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Monde - Reportage

À la frontière entre les deux Corées, des touristes, de l’art et des slogans pour l’unification

« L’Orient-Le Jour » s’est rendu dans deux lieux emblématiques au sud de la zone démilitarisée, dans la région de Paju.

À la frontière entre les deux Corées, des touristes, de l’art et des slogans pour l’unification

Des touristes se prenant en photo devant l’observatoire d’Ondusan. Photo C.G.

Un Canadien, une Libanaise et une Lituanienne sont assis à une même table et discutent, inévitablement, de leurs frontières et des craintes causées par leurs voisins « envahissants ». La scène, qui commence comme une blague mais est loin d’en être une, a lieu lors d’un repas organisé dans le cadre de la Conférence mondiale des journalistes, organisée fin mars par l’Association des journalistes coréens (JAK), à Séoul. Aucun Coréen n’est à table pour parler de ses propres relations de mauvais voisinage. Pas grave, celles-ci feront l’objet de visites en deux lieux emblématiques de la région de Paju, au sud du 38e parallèle, à environ une heure de route au nord de Séoul.

Les sites visités par L’Orient-Le Jour sont situés dans la « Zone de contrôle civile » au sud de la zone démilitarisée (DMZ) qui démarque les deux Corées. Les derniers 70 kilomètres séparant la capitale de cette région voient serpenter le fleuve Han, entouré de roseaux et de végétation sèche… et d’autant de fils barbelés et de miradors visant à repérer toute tentative d’infiltration de déserteurs nord-coréens qui seraient tentés de braver le courant et le froid pour remonter le large cours d’eau. Cette vision d’une frontière barricadée fait écho à cette déclaration du président de la JAK, Park Jong Hyun, dans son discours d’ouverture de la conférence : « La Corée du Sud maintient l’un des dispositifs de sécurité les plus solides au monde. »

« Paju, porte de l’unification »

Et cela est notamment visible lors du passage dans la Zone de contrôle civile, qui marque une couche de sécurité supplémentaire au sud de la DMZ. Pourtant, au-dessus des regards renfrognés et alertes des soldats sud-coréens, lors du processus de vérification des passeports et autorisations d’entrée dans la zone, un grand panneau incarne le paradoxe observé le long de la DMZ. « Paju, la porte de l’unification », peut-on lire sur cette grande arche de fer, sous laquelle se pressent véhicules militaires et bus de touristes. Un désir d’unification des deux pays devenu politique officielle de la Corée du Sud vis-à-vis du Nord, avec notamment un ministère dédié depuis 1969, soit 16 ans après le cessez-le-feu décrété entre les deux pays, après la guerre de 1950-1953.

Un panneau « Paju, porte de l’unification », sur le pont de Tongil, à Paju, en octobre 2024. Photo d’archives AFP

Cette contradiction, entre les barbelés et les slogans pour « la paix et l’unification » se renforce avec l’arrivée à Camp Greaves, une ancienne base de l’armée américaine, qui y est restée postée pendant plus d’un demi-siècle après 1953, jusqu’à ce que le terrain soit remis au gouvernement coréen en 2007. Depuis, ce camp a été transformé en « infrastructure pour expérimenter la paix et la sécurité », et propose une exposition d’installations artistiques placées dans les anciens bâtiments militaires.


Une installation artistique en jeux de lumière, de l’artiste sud-coréen Lee Seung-geun, à Camp Greaves. Photo DR

Par moments résonnent sur le site des « coups de feu » qui ne manquent pas de faire sursauter les visiteurs. S’il ne s’agit que d’une bande sonore provenant d’une autre salle transformée en exposition sur la guerre, ces détonations ne manquent pas de rappeler la présence, à quelques kilomètres seulement, de l’armée nord-coréenne et de son million de soldats actifs. Armée répondant aux ordres d’un Kim Jong-un qui a balayé d’un revers de main en janvier 2024 toute intention de réunification avec le Sud.

Arme sonore nord-coréenne

Retour dans la région de Paju, à Odusan, où la « Tour de l’unification » veut renforcer encore la politique sud-coréenne de main tendue. Ce site se présente comme un « observatoire » établi en 1992 pour « consoler les familles » divisées suite à la partition de la péninsule coréenne en 1945, de moins en moins nombreuses en raison de la disparition progressive des personnes concernées.

À l’observatoire d’Odusan, l’on comprend mieux la signification d’un célèbre poème de la première moitié du XXe siècle parlant de cette séparation des familles et qui évoque « la fonte du fleuve gelé » qui rouvrira la voie aux bateaux et aux retrouvailles. La tour d’Odusan est en effet en grande partie bordée par le fleuve Han qui, de ses quelques centaines de mètres de largeur seulement, sépare les deux Corées. « Aujourd’hui, j’ai attendu sur la rive en vain », disait le poète Kim Tong-hwan, tandis que des dizaines d’années plus tard, des touristes se tiennent sur cette même rive, tentant d’apercevoir, à l’aide de jumelles, des bâtiments ou agriculteurs nord-coréens, visibles à travers la brume.

Des journalistes et touristes sur le toit de la « Tour de l’unification » d’Ondusan. Photo DR

Au centre de la plateforme installée sur le toit de l’observatoire, une autre installation artistique représentant deux longs porte-voix symbolise la communication entre les deux parties de la péninsule. Il n’est toutefois pas certain que, si ces appareils étaient autre chose qu’une œuvre d’art, les voix qui en sortiraient seraient entendues, parasitées par des enregistrements assourdissants, comme ceux d’un chantier et de tôles métalliques qui s’entrechoquent, provenant de haut-parleurs de l’armée nord-coréenne.

Selon certains témoignages publiés dans la presse internationale ces derniers mois, cette pratique rend insupportable la vie des habitants de villages du sud de la DMZ. Il s’agit là d’une des ripostes de Pyongyang à la diffusion par Séoul de « concerts » du groupe K-pop ou d’extraits de discours prodémocratie à l’attention des villages nord-coréens frontaliers. Un autre type de guerre psychologique que le vrombissement permanent des drones israéliens au-dessus du Liban pendant la dernière guerre entre le Hezbollah et Israël.

« Obligation morale » ou « pas si nécessaire » ?

Ce sentiment de « paradoxe » de la DMZ illustre par ailleurs un décalage entre les politiques officielles des uns et des autres et les réactions des habitants. Là où en effet Séoul fait de l’unification une « obligation morale », selon le ministre de l’Unification Kim Yung-ho dans une déclaration à Washington en octobre 2024, les Sud-Coréens semblent prendre leurs distances vis-à-vis de cette politique.


Au loin à travers la brume, la Corée du Nord. Photo C.G.

Selon un sondage réalisé en 2024 par l’agence Statista, seuls 37 % de la population estiment qu’une unification est « nécessaire », le chiffre le plus bas obtenu par cette étude renouvelée annuellement depuis 2007. « Je ne pense pas que l’on verra la réunification de sitôt », confiait un guide touristique, avant d’appeler à un « dialogue sur des questions stratégiques, commerciales, économiques, voire liées au tourisme ».

De Paju à Maroun el-Rass

Ce paradoxe est assorti d’une volonté claire de « touristification » de la région frontalière entre les deux Corées, qui semble porter ses fruits. La tour d’Odusan se targue d’avoir, depuis son inauguration, accueilli près de 1,9 million de visiteurs. Ce sont autant de touristes, étrangers ou locaux, qui ont été exposés aux slogans d’unification et de paix étalés sur les murs de ce site et des autres points touristiques de la DMZ.

Au Liban-Sud, les principaux sites évoquant les guerres avec Israël étaient tenus par le Hezbollah et propageaient donc son narratif. L’un d’entre eux, le « jardin de Jérusalem » à Maroun el-Rass, à quelques mètres de la ligne bleue, a été quasiment rasé par des frappes depuis le 8 octobre 2023. De l’autre côté du mur de barbelés et de béton israélien, l’État hébreu a récemment organisé une « retraite » de juifs ultraorthodoxes sur un site transfrontalier « sacré ». Avec le déploiement de l’armée libanaise et le désarmement du parti chiite au sud du Litani, pourrait-on imaginer une « Paju-isation » de la ligne bleue ?

Un Canadien, une Libanaise et une Lituanienne sont assis à une même table et discutent, inévitablement, de leurs frontières et des craintes causées par leurs voisins « envahissants ». La scène, qui commence comme une blague mais est loin d’en être une, a lieu lors d’un repas organisé dans le cadre de la Conférence mondiale des journalistes, organisée fin mars par l’Association des journalistes coréens (JAK), à Séoul. Aucun Coréen n’est à table pour parler de ses propres relations de mauvais voisinage. Pas grave, celles-ci feront l’objet de visites en deux lieux emblématiques de la région de Paju, au sud du 38e parallèle, à environ une heure de route au nord de Séoul.Les sites visités par L’Orient-Le Jour sont situés dans la « Zone de contrôle civile » au sud de la zone démilitarisée (DMZ) qui...
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