
De la fumée s'élève au-dessus du village syrien de Koayiah à la frontière-sud après un bombardement israélien, le 25 mars 2025. Photo AFP/JALAA MAREY
Les États-Unis ont remis à la Syrie une liste de conditions qu'ils souhaitent voir remplies par Damas en échange d'un allègement partiel des sanctions, ont confié à l'agence Reuters six personnes au fait du dossier. L’une de ces exigences est que des étrangers n'occupent pas de postes dans la nouvelle administration syrienne.
Le secrétaire adjoint américain pour le Levant et la Syrie, Natasha Franceschi, a remis cette liste de conditions au ministre syrien des Affaires étrangères, Assaad al-Chaibani, au cours d'une réunion en marge d'une conférence de donateurs pour la Syrie à Bruxelles le 18 mars. Ni la liste ni la réunion, qui constituent le premier contact direct de haut niveau entre Damas et Washington depuis que le président américain Donald Trump a pris ses fonctions le 20 janvier, n'ont été rapportés précédemment.
Reuters s'est entretenu avec six sources pour cet article, dont deux responsables américains, une source syrienne, un diplomate régional et deux sources à Washington au fait du dossier. Toutes ces sources ont requis l'anonymat pour discuter de ce sujet qui relève de la diplomatie de haut niveau.
Selon les deux responsables américains, la source syrienne et les deux sources à Washington, les États-Unis posent comme conditions la destruction par la Syrie de toutes les réserves d'armes chimiques restantes et la coopération en matière de lutte contre le terrorisme. Les responsables américains et l'une des sources à Washington ont également indiqué qu'il fallait s'assurer que les combattants étrangers n'occupent pas des postes de haut niveau dans la nouvelle structure gouvernementale syrienne.
Damas a déjà nommé d'anciens rebelles étrangers, dont des Ouïghours, un Jordanien et un Turc au ministère de la défense, une décision qui a alarmé les gouvernements étrangers.
Selon les mêmes sources Washington a également demandé à la Syrie de nommer un agent de liaison pour aider les États-Unis à retrouver Austin Tice, un journaliste américain disparu en Syrie il y a plus de dix ans. En échange du respect de toutes ces conditions, Washington accorderait un certain allègement des sanctions, ajoute-t-on sans préciser la nature de l'allègement proposé ni son calendrier précis.
Le ministère syrien des Affaires étrangères et le département d'État américain n'ont pas répondu aux demandes de commentaires.
La Syrie a désespérément besoin d'un allègement des sanctions pour relancer une économie effondrée par près de 14 années de guerre, au cours desquelles les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Europe ont imposé des sanctions sévères à des particuliers, des entreprises et des secteurs entiers de l'économie syrienne dans le but de faire pression sur le dirigeant Bachar el-Assad, aujourd'hui déchu.
Certaines de ces sanctions ont été provisoirement suspendues, avec un effet limité. Les États-Unis ont délivré un permis général de six mois en janvier afin de faciliter l'acheminement de l'aide humanitaire, mais cette mesure n'a pas été jugée suffisante pour permettre au Qatar de payer les salaires du secteur public par l'intermédiaire de la Banque centrale syrienne.
Des responsables syriens, dont M. Chaibani et le président par intérim Ahmed el-Chareh, demandent la levée totale des sanctions, estimant qu'il est injuste de les maintenir après le renversement de l'ancien régime après une offensive éclair des rebelles en décembre.
Divergences de vues à Washington sur la Syrie
La communication de ces demandes américaines aux autorités syriennes est l’indicateur le plus explicite à ce jour de la nature de la politique de l'administration Trump sur la Syrie. Les déclarations US mettent l'accent sur le soutien aux minorités et la condamnation de l'extrémisme islamiste, mais elles n'ont pas dit grand-chose d'autre, laissant planer l'incertitude sur l'avenir des sanctions et sur le maintien du déploiement des forces américaines dans le Nord-Est.
Cela s'explique en partie par les divergences de vues à Washington sur la manière d'aborder le dossier syrien. Selon des diplomates et des sources américaines au fait du processus d'élaboration de la politique US en Syrie, certains responsables à la Maison Blanche ont tenu à adopter une position plus dure, estimant que les liens passés des nouveaux dirigeants syriens avec el-Qaëda sont une raison suffisante pour limiter l'engagement dans ce pays au minimum.
Le département d'État a cherché à adopter une approche plus nuancée sur la Syrie, en identifiant des domaines d'engagement possibles, selon ces mêmes sources.
Ces divergences ont conduit au début du mois à une discussion animée entre la Maison Blanche et le département d'État sur une déclaration du secrétaire d'État américain Marco Rubio dénonçant les violences dans l'ouest de la Syrie, où des centaines de civils de la minorité alaouite - la communauté du clan Assad - ont été tués à la suite d'une embuscade tendue aux nouvelles forces de sécurité par des éléments armés restés fidèles à l'ancien régime. M. Rubio avait condamné « les terroristes islamistes radicaux, y compris les jihadistes étrangers » qui ont perpétré ces violences, et appelé les autorités intérimaires syriennes à réclamer des comptes aux auteurs de ces actes.
La Maison Blanche souhaitait une déclaration plus sévère, tandis que le département d'État a insisté pour qu'elle soit plus équilibrée, selon des sources bien informées. L'administration Trump ne souscrit pas encore totalement aux efforts d'Israël pour décourager l'engagement des États-Unis auprès des nouveaux dirigeants syriens, mais certaines des préoccupations israéliennes trouvent un écho plus favorable auprès de quelques responsables américains.