
Une collection belle, sophistiquée et puissante. Photo Larissa Hofmann
« En avant, calmes et droites. » La doctrine du Cadre noir, ce corps de cavaliers d’élite, leur va si bien. Au rythme d’une cavalcade zébrée d’accents metal rock, elles avancent, fières et tête haute. Grandes bottes ou talons aiguilles, elles rebattent la terre battue, soulèvent la poussière, intrépides cavales, à travers le labyrinthe géant, théâtre de leurs apparitions successives au cœur de la Garde républicaine. Ce couvent du XVIIIe siècle converti en caserne est l’un des lieux fétiches d’Hermès, maison habitée par l’âme équestre. En ce 8 mars, Journée internationale des femmes, aucun défilé de la semaine parisienne du prêt-à-porter automne-hiver 2025 ne pouvait mieux accompagner l’inlassable, l’inoxydable combat que cette collection tout en puissance, créée par Nadège Vanhee pour Hermès. Le pouvoir ne se demande pas, il se prend, et chez la maison sellière, la forme servant le fond, il se prend avec grâce.
« Comme le fil d’une aventure qui se déroule, une narration secrète »
Avec grâce donc, grâce de coupes nettes, épaules ajustées, tailles accentuées de super-héroïnes, les vêtements d’extérieur se font tout structure, densité et chaleur, protections naturelles soutenues par des doublures, des intérieurs dessinés par des contours doux et des textures enveloppantes. Le feutre, rigoureux et protecteur, devient fonctionnel, coule comme le cuir irrigué de dandysme, qu’il détend, avec lequel il alterne. Des pans audacieux de cuir d’agneau se boutonnent ou se dézippent – élégants et droits. Un denim est renforcé par une interface en cuir. Des cols roulés en soie et cachemire se dressent derrière des cabans en cuir de chèvre grainé. Des hauts en maille fine, filée au rythme d’un motif de zébrures, s’amusent à se dézipper sur toute la ligne qui court du décolleté jusqu’au bout d’une manche. Des vestes longues, d’esprit bombers, en gabardine de soie, jouent la fluidité. Des cols en laine double face révèlent leur personnalité cachée. Des mailles côtelées et des cuirs matelassés aux manches et aux poches généreuses dessinent avec du feutre une silhouette essentielle. La ligne de la couture et la rigueur de l’artisanat font merveille.
Les techniques résonnent les unes avec les autres. Elles répondent aux gestes féminins : envelopper, nouer, plier, révéler. Ainsi de la réversibilité d’un manteau, ou d’un autre qui se dézippe pour devenir une couverture, ou de ces quartiers de selle qui se rejoignent pour former un short. Ou la ligne dessinée qui défie la structure d’une robe. Ou cette écharpe en cuir, souple comme un cachemire.
« L’exactitude du tailleur dans le travail minutieux du cuir et ses fines perforations traverse la garde-robe comme le fil d’une aventure qui se déroule, une narration secrète », souligne encore le manifeste de Dominique Muret.
La palette évoque, au seuil de l’automne, la vibration des verts lumineux des cyprès, des tilleuls et des pins. Ces tons acidulés viennent contraster avec les bruns et les noirs profonds et lustrés de la robe d’un cheval. Les blancs marbrés, leurs veinures peintes à la main, les anthracites, les gris volcaniques et ardoise viennent ajouter une solidité visuelle à la robustesse des matières.
Des tons acidulés qui viennent contraster avec les bruns et les noirs profonds. Photo Larissa Hofman
Tout ici est sérieux sans jamais se prendre au sérieux
Mettant en avant son critère absolu, la qualité, Hermès en tire force et pérennité. Tout ce qui sort de la maison est destiné à durer, voire se transmettre. Tout est patrimonial, jusqu’à l’esprit d’élégance, de rigueur et de ludique sobriété injecté dans chaque création. La puissance qui règne sur cette collection hivernale fait partie de ce lien, comme une idée de la confiance en soi concentrée dans un vêtement et qui courrait d’une femme à l’autre. Tout ici est sérieux sans jamais se prendre au sérieux. Dézipper un manteau pour en faire une couverture est, par exemple, au-delà de la versatilité et de la magie du geste, un début de roman que l’on pourrait imaginer dans une voiture-couchette d’un train de nuit ou, plus loin dans le temps, à bord d’une calèche courant sur une route enneigée. Imaginer un short matelassé taillé dans une selle, en faire un classique, relève de la même audace. Les détails de cuir embossé et de perforations transforment une jupe en œuvre d’art. Du rêve qui prévaut sur la conception, aux mains habiles qui coupent, ajustent et cousent et font advenir, la boucle du romanesque est bouclée.
On est loin, bien loin des modes qui passent. Ici, les conditions de travail idéales, le savoir-faire couture et sellier, l’amour de la belle ouvrage, la caresse de la main, la précision du geste, le sens de la narration, toute une organisation optimale autour de l’artisan et de son confort assurent à chaque pièce un avenir sublimé, un destin de vies successives. La directrice artistique des collections femmes d’Hermès, Nadège Vanhee, apporte à la maison son double pédigrée acquis entre une formation à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers et une autre à l’Institut français de la mode. Entre innovation créative et tradition artisanale, depuis 2014, elle incarne la vision sans pareille d’une maison fondée au début du XIXe siècle par un maître harnacheur-sellier sous le vocable de l’exigence, insufflant élégance et humour à l’esprit du voyage, du sport et du jeu.