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Idées - Point de vue

Lettre d’un prisonnier politique palestinien aux États-Unis

Le 18 mars dernier, 9 jours après son arrestation, Mahmoud Khalil, porte-parole du mouvement étudiant plaidant pour le désinvestissement de Columbia de ses liens financiers avec Israël, a fait publier cette lettre ouverte dictée de sa cellule sur son site internet. Désormais accusé de soutien au Hamas, il risque l’expulsion bien qu’il n’ait pas encore été inculpé. « L’Orient-Le Jour » a choisi de republier l’intégralité de cette lettre ouverte en français.

Lettre d’un prisonnier politique palestinien aux États-Unis

Mahmoud Khalil, étudiant à l’Université de Columbia, s’adresse à la presse lors d’un point presse organisé par des manifestants propalestiniens à New York, le 1er juin 2024. Photo Selcuk Acar/Anadolu via AFP

Je m’appelle Mahmoud Khalil et je suis un prisonnier politique. Je vous écris depuis un centre de détention en Louisiane où je me réveille par des matins froids et passe de longues journées à témoigner des injustices silencieuses commises à l’encontre d’un grand nombre de personnes exclues de la protection de la loi.

Qui a le droit d’avoir des droits ? Certainement pas les personnes entassées dans les cellules ici. Pas le Sénégalais que j’ai rencontré, privé de liberté depuis un an, dont la situation juridique est en suspens et dont la famille se trouve à l’autre bout du monde. Ni ce détenu de 21 ans qui a mis le pied dans ce pays à l’âge de neuf ans, pour être expulsé sans même une audience.

La justice est absente des enceintes des centres d’immigration de ce pays.

Le 8 mars, j’ai été emmené par des agents du DHS (le département de la Sécurité intérieure des États-Unis, NDLR) qui ont refusé de fournir un mandat et qui nous ont accostés, ma femme et moi, alors que nous rentrions d’un dîner. Les images de cette nuit-là ont été rendues publiques. Avant que je ne comprenne ce qui se passait, les agents m’ont menotté et m’ont fait monter de force dans une voiture banalisée. À ce moment-là, ma seule préoccupation était la sécurité de Noor. Je ne savais pas si elle serait emmenée elle aussi, car les agents avaient menacé de l’arrêter si elle ne me quittait pas. Le DHS n’a rien voulu me dire pendant des heures – je ne connaissais pas la cause de mon arrestation et je ne savais pas si je risquais l’expulsion immédiate. Au 26 Federal Plaza, j’ai dormi sur le sol froid. Au petit matin, des agents m’ont transporté dans un autre centre à Elizabeth, dans le New Jersey. Là, j’ai dormi à même le sol et on m’a refusé une couverture malgré ma demande.

Mon arrestation a été la conséquence directe de l’exercice de mon droit à la liberté d’expression, alors que je plaidais pour une Palestine libre et pour la fin du génocide à Gaza, qui a repris de plus belle lundi (17 mars au) soir. Le cessez-le-feu de janvier ayant été rompu, les parents de Gaza bercent à nouveau des linceuls trop petits et les familles sont obligées de peser la famine et le déplacement contre les bombes. Il est de notre devoir moral de poursuivre la lutte pour leur liberté totale.

Je suis né dans un camp de réfugiés palestiniens en Syrie, dans une famille qui a été déplacée de sa terre depuis la Nakba de 1948. J’ai passé ma jeunesse à proximité de ma patrie tout en en étant éloigné. Mais être palestinien est une expérience qui transcende les frontières. Je vois dans ma situation des similitudes avec l’utilisation par Israël de la détention administrative– emprisonnement sans procès ni inculpation – pour priver les Palestiniens de leurs droits. Je pense à notre ami Omar Khatib, qui a été incarcéré sans inculpation ni jugement par Israël alors qu’il rentrait chez lui après un voyage. Je pense au directeur de l’hôpital de Gaza et pédiatre, le Dr Hussam Abu Safiya, qui a été fait prisonnier par l’armée israélienne le 27 décembre et qui se trouve encore aujourd’hui dans un camp de torture israélien. Pour les Palestiniens, l’emprisonnement sans procédure régulière est monnaie courante.

J’ai toujours pensé que mon devoir n’était pas seulement de me libérer de l’oppresseur, mais aussi de libérer mes oppresseurs de leur haine et de leur peur. Ma détention injuste est révélatrice du racisme antipalestinien dont les administrations Biden et Trump ont fait preuve au cours des 16 derniers mois, alors que les États-Unis ont continué à fournir à Israël des armes pour tuer les Palestiniens et ont empêché toute intervention internationale. Pendant des décennies, le racisme antipalestinien a motivé les efforts visant à étendre les lois et les pratiques américaines qui sont utilisées pour réprimer violemment les Palestiniens, les Arabo-Américains et d’autres communautés. C’est précisément pour cette raison que je suis pris pour cible.

Alors que j’attends des décisions juridiques qui mettent en jeu l’avenir de ma femme et de mon enfant, ceux qui ont permis que je sois pris pour cible restent confortablement installés à l’université de Columbia. Les présidents Shafik, Armstrong et le doyen Yarhi-Milo ont préparé le terrain pour que le gouvernement américain me prenne pour cible en sanctionnant arbitrairement des étudiants propalestiniens et en laissant libre cours à des campagnes virales de dénigrement fondées sur le racisme et la désinformation.

Columbia m’a pris pour cible en raison de mon militantisme, en créant un nouveau bureau disciplinaire autoritaire pour contourner les procédures régulières et réduire au silence les étudiants qui critiquent Israël. Columbia a cédé à la pression fédérale en divulguant les dossiers des étudiants au Congrès et en cédant aux dernières menaces de l’administration Trump. Mon arrestation, l’expulsion ou la suspension d’au moins 22 étudiants de Columbia – certains dépouillés de leur diplôme de licence quelques semaines avant l’obtention de leur diplôme – et l’expulsion du président de SWC, Grant Miner, à la veille des négociations contractuelles, en sont des exemples clairs.

Au contraire, ma détention témoigne de la force du mouvement étudiant pour faire évoluer l’opinion publique vers la libération de la Palestine. Les étudiants sont depuis longtemps à l’avant-garde du changement : ils ont mené la charge contre la guerre du Viêt Nam, se sont tenus en première ligne du mouvement pour les droits civiques et ont mené la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. Aujourd’hui encore, même si le public ne l’a pas encore pleinement compris, ce sont les étudiants qui nous guident vers la vérité et la justice.

L’administration Trump me prend pour cible dans le cadre d’une stratégie plus large visant à supprimer la dissidence. Les détenteurs de visa, de Green Card et les citoyens seront tous ciblés pour leurs convictions politiques. Dans les semaines à venir, les étudiants, les militants et les élus doivent s’unir pour défendre le droit de manifester pour la Palestine. Ce ne sont pas seulement nos voix qui sont en jeu, mais les libertés civiles fondamentales de tous.

Sachant parfaitement que ce moment transcende ma situation personnelle, j’espère néanmoins être libre d’assister à la naissance de mon premier enfant.

Militant palestinien

Je m’appelle Mahmoud Khalil et je suis un prisonnier politique. Je vous écris depuis un centre de détention en Louisiane où je me réveille par des matins froids et passe de longues journées à témoigner des injustices silencieuses commises à l’encontre d’un grand nombre de personnes exclues de la protection de la loi. Qui a le droit d’avoir des droits ? Certainement pas les personnes entassées dans les cellules ici. Pas le Sénégalais que j’ai rencontré, privé de liberté depuis un an, dont la situation juridique est en suspens et dont la famille se trouve à l’autre bout du monde. Ni ce détenu de 21 ans qui a mis le pied dans ce pays à l’âge de neuf ans, pour être expulsé sans même une audience. La justice est absente des enceintes des centres d’immigration de ce pays. Le 8 mars, j’ai été emmené par...
commentaires (3)

Merci d’avoir publié cette lettre.

Eddé Dominique 4037

11 h 42, le 11 avril 2025

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Commentaires (3)

  • Merci d’avoir publié cette lettre.

    Eddé Dominique 4037

    11 h 42, le 11 avril 2025

  • Bla Bla Bla… Bla! Mahmoud Khalil ne semble pas avoir compris que la racine de la calamité qui s’est abattue sur Gaza a sa source dans l’énorme injustice que le Hamas a perpétré: le meurtre de 1250 citoyens israéliens et l’enlèvement de 250 autres. Si, au lieu de geindre sur son sort, M. Khalil (et tous ses petits copains) avait appelé à la libération des otages et à la punition des meurtriers, beaucoup de vies auraient été épargnées à Gaza. M. Khalil sera expulsé des USA et pourra voir la naissance de son fils. Les 50k morts d’Israël et de Gaza n’auront pas cette chance. Donc Bla Bla Bla!

    Micheline

    23 h 46, le 05 avril 2025

  • Pourquoi être allé aux Us !!

    JEAN PALVADEAU

    18 h 21, le 05 avril 2025

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