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Restitution des dépôts au Liban : pour une réforme juste et efficace

Le dernier plan de restitution des dépôts actuellement en cours d’élaboration par le nouveau gouvernement libanais repose principalement sur l’utilisation des actifs de l’État et la génération de revenus issus de la cession d’actifs publics et de la rentabilité des entreprises publiques. Ces revenus sont censés alimenter un fonds de restitution des dépôts, ainsi qu’un compte spécial à la banque centrale, qui sera utilisé pour rembourser la majorité des déposants (en particulier les petits et moyens déposants) sur une période de 10 ans.

Bien que ce plan soit un bon début et repose sur des principes logiques, il manque encore des conditions essentielles pour être complet. Les dépôts peuvent être restitués plus rapidement que la période de 10 ans préconisée si les mesures suivantes sont appliquées.

– Une pénalité ou une taxe doit être appliquée aux déposants et aux banques concernées pour tout transfert de dépôts en devises effectué des banques libanaises vers des comptes à l’étranger après octobre 2019. Cette question a été commodément oubliée, car ces transferts secrets et contraires à l’éthique ont été effectués à huis clos par des déposants ayant des relations étroites avec les propriétaires de banques et des personnes politiquement exposées. Ces transferts ont aggravé la situation de liquidité de la plupart des banques et empêché l’écrasante majorité des déposants d’accéder à leurs fonds pendant cinq ans. Ils ont également contribué à aggraver les décotes imposées quotidiennement aux déposants captifs, la liquidité devenant plus rare et étant utilisée pour faciliter ces transferts secrets. Par conséquent, un audit complet, avec une transparence totale et une divulgation complète, doit être effectué dans chaque banque afin de déterminer les montants exacts transférés et d’identifier les déposants et les banques devant être pénalisés. De plus, des mécanismes d’application stricts doivent être mis en place pour garantir l’application effective des sanctions, y compris une supervision réglementaire et des conséquences juridiques en cas de non-conformité.

– La classification des dépôts par taille doit être clairement définie ou complètement abandonnée. Beaucoup de discussions portent sur la priorité à donner aux petits et moyens déposants, mais il n’est pas clair qui est considéré comme petit, moyen ou grand déposant. De plus, cette classification est simpliste au mieux et démontre un manque de professionnalisme et de rigueur de la part des responsables de la mise en place du plan de restitution des dépôts. Une classification appropriée des dépôts doit être réalisée, en prenant en compte des jugements qualitatifs et subjectifs, sous réserve qu’ils soient effectués par un comité indépendant (dépourvu d’influences politiques et partisanes) composé d’experts nommés. Par exemple, il convient d’analyser rigoureusement des questions telles que : « Un dépôt de 800 000 dollars doit-il être considéré comme un grand dépôt au même titre qu’un dépôt de 10 millions de dollars appartenant à une personne politiquement exposée ? »

– À défaut, aucune classification des dépôts ne doit être effectuée. À la place, l’autorité en charge devrait établir un plan et un calendrier pour restituer des montants spécifiques à chaque déposant dans un délai donné. Par exemple, un plan pourrait prévoir la restitution de jusqu’à 100 000 dollars par dépôt dans un délai d’un an, et ainsi de suite. Cette méthode est plus simple et plus équitable pour chaque type de déposant. Une classification aléatoire compliquerait les choses et laisserait les déposants les plus importants (en particulier ceux ayant un dépôt compris entre 200 000 et 2 millions de dollars) attendre trop longtemps pour tout remboursement. Il est à noter que la tranche de déposants entre 200 000 et 2 millions de dollars représente la population active réelle et contient probablement la plus faible proportion de comptes douteux par rapport aux très grands et ultra-grands déposants.

– Une vérification approfondie doit être menée sur les très grands et ultra-grands déposants (VLD et ULD), en particulier ceux appartenant directement ou indirectement à des personnes politiquement exposées et autres déposants « suspects ». Cela devrait être fait après la classification appropriée des dépôts par taille. Cet audit approfondi et inévitable (il devra être réalisé tôt ou tard) comprend la recherche de l’origine de ces dépôts. Si ces fonds sont jugés obtenus par des moyens illégaux et inéquitables, ils devront être exclus du programme global de restitution des dépôts et/ou abandonnés par le déposant suspect. Pour garantir une mise en œuvre efficace, un organisme d’enquête indépendant devrait être créé, doté du pouvoir d’accéder aux archives bancaires, de mener des audits juricomptables et d’imposer des sanctions légales en cas d’infraction.

Les propriétaires de banques devront procéder à une recapitalisation complète de leurs établissements s’ils veulent éviter la liquidation : il est inacceptable qu’au cours des cinq dernières années (depuis 2019), les banques n’aient pas procédé à une véritable recapitalisation de leur fonds propres de catégorie 1 (capital de base d’une banque, utilisé pour absorber les pertes et garantir la stabilité financière). Les dividendes retirés (en livres libanaises et convertis en dollars au taux de 1 dollar/1 500 livres) et ensuite transférés à l’étranger au cours des 25 dernières années devront être réinjectés dans le capital des banques libanaises. Un cas similaire s’est produit récemment aux États-Unis en 2023 avec Silicon Valley Bank et Signature Bank, qui ont dû rembourser tous les dividendes versés ainsi que les primes passées (y compris celles des dirigeants ayant quitté ces banques avant leur faillite). Les propriétaires de banques libanaises ont généré leurs bénéfices (ou dividendes) grâce à l’afflux massif de dépôts, qui étaient la principale, sinon la seule, source de financement des activités de ces banques. Il est donc logique et équitable de réinjecter ces dividendes dans le capital de catégorie 1. Cette mesure permettrait d’accélérer la restitution des dépôts et de responsabiliser les banques.

La conversion des dépôts en actions bancaires est plus facile à dire qu’à faire : pour que cela se produise et ait une chance de réussir, les actions suivantes doivent être mises en œuvre :

Les banques doivent être cotées à la Bourse de Beyrouth : cela permettrait aux déposants, qui n’auraient d’autre choix que de convertir leur dépôt en actions, de négocier leur maigre 1 % (le nouveau plan ne permet pas de dépasser ce seuil) ou moins sur un marché secondaire bien réglementé et sans droits de préemption pour les propriétaires actuels. Les propriétaires des banques, en n’ayant pas mis en place de contrôles des capitaux dès le début de la crise, en imposant de lourdes décotes aux déposants au cours des cinq dernières années pour réduire la taille totale des dépôts (passant de près de 190 milliards dollars en 2019 à environ 80 milliards dollars aujourd’hui) via des circulaires inefficaces de la banque centrale, et en persistant à ne pas se réinventer durant cette période de cinq ans, ont de facto perdu le privilège de bénéficier de droits de préemption sur les déposants devenus actionnaires.

Les banques doivent être prêtes à établir un plan d’affaires détaillé, à long terme et efficace avant de proposer aux déposants de convertir leurs dépôts en actions. La direction doit également être changée. Il est inconcevable qu’un grand déposant devienne actionnaire avec les mêmes équipes dirigeantes, qui portent une responsabilité majeure dans l’effondrement du secteur bancaire.

En conclusion, le processus de restitution des dépôts est une tâche herculéenne, en particulier compte tenu des ressources limitées et pillées du pays. Les régulateurs et les restructurateurs doivent repartir de zéro et éliminer les querelles philosophiques, telles que les débats sur l’éligibilité des dépôts ou sur la définition d’un grand déposant. Les dépôts doivent être remboursés à tous, par tranches, et ce indépendamment de leur conversion en dollars américains après octobre 2019. Une fois qu’une banque accepte d’effectuer une transaction de conversion, elle ne peut plus légalement la contester avec le déposant.

L’utilisation des actifs de l’État pour rembourser les dépôts est la seule option disponible. L’État, la banque centrale et les banques ont une obligation de plus de 80 milliards de dollars envers les déposants. Toutefois, afin d’éviter une nouvelle mauvaise gestion de ces actifs, un comité de surveillance transparent et indépendant doit être mis en place pour assurer une gouvernance appropriée, une gestion efficace et une reddition des comptes. Cela permettrait de minimiser les risques de corruption et de maximiser les bénéfices publics. Par ailleurs, l’utilisation des actifs de l’État ne peut être que bénéfique à long terme, car elle forcerait les institutions et entreprises publiques à mieux se gérer et à être plus performantes. Elle s’inscrit également dans les réformes requises par le FMI et la communauté internationale, et favoriserait les investissements directs étrangers au Liban, accélérant ainsi le processus de restitution des dépôts et reconstruisant la confiance perdue dans le système financier local.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Le dernier plan de restitution des dépôts actuellement en cours d’élaboration par le nouveau gouvernement libanais repose principalement sur l’utilisation des actifs de l’État et la génération de revenus issus de la cession d’actifs publics et de la rentabilité des entreprises publiques. Ces revenus sont censés alimenter un fonds de restitution des dépôts, ainsi qu’un compte spécial à la banque centrale, qui sera utilisé pour rembourser la majorité des déposants (en particulier les petits et moyens déposants) sur une période de 10 ans.Bien que ce plan soit un bon début et repose sur des principes logiques, il manque encore des conditions essentielles pour être complet. Les dépôts peuvent être restitués plus rapidement que la période de 10 ans préconisée si les mesures suivantes sont appliquées.– Une...
commentaires (2)

Très bel article))

Raed Habib

18 h 55, le 29 mars 2025

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Commentaires (2)

  • Très bel article))

    Raed Habib

    18 h 55, le 29 mars 2025

  • Excellent. En toute logique, en lieu et place d'actifs de l'état, les déposants pourraient aussi être compensés par des crédits d'impôts qui seraient échangeables et bénéficieraient du retour à meilleure fortune des contribuables

    M.E

    15 h 32, le 25 mars 2025

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