L’ombre de démos : l’illusion démocratique, un fantôme politique tiraillé entre éclat antique et simulacre moderne.
« Democratia, imperium populi » est souvent perçue comme le couronnement d’un long processus historique tendant vers l’émancipation politique et l’égalité des droits. Pourtant, loin d’être une ligne droite vers le progrès, l’histoire de la démocratie est celle d’un idéal sans cesse contesté, travesti, ou remis en cause, tour à tour glorifié, dévoyé, puis ressuscité. Le berceau de la démocratie se situe dans la Grèce antique, et plus précisément à Athènes au Ve siècle avant notre ère. Il s’agissait d’un régime dans lequel les citoyens – hommes libres, nés de parents athéniens de souche – prenaient part directement aux décisions politiques, par le biais de l’ecclésia. Toutefois, cette démocratie directe, souvent célébrée comme fondatrice, excluait la majorité de la population : femmes, esclaves, métèques en étaient écartés. Paradoxalement, cet ordre politique, vanté pour sa participation populaire, reposait donc sur une exclusion de masse. Déjà, les penseurs de l’époque exprimaient de fortes réserves à l’égard de ce régime. Platon, dans La République, voyait en la démocratie un régime instable, livré aux passions de la foule, prélude à la tyrannie. Aristote, plus nuancé, classait la démocratie parmi les formes « dévoyées » du gouvernement populaire, préférant le terme de « politie » pour désigner un régime équilibré au service du bien commun. Après la chute des cités grecques et de la République romaine, l’idéal démocratique s’éclipse pour de longs siècles. L’Europe médiévale est dominée par la logique du droit divin, des hiérarchies féodales et de l’autorité monarchique. Le pouvoir politique est confisqué par une élite religieuse ou noble, et l’idée même de souveraineté populaire paraît hérétique.
Ce n’est qu’à la faveur des Lumières et des révolutions modernes – anglaise (1688), américaine (1776) puis française (1789) – que le concept de démocratie refait surface, non plus sous sa forme directe, mais comme démocratie représentative.
De surcroit, le XXe siècle voit l’expansion massive du modèle démocratique, en particulier après la Seconde Guerre mondiale, avec l’émergence des démocraties parlementaires et l’universalisation du suffrage. Toutefois, cette victoire est loin d’être absolue. Nombre de régimes autoritaires adoptent les apparences de la démocratie – élections, Parlements, Constitutions – tout en en niant l’essence : pluralisme, liberté d’expression, séparation des pouvoirs.
Dans les régimes communistes, comme l’URSS ou la Chine populaire, la « démocratie populaire » devient un slogan vidé de son sens, subordonné à un parti unique. De même, de nombreux États postcoloniaux ou autoritaires mettent en scène des consultations populaires sans liberté véritable de choix, dans ce que l’on pourrait appeler des démocraties simulacres.
Aux prémices cette époque tiraillée au sein d’un éboulement politique et insurrectionnel, l’ère des Constitutions universelles, de la rhétorique des droits et de la prolifération des urnes, la démocratie est devenue une langue politique obligée, les visages masqués de cette dernière se ventent quand le pouvoir se pare de légitimité populaire. Des exemples frappants émergent.
Le Liban, une démocratie piégée dans un système confessionnel. Le Liban, officiellement défini comme une République parlementaire démocratique, dispose en apparence de toutes les composantes d’un régime représentatif : une Constitution, un Parlement élu au suffrage universel, une séparation des pouvoirs, des élections périodiques. Toutefois, derrière cette façade institutionnelle, la réalité du pouvoir est profondément marquée par un système de partage confessionnel hérité de l’histoire coloniale et des accords de Taëf (1989), qui a profondément déformé la pratique démocratique.
Sous Vladimir Poutine, la Russie incarne un modèle de « démocratie dirigée » où l’État organise des élections régulières, autorise l’existence de partis politiques et maintient des institutions parlementaires. Pourtant, ces mécanismes démocratiques sont encadrés, neutralisés, voire instrumentalisés. Le Venezuela, une dérive populiste vers l’autoritarisme ; la Chine, le simulacre technocratique d’un pouvoir absolu… et une pléthore d’autres.
Ainsi, l’histoire de la démocratie n’est pas celle d’une ascension linéaire, mais celle d’un concept perpétuellement réinterprété, tantôt mis en lumière, tantôt travesti. Loin d’être une évidence historique, la démocratie est une construction fragile, sans cesse remise en chantier. Elle n’est pas un état, mais une tension continue vers un idéal toujours inachevé.
La démocratie, la dictature de l’ignorance, c’est le pouvoir des dictateurs patients.
Imposer ce système au monde entier est peut-être une idée noble mais qui dit que c’est le système idéal pour tous les pays ? Son but, c’est d’élever le peuple prolétaire au rang de la bêtise des bourgeois. Ce modèle, aujourd’hui, est loin d’être le fruit des débats philosophiques de l’agora, c’est juste un simple instrument voire un outil politique : son but, le pouvoir du peuple ? Du démos ? C’est une question rhétorique qui est sûrement proche d’une réponse qui ne peut pas être dévoilée.
Définie classiquement comme le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, la démocratie semble aujourd’hui n’être qu’une formule incantatoire : un idéal vidé de sa substance, où le peuple, censé être souverain, demeure en réalité dépouillé de tout pouvoir réel. Derrière cette apparence flatteuse se cache une mise en scène politique savamment orchestrée, où l’esthétique démocratique sert bien souvent à dissimuler la confiscation du pouvoir par des élites.
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