancien ministre de l’Économie. Il l’avait longuement interrogé mardi dernier et l'avait relâché tout en le maintenant à la disposition de l’enquête. La démarche du chef du parquet fait suite à la demande d’ouverture d’une information judiciaire présentée auprès de lui, le 20 mars, par la commission parlementaire de l’Économie et de l’Industrie, présidée par Farid Boustany. Selon une source interrogée par L’Orient-Le Jour, cette demande se base notamment sur un abus de fonds collectés auprès des compagnies d'assurances, qui correspondent à un pourcentage des primes. La requête serait fondée également sur un contrat avec une entreprise étrangère pour fournir une formation technique à des fonctionnaires pendant deux semaines, pour un montant de plusieurs centaines de milliers de dollars.
De son côté, le contentieux de l’État s’apprête à intenter une action judiciaire au nom de l’État contre Amine Salam. Selon nos informations, elle devrait être présentée la semaine prochaine.
Assez. Il faut que justice passe. L’affaire Karim Salam, frère de l’ancien ministre de l’Économie, déféré devant la Cour criminelle pour prévarication et enrichissement illicite, illustre une fois de plus le mal profond qui ronge notre pays. Mais elle ne doit pas rester un cas isolé ni servir de paravent commode. Je veux ici dire, avec force, que tous ceux qui ont pillé le Liban — qu’ils soient chefs de cabinet, ministres, députés, ou même anciens présidents de la République — doivent être jugés et répondre de leurs actes. Le temps de l’impunité doit cesser. Ceux qui ont détourné des fonds p
07 h 13, le 23 mai 2025