
Les lauréats de la 10e édition du championnat international de débat francophone sont George Moussa (candidat libanais) et Lou Henguelle (candidate internationale). Photo AUF
Cinq minutes chrono. C’est le temps octroyé à chacun des candidats finalistes du championnat international de débat francophone pour argumenter, émouvoir, séduire et convaincre, grâce à sa verve, sa rhétorique et son éloquence, son auditoire mais surtout le jury où siégeaient à cette 10e édition le député Melhem Khalaf, Marie-Claude Najem, ancienne ministre de la Justice et doyenne de la faculté de droit et des sciences politiques à l’USJ (FDSP), Pauline Lahaye, consule et cheffe de mission adjointe à l’ambassade de Belgique, Michel Helou, secrétaire général du Bloc national, Jean-Noël Baléo, directeur régional de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) au Moyen-Orient, en présence du père Daccache, recteur de l’USJ. Organisée par le Service de la vie étudiante à l’USJ et le Club libanais de débat, en partenariat avec l’AUF, la compétition annuelle interdisciplinaire s’est déroulée cette année en mode hybride, en raison de la situation sécuritaire très volatile qui prévaut au Liban. Parmi les 81 participants sélectionnés au départ, seuls 12 ont été retenus pour la grande finale, dont quatre Libanais. Ces derniers se sont retrouvés en présentiel devant le jury dans la salle du conseil, située au cinquième étage du campus de l’innovation et du sport de l’USJ, tandis que les autres, en provenance de pays tels que le Maroc, l’Égypte, le Sénégal, le Togo, la Suisse et la France, étaient en ligne via Zoom. Répartis en deux camps: un gouvernement composé d’un Premier ministre, de deux ministres et d’un secrétaire général, et une opposition formée d’un chef de l’opposition, de deux députés et d’un secrétaire général, les finalistes se sont livrés durant environ deux heures à une véritable joute verbale, à la suite du projet insolite avancé par le Premier ministre: une île qu’aucune loi ne régit et où chacun est libre de s’installer. Une terre où il n’y a ni autorité ni lois. Les uns réfutent cette utopie, les autres la soutiennent. S’ensuit alors un ping-pong argumentatif à fer émoulu où le Léviathan de Thomas Hobbes, Kant, Rousseau, Hugo ou encore Elon Musk sont cités à l’appui. Articulation, débit, choix des mots, intonations et gestuelles sont minutieusement dosés. Si chacun a son style, sa signature, tous semblent avoir compris que tout l’art de raisonner se réduit à l’art de bien parler, comme l’énonce Condillac. Ils ont surtout découvert que la parole n’est pas simplement une manière de résumer l’état des questions sur un sujet quelconque, mais une façon de prendre position dans le débat et d’exprimer une opinion, une pensée.Destinée à remettre au goût du jour le débat et à redonner toute sa place au dialogue dans un monde fracturé et conflictuel, la compétition, qui véhicule un message clair à tous – à savoir que débattre est sans doute plus puissant que se battre –, a célébré la beauté et la richesse de la langue française, « une langue de la clarté » qui a le mérite « de bien dire les choses » et de « proscrire toute forme d’ambiguïté », comme l’a souligné dès le début Jean-Noël Baléo. Elle s’est achevée par l’annonce des vainqueurs: George Moussa (candidat libanais) et Lou Henguelle (candidate internationale) ; tandis que l’étudiante Aya el-Merhaby (Égypte) a reçu les félicitations du jury et Sarah Ouisti (Maroc) a remporté le prix du « meilleur orateur ».
Persévérer et apprendre: les clés du succès
On ne naît pas orateur, on le devient ! C’est ce qu’a découvert George Moussa. Étudiant en deuxième année de droit à l’USJ, le jeune homme de 19 ans avait été éliminé en 2024 à la demi-finale du championnat Interfacultés de débat. Et lors de la 9e édition de ce même championnat, il a eu du mal à atteindre la finale. « Ces deux échecs, lourds à accepter, m’ont encouragé à redoubler d’effort, à continuer d’assister aux entraînements du club et, surtout, à ne pas abandonner. C’est ainsi que cette année, je n’ai manqué aucun entraînement, prenant en compte les conseils et recommandations de mes aînés, et apprenant de leurs expériences », confie-t-il.
« Le plus grand problème que je rencontrais est ma fixation sur la forme de mon discours au lieu du fond. Ainsi j’avais pris l’habitude de me focaliser sur la présentation de mes idées sans accorder suffisamment d’importance à leur logique et à leur teneur », admet-il. « Cependant, le club de débat de l’USJ m’a remodelé ces deux dernières années en une bien meilleure version de moi-même, en renforçant mes points forts et en travaillant sur mes points faibles. Je ne peux ainsi que remercier Karl Makkary, ancien président, et Lynn Zahr, l’actuelle présidente, ainsi que les bureaux du club pour leurs précieux conseils, leur confiance en moi et leurs encouragements sans relâche », tient-il à dire. Invitant chacun à s’investir dans les communautés de débat, le jeune homme, désigné plus jeune arbitre international d’échecs de l’histoire du Liban et champion du monde en Microsoft Word (2023), affirme que « débattre n’est pas seulement la capacité à improviser un bon discours ou à rechercher des informations sur un sujet donné ». « Débattre, estime-t-il, c’est rencontrer de nouvelles personnes de milieux différents, écouter l’autre et apprendre à changer d’avis. »
Primée deux fois d’affilée, Lou Nahia Flore Henguelle, 22 ans, est en 5e année de master en affaires publiques en Europe à Sciences Po Lille. La jeune étudiante française est également joueuse professionnelle du sport électronique (esport) VALORANT (un jeu vidéo de tir tactique à la première personne) dans l’équipe Zerance et influenceuse sur les médias sociaux: Twitch, Twitter, Instagram, etc.
Proche de l’association d’art oratoire de Sciences Po « Le Bec et la Plume » qui lui a donné goût au débat et l’a formée, elle avoue que le championnat international de débat francophone est devenu l’un de ses rendez-vous préférés de l’année. « Depuis que j’ai eu la chance de me qualifier pour la finale au Liban en 2022, je suis tombée amoureuse du pays et de l’USJ, et je garde de très bonnes relations avec les Alumni de l’école qui organisaient le concours à l’époque », confie-t-elle, avant de poursuivre: « Pouvoir se mesurer à la fois en équipe avec un argumentaire solide, mais aussi les uns contre les autres – au sein même de l’équipe – sur la performance orale, est une opportunité qu’on ne trouve nulle part ailleurs et les rencontres qu’on fait sont incroyables ! Je suis très contente de pouvoir débattre avec des orateurs des quatre coins du monde. »
La lauréate française, qui essaie d’aider les jeunes recrues à se perfectionner, notamment les jeunes femmes à prendre confiance en elles lorsqu’elles arrivent dans des grandes écoles, dans des milieux oratoires et de plaidoirie, essentiellement masculins, admet que le championnat lui a appris à être « ouverte d’esprit ». « On doit préparer des sujets avec des gens qui ont des sensibilités différentes, dont les réalités politiques actuelles dans leur pays sont différentes des nôtres. Et je dirais que ce championnat m’a appris à écouter avant toute chose – en tant que secrétaire générale (NDLR: de l’opposition), c’est d’autant plus important–, écouter ses adversaires comme ses alliés avec bonne foi et sans démagogie pour étayer le débat d’arguments construits », ajoute-elle encore.
L’impact du débat sur les compétences intellectuelles et oratoires des étudiants
Interrogée sur l’impact pédagogique et intellectuel de cette activité, Marie-Claude Najem, doyenne de la FDSP, a estimé que le débat aide les étudiants à renforcer leurs compétences à plus d’un niveau. « D’abord, le fait de s’entraîner à construire des arguments solides pour défendre un point de vue, à avoir un raisonnement logique et clair, à préparer la réponse aux arguments des autres, à anticiper les contre-arguments potentiels… nécessite tout un effort au niveau de la réflexion intellectuelle relativement rapide, d’autant que les étudiants tirent le sujet juste avant le débat. » Structurer donc son intervention: savoir démarrer, construire, développer et terminer. Mais pas seulement. « Je pense qu’à l’époque de l’intelligence artificielle et de l’écrit avec ChatGPT, les méthodes d’évaluation vont de plus en plus vers l’oral. Il est donc très important pour eux de pouvoir rédiger et surtout s’exprimer oralement », avance-t-elle encore, avant de souligner que les étudiants apprennent également à maîtriser l’art du débat. « Le fait d’apprendre à écouter et à respecter l’autre, à répondre et à débattre d’idées, à ne pas être dans un combat, mais vraiment dans un échange, à confronter des arguments et à apprendre comment se forger une opinion, leur enseigne l’art de la rhétorique et du débat, l’art du respect et de l’écoute de l’autre », ajoute-t-elle.
Rappelant que cette édition se distingue par la participation en ligne de candidats en provenance de l’USJ en Côte d’Ivoire, Gloria Abdo, responsable du service de la vie étudiante, a pour sa part considéré que « la célébration des dix ans de ce championnat est un exploit au niveau de la mission de l’université mais aussi de la liberté d’expression des étudiants ». « Cet exercice nous permet de travailler avec les étudiants au niveau pédagogique, mais aussi au niveau du développement personnel et du développement des valeurs comme l’écoute, l’ouverture vers l’autre et l’empathie », fait-elle remarquer en guise de conclusion.