
Un portrait de Lokman Slim installé dans le jardin de la résidence familiale, lors de ses funérailles, à Haret Hreik, le 11 février 2021. Photo Mohammad Yassine
Plus de cinq mois après avoir été suspendues sine die par le premier juge d’instruction par intérim Bilal Halaoui, le 5 décembre 2024, qui avait décidé de classer le dossier « jusqu’à apparition de nouveaux éléments », les investigations sur l’assassinat de l’intellectuel chiite et farouche opposant au Hezbollah Lokman Slim reprennent un nouveau souffle. Désignée par le premier président de la cour d’appel de Beyrouth, Georges Harb, pour examiner l’affaire en remplacement du juge Halaoui, dessaisi le 20 mars par la Cour de cassation pour « entrave au cours de la justice », la juge d’instruction de Beyrouth Roula Sfeir a en effet décidé de relancer l’enquête. Elle a fixé une audience au 12 juin.
Lokman Slim avait été abattu le 3 février 2021 près de l’autoroute Saïda-Tyr, à Addoussiyé (Zahrani, Liban-Sud), un bastion du Hezbollah, alors qu’il venait de sortir du domicile de l’homme d’affaires et poète Mohammad el-Amine, à Niha. Un mois avant son meurtre, le chercheur et militant évoquait sur la chaîne saoudienne al-Hadath une implication du Hezbollah dans l’importation du nitrate d’ammonium à l’origine de la double explosion au port de Beyrouth, survenue le 4 août 2020. En décembre 2019, quatorze mois avant son assassinat, les jardins de sa résidence, à Haret Hreik, dans la banlieue sud de Beyrouth, avaient été envahis par des militants ayant placardé des menaces de mort à l’entrée de la maison. Il avait alors publié un communiqué dans lequel il appelait l’armée à le protéger contre tout mal qui lui arriverait, dont il avait imputé d’avance la responsabilité à l’ancien secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah, et au chef du mouvement Amal Nabih Berry.
En novembre 2023, à la suite du départ à la retraite de son prédécesseur, Charbel Abou Samra, le juge Halaoui a pris la relève de l’enquête que ce dernier avait entamée en 2021. Lors de sa prise en charge du dossier, M. Halaoui s’est réuni, en mai 2024, avec le consul et un officier allemands, dans le sillage d’une commission rogatoire adressée à l’Allemagne par le juge Abou Samra. Cette commission visait à permettre un prélèvement de l’acide désoxyribonucléique (ADN) qui se trouverait à l’intérieur ou sur la voiture de Lokman Slim, dans le but d’identifier les meurtriers. « Faute de nouveaux éléments » qu’auraient pu fournir l’Allemagne mais aussi la Finul dont un poste est situé près du lieu du crime, mais dont les caméras ne filment que l’intérieur de ses casernes, le juge Halaoui a considéré, dans sa décision du 5 décembre 2024, qu’« aucune mesure supplémentaire ne s’imposait dans le cadre de l’enquête ».
Sauf que la sœur et la veuve de Lokman Slim, Rasha al-Ameer et Monika Borgman, avaient déposé, une dizaine de jours plus tôt (le 26 novembre 2024), un recours en dessaisissement contre lui devant la 6e chambre pénale de la Cour de cassation, présidée par intérim par la juge Randa Kfoury. Elles lui reprochaient notamment de « faire preuve de partialité », soulignant qu’une telle attitude « compromet le bon déroulement de la justice ». Dans un arrêt rendu une semaine avant le départ à la retraite de la juge Kfoury (le 27 mars), la cour avait décidé de dessaisir M. Halaoui en ordonnant le transfert du dossier à un autre magistrat. Elle s’était fondée sur les griefs des deux plaignantes qui reprochaient à M. Halaoui d’avoir refusé de « recourir à des expertises internationales au motif que celles-ci porteraient atteinte à la souveraineté libanaise », selon les termes de l’arrêt, cités par une source proche du dossier. La Cour de cassation a relevé que « si le procès-verbal de la réunion entre le juge Halaoui et les deux responsables allemands mentionnait que ces derniers avaient déclaré que la mission dont ils avaient été chargés n’était pas techniquement exécutable, aucun procès-verbal détaillant les échanges n’avait toutefois été retrouvé ».
Toujours selon la source précitée, lors de la réunion en question, des questions préliminaires ont été soulevées suite auxquelles le juge Halaoui a reporté l’audience en attendant les conclusions de l’ambassade allemande. Or il a ensuite transmis le dossier au parquet de cassation sans recueillir ces conclusions ni les observations des deux requérantes, qui avaient pourtant obtenu un délai pour les présenter, ajoute cette source. Le parquet a alors demandé au juge de recueillir les observations en question, mais celui-ci n’a pas satisfait la demande. La cour a donc considéré que « la clôture de l’instruction avant réception de la réponse de l’ambassade allemande, avant les conclusions du ministère public et malgré la demande de délai accordée à la partie plaignante (…) justifie le dessaisissement (…) ». L’arrêt a en outre précisé que « le juge qui sera chargé de l’instruction (en l’occurrence Roula Sfeir) pourra, en vertu de son pouvoir d’appréciation, revenir sur la décision (de M. Halaoui) à la lumière des pièces du dossier, des investigations qu’il contient, de la lettre de l’ambassade d’Allemagne, du mémoire de la partie requérante et de l’avis du ministère public, une fois cet avis communiqué ».
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20 h 25, le 20 mai 2025