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Nos Lecteurs ont la Parole

Le Liban, entre nos bras et dans nos veines

ll m’a fallu du temps pour comprendre ce que je ressens vraiment pour le Liban. Ce n’est pas seulement de la nostalgie, ni même de l’attachement patriotique. C’est quelque chose de plus intime, de plus tissé en moi. Un lien qui ressemble à l’amour qu’on porte à un parent – profond, chargé d’histoire, mêlé de blessures –, mais aussi à l’amour inquiet, actif et exigeant qu’on porte à un enfant. Le Liban nous habite dans les deux directions : nous sommes nés de lui, et nous cherchons tous à le faire renaître.

J’ai grandi au Liban, bercée par ses contrastes. Il y avait la lumière coupée au milieu du repas, le silence soudain qu’on apprenait à ne pas questionner, les odeurs de pain chaud sur le saj, de terre mouillée dans les jardins de la rue Sursock, de café noir le matin pour les « grands ».

Il y avait cette maison rose sur la colline devant la mer où on nous emmenait jouer, plein de gestes simples, de mots lancés à mi-voix, de regards lourds et de non-dits. Tout cela a formé en moi une carte intérieure, une géographie affective que rien ne pourra effacer.

Aimer le Liban comme un parent, c’est aimer à la racine. C’est reconnaître qu’on lui doit la langue avec laquelle on pense, les gestes qui nous trahissent, les silences qu’on a appris à habiter. C’est porter en soi une gratitude muette, même lorsque la douleur prend le pas sur la joie. C’est aimer sans condition, parce qu’on n’a jamais vraiment eu le choix. On appartient à ce pays, même quand il semble vouloir se défaire de lui-même.

Puis, un jour, j’ai quitté le Liban. La distance a réorganisé l’amour. Je ne l’ai pas senti faiblir, mais se transformer. Ce n’était plus un attachement passif, enraciné dans le passé. C’était une inquiétude constante, tournée vers l’avenir. Je me suis mise à aimer le Liban comme on aime un enfant dont on ne cesse de s’inquiéter.

Je lisais les nouvelles avec l’angoisse d’un parent guettant un appel qui ne vient pas. Je regardais ses blessures avec impuissance. Je rêvais de le protéger, de lui offrir autre chose. Une paix durable. Des droits. Une vraie lumière, pas celle d’un générateur. Un avenir digne. Ce n’était plus seulement une mémoire que je chérissais. C’était un présent qui me blessait, et un futur que je voulais pour lui.

Aimer un pays comme un enfant, c’est vouloir le réparer, le relever, le réimaginer. C’est se sentir responsable de son destin, même lorsqu’on est loin. C’est ne pas se résigner.

Il y a, dans ce double amour, une tension permanente. Être l’enfant du Liban, c’est le recevoir comme une empreinte. Être son parent, c’est vouloir le transformer. Ces deux mouvements ne s’annulent pas : ils se nourrissent. Ils s’enracinent dans une même loyauté.

Pour nous tous Le Liban est une mémoire et aussi devrait être un projet.

En ce troisième jeudi de mai, jour dédié à la commémoration du patrimoine national du Liban, j’ai pensé à lui comme on pense à un anniversaire – celui d’un enfant ou d’un parent cher. Mais un anniversaire ne s’honore pas en un seul jour. Comme un être aimé, le patrimoine se chérit, se protège, se vit au quotidien, pour qu’il demeure vivant et digne d’être célébré. Et au fond, ce n’est pas seulement un site, un monument ou une tradition que l’on honore… c’est le Liban tout entier.

Car le Liban, dans chacune de ses pierres, de ses ruelles, de ses montagnes et de ses mémoires, est un patrimoine.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

ll m’a fallu du temps pour comprendre ce que je ressens vraiment pour le Liban. Ce n’est pas seulement de la nostalgie, ni même de l’attachement patriotique. C’est quelque chose de plus intime, de plus tissé en moi. Un lien qui ressemble à l’amour qu’on porte à un parent – profond, chargé d’histoire, mêlé de blessures –, mais aussi à l’amour inquiet, actif et exigeant qu’on porte à un enfant. Le Liban nous habite dans les deux directions : nous sommes nés de lui, et nous cherchons tous à le faire renaître.J’ai grandi au Liban, bercée par ses contrastes. Il y avait la lumière coupée au milieu du repas, le silence soudain qu’on apprenait à ne pas questionner, les odeurs de pain chaud sur le saj, de terre mouillée dans les jardins de la rue Sursock, de café noir le matin pour les...
commentaires (2)

C’est exactement ça notre amour pour le Liban….. Merci Sabine de l’avoir si bien dechiffré

Zeineh Nada

11 h 50, le 17 mai 2025

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Commentaires (2)

  • C’est exactement ça notre amour pour le Liban….. Merci Sabine de l’avoir si bien dechiffré

    Zeineh Nada

    11 h 50, le 17 mai 2025

  • Très émouvant merci

    Eleni Caridopoulou

    00 h 47, le 17 mai 2025

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