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« Paix et justice : une mémoire pour l’avenir ? »

« Paix et justice : une mémoire pour l’avenir ? »

Ziyad Baroud lors de son intervention. Photo DR

« L’exercice de mémoire est un processus salutaire de guérison, un acte courageux qui permet à la fois aveu, pardon et réconciliation. Quelle entreprise hasardeuse ! » (Ziyad Baroud)

C’est autour des enjeux de cette « entreprise hasardeuse » pour le Liban que Me Ziyad Baroud a échangé avec la centaine d’invités de la paroisse de la cathédrale Saint-Grégoire-et- Saint-Élie à Beyrouth, le vendredi 25 avril. La question centrale débattue dans cette rencontre participative a couvert le lien entre le devoir de mémoire et la paix, avec la justice comme instance capable d’assurer ce pont menant à un avenir porteur d’espoir pour le Liban.

Le sujet s’inscrit dans le cadre de la devise patriarcale du cardinal Agagianian « Paix et justice » qu’il a concrétisée tout au long de son parcours, et qui lui a presque valu d’être élu pape à deux reprises lors des conclaves de 1958 et 1963.

Au moment du souvenir du 110e anniversaire du génocide des Arméniens ainsi que du 50e anniversaire du début de la guerre civile au Liban, Ziyad Baroud a rendu hommage au million et demi de victimes arméniennes de 1915 et leurs descendants qui portent « jusqu’à ce jour les stigmates d’un négationnisme aveugle ». Il a par ailleurs exprimé sa solidarité et son respect aux familles affectées par cette tragédie, et aux Libanais arméniens réunis dans la cathédrale, symbolisant elle-même l’histoire et la lutte pour la justice d’un peuple fier et déterminé : « Se souvenir, c’est s’engager inlassablement, contre la haine, la violence, le silence et l’oubli. »

Dès le début de son intervention, Ziyad Baroud pose la question par deux fois au public : « Comment tourner la page sans l’avoir lue ? » Reconnaître avec courage et humilité les erreurs et injustices commises par le passé constitue le seul chemin vers une paix durable. Dans ce cadre, l’exercice de la mémoire ne se limite plus à un simple retour en arrière : il est orienté vers l’avenir, incitant à la vigilance et permettant d’éviter de perpétuer les erreurs du passé, ou de sombrer dans la même spirale des conflits sans issue. En reconnaissant leurs erreurs, les « oppresseurs » ou « bourreaux » offrent aux « opprimés » ou « victimes » un moyen de dépasser leur deuil, leur douleur ou leur perte. D’après Me Baroud, « la réparation pour ces victimes est pure, elle transcende le châtiment ». Il s’agit en priorité du besoin de recevoir une compensation morale et d’une reconnaissance de la vérité autour d’un événement traumatisant ayant touché la vie des victimes, de leurs proches et de leur descendance.

Face à une résistance au Liban par rapport aux souvenirs de la guerre de 1975, le travail de mémoire devient par conséquent un chemin obligé vers la réconciliation et une paix plus durable. Sur le plan de la psychologie individuelle, Ziyad Baroud cite la psychologue Myrna Gannagé et le psychanalyste François Villa qui respectivement s’interrogent et répondent : « Peut-on parler de résistance aux souvenirs ? Y a-t-il des effacements nécessaires à la survie post-traumatique ? » (M. Gannagé). « La mémoire n’est pas un but, mais un chemin » (F. Villa).

Cependant, le cas du Liban que Ziyad Baroud perçoit en matière de devoir de mémoire et de justice se heurte à deux obstacles de taille qui empêchent la formulation d’une mémoire collective unifiée : d’une part, l’impunité accordée aux « oppresseurs » par la loi sur l’amnistie de 1991, entravant le droit des victimes à connaître la vérité quant aux préjudices subis et empêchant une prise de responsabilité des « bourreaux » face à des crimes commis. D’autre part, le risque de formation de différentes mémoires individuelles à travers les histoires de guerre racontées en famille. Celles-ci peuvent véhiculer des idées reçues comme l’héroïsme de guerre marquant les jeunes générations qui pourraient sombrer dans la tentation de reprendre les armes.

Les thèmes et questions soulevés par l’audience ont touché un spectre de sujets d’actualité et tournés vers l’avenir du Liban : le besoin de vérité des victimes du port de Beyrouth, le sort des disparus lors de la guerre civile libanaise, le rôle des autorités religieuses pour l’unité et la paix, l’éducation au sein des écoles et la responsabilité des parents quant à la transmission d’une mémoire complète, objective et porteuse de messages de paix.

Ziyad Baroud a insisté sur le rôle nécessaire des commissions de vérité et de réconciliation, démarche que le Liban n’a pas encore entreprise. Par ailleurs, il a mentionné le rôle-clé de l’éducation dans les écoles et les universités en termes d’apprentissage d’une mémoire objective, mais mentionne l’incapacité des instances académiques à mettre à jour le programme d’histoire du Liban à partir de 1975, preuve que le travail de mémoire n’a pas encore été accompli au niveau politique.

Il estime que les autorités religieuses au niveau global ont déjà entrepris des efforts pour l’unité entre les principales religions et véhiculent de forts messages de paix comme le « Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence » en 2019. Cependant, le problème réside au niveau d’un fanatisme galopant où la religion est utilisée à des fins de conflits.

Quelques jeunes invités quant à eux sont intervenus sur le sujet du départ des cerveaux du Liban, qui s’est accéléré depuis la crise, et des potentielles solutions afin que les jeunes Libanais s’approprient cette mémoire collective. Ziyad Baroud a fait sourire l’audience en admettant qu’il trouvait normal que les jeunes du Liban « quittent un peu le pays ». Le « un peu » laissant entrevoir une note d’espoir pour un retour potentiel : les jeunes qui sont partis reviendront au pays après avoir fait leurs études et acquis une expérience professionnelle, en vue des avantages de taille que sont les valeurs familiales et la solidarité au sein de la société libanaise. À condition cependant que le Liban puisse leur offrir un minimum décent de stabilité, de valeurs, et une logistique pratique à la hauteur de leurs attentes. Par ailleurs, il a estimé que les jeunes d’aujourd’hui souhaitent s’informer sur le passé de leur pays et le comprendre, et même si l’information est accessible pour tous sur la Toile, le risque d’une désinformation est important.

Ziyad Baroud a effectué une transition positive sur la mémoire et l’avenir dans le cas du Liban en citant le philosophe Paul Ricoeur : « La mémoire est la gardienne du passé, mais aussi le ferment du futur », pour éviter que la paix ne soit « un simple silence entre deux conflits ». Il a insisté sur la nécessité de réformer le système, de clôturer des dossiers comme celui des disparitions forcées, le livre d’histoire du Liban et les procès succédant à la loi d’amnistie de 1991. Il a mentionné par ailleurs les efforts et réalisations de la société civile libanaise multiculturelle et multiconfessionnelle dans ce domaine.

Il a remémoré la grandeur de quelques pères fondateurs du Liban, comme Youssef Beik Karam, les frères Rahbani et Feyrouz, le patriarche Hoayek, l’imam Moussa Sadr, Abdel Kader al-Jazairi… en déclarant que « toute mémoire n’est pas dans le sang, parfois elle dit l’encens et le miel ».

Enfin, Ziyad Baroud a conclu son intervention par une image porteuse d’espoir : « Demain, quand le cardinal Grégoire Pierre Agagianian recevra les nobles insignes bien mérités de la béatification, sa devise patriarcale « Paix et justice » sera gravée à jamais dans notre mémoire collective. »

Membre du conseil paroissial de la cathédrale Saint-Grégoire- et-Saint-Élie

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

« L’exercice de mémoire est un processus salutaire de guérison, un acte courageux qui permet à la fois aveu, pardon et réconciliation. Quelle entreprise hasardeuse ! » (Ziyad Baroud)C’est autour des enjeux de cette « entreprise hasardeuse » pour le Liban que Me Ziyad Baroud a échangé avec la centaine d’invités de la paroisse de la cathédrale Saint-Grégoire-et- Saint-Élie à Beyrouth, le vendredi 25 avril. La question centrale débattue dans cette rencontre participative a couvert le lien entre le devoir de mémoire et la paix, avec la justice comme instance capable d’assurer ce pont menant à un avenir porteur d’espoir pour le Liban.Le sujet s’inscrit dans le cadre de la devise patriarcale du cardinal Agagianian « Paix et justice » qu’il a concrétisée tout au long de son...
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