
Sculpture d'éléphant sur l’île de Méroé au Soudan. Photo Ron Van Oers/Unesco
Au Soudan, où deux généraux – Abdel Fattah el-Burhane et Mohammad Hamdane Dagalo – s’affrontent depuis 2023, l’Unesco s'inquiète des informations faisant état de pillages et dégradations perpétrés par des groupes armés dans plusieurs musées et sites archéologiques, et appelle « le public et les membres du marché de l'art impliqués dans le commerce de biens culturels à s'abstenir d'acquérir ou de participer à l'importation, à l'exportation ou encore au transfert de biens culturels en provenance du Soudan », dont le patrimoine archéologique est très riche bien que souvent méconnu.

Ancien royaume de Koush, qui s’étendait autrefois d’Assouan, en Égypte, jusqu’à la capitale soudanaise actuelle de Khartoum, le Soudan (ou Nubie) a rayonné du VIIIe siècle avant J.-C. au IVe siècle de notre ère, avant d’être détruit par Axoum, le royaume chrétien d’Éthiopie. Ses rois, surnommés les « pharaons noirs » ou « visages brûlés », ont conquis l’Égypte en 747 av. J.-C. et régné sur ce vaste territoire pendant près d’un siècle.
Le Soudan possède cinq sites inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité, notamment la cité de Méroé, capitale de la dernière période du royaume de Koush (IIIᵉ siècle avant J.-C. et le IVᵉ siècle de notre ère), où des informations font état d'activités militaires. Or cette zone abrite « la plus grande concentration de pyramides au monde », selon l’Unesco. Environ 200 à 250 pyramides sont disséminées à travers le désert de Méroé. Presque le double de celles érigées par l’Égypte voisine, mais bien plus petites puisqu’elles ne mesurent qu’entre 9 et 30 mètres de haut. Ses structures renfermaient les sépultures des rois et reines et de nombreux nobles koushites. Leur base en granite et grès est décorée de gravures d’éléphant, de girafe et de gazelle, preuve que la région était constituée autrefois de plaines fertiles. L’antique cité présente également d’exceptionnelles ruines, des temples, des palais, des bâtiments résidentiels, des chambres funéraires peintes taillées dans la roche, ainsi que des zones industrielles et installations majeures de gestion de l'eau. « Ces vestiges architecturaux, uniques par leur typologie et leur technique, offrent une juxtaposition d’éléments structurels et décoratifs de l’Égypte pharaonique, de la Grèce et de Rome, ainsi que d’éléments spécifiques au royaume de Koush. L’ensemble a donné naissance à une esthétique singulière, qui n'a existé et prospéré que dans cette région », relève l’institution onusienne. Celle-ci appelle toutes les parties concernées à respecter le droit international, notamment la Convention de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé.
Les fouilles archéologiques menées à Méroé avaient mis au jour de nombreux objets précieux, notamment des statues, des stèles, des bijoux en or, des céramiques raffinées aux couleurs éclatantes, vertes et bleues, des faïences provenant des bains royaux, etc. En bref, un aperçu d’une partie des collections conservées au musée national du Soudan, qui a été pillé par les miliciens paramilitaires. L’institution muséale abritait dans ses réserves 100 000 objets allant du paléolithique à la période islamique, provenant de toutes les civilisations de la vallée du Nil, notamment de Kerma (l'un des plus grands sites archéologiques de la Haute-Nubie), et de Napata (la capitale de la « deuxième période » du royaume de Koush après Kerma et avant Méroé), auxquels il faut ajouter des fresques de la cathédrale de Faras (ou Pachoras, important centre de commerce et centre religieux). Construite en 707, elle fut excavée des sables du désert nubien par une équipe archéologique polonaise. Le musée inclut également un bâtiment principal où sont exposés trois petits temples déplacés avant l’inondation des terres par le lac Nasser et un jardin avec une reproduction miniature du Nil.

Le 3 juin 2023, le directeur du musée déclarait à Reuters que des combattants soudanais ont pris le contrôle du musée national de Khartoum. Durant l'année 2024, une chaîne de télévision soudanaise affirmait que « certaines pièces des collections ont fait l’objet de trafic en dehors des frontières sud de la nation ». « Des objets archéologiques stockés ont été chargés dans des camions qui se sont dirigés vers des zones frontalières », signale pour sa part Ikhlas Abdel Latif, directrice des musées à l'Autorité nationale des antiquités du Soudan. Des informations confirmées par des images satellite. Le média Middle East Eye a également diffusé des images des combattants miliciens attaquant le laboratoire de bio-archéologie à Khartoum où étaient conservés des squelettes humains de 3300-3000 avant J.-C. Le Regional Network for Cultural Rights tire la sonnette d'alarme pour les vestiges du royaume de Koush, et dénonce l'incursion des Forces de soutien rapide (FSR) sur les sites de Naqa et de Musawwarat es-Sofra dans le royaume de Méroé. Selon le Jordan Times, l’attaque contre le patrimoine culturel serait plus qu’un dommage collatéral de la guerre : il s’agirait d’une tentative d'effacer l’histoire et le patrimoine national.
La Maison Khalifa et l’Arrol-Johnston
L’Unesco indique suivre attentivement les exactions survenues dans d’autres musées, comme celui de Nyala au Darfour, un musée local dont les collections et le matériel auraient été pillés en juin 2023 selon une conservatrice citée dans les médias. L'organisation tente également d'évaluer l'étendue exacte des dommages subis au Khalifa House Museum d'Omdurman (ville adjacente à Khartoum), dont une partie du bâtiment a été détruite. Là, étaient exposés des objets liés au règne de Mohammad Ahmad Abdallah de 1885 à 1899, qui s’était autoproclamé le Mahdi. Dans la tradition musulmane sunnite, al-Mahdi est un descendant du prophète Mahomet, qui viendra à la fin des temps restaurer la religion musulmane et la justice. Mohammad Ahmad Abdallah avait pris les armes contre les Égyptiens, afin de restaurer un islam authentique dans un pays où l’influence soufie a été importante. Ce musée ethnographique conservait des objets lui ayant appartenu, à savoir des cottes de mailles (type d’armure), des épées et des effets personnels, mais aussi des pièces de monnaie et des billets de banque mahdistes, un véhicule Arrol-Johnston, premier véhicule tout-terrain au monde et première voiture au Soudan. De nombreuses archives ont en outre été perdues dans les musées et bibliothèques, indique l’ONG Heritage for Peace. L'Unesco a réitéré ses appels aux membres du marché de l’art à s’abstenir d’acquérir les biens culturels en provenance du Soudan.
« Toute vente ou déplacement illégal de ces biens entraînerait la disparition d'une partie de l'identité culturelle soudanaise et compromettrait le redressement du pays », ajoute l’organisation onusienne, précisant qu'une formation est prévue au Caire (Égypte) « pour les forces de l'ordre et les acteurs des systèmes judiciaires des pays limitrophes du Soudan ».
Quel tristesse !
00 h 02, le 04 avril 2025