Leur spécialité n’est pas encore exactement une discipline académique ; mais tout comme pour les orientalistes et les sinologues, c’est une fertile carrière qui semble promise aux téméraires déchiffreurs de la méthode Trump. Le fait est que ces derniers jours, ceux-ci auront été copieusement servis en thèmes de réflexion, avec le chapelet de bombes qu’a lâchées l’imprévisible chef de la première superpuissance mondiale.
La plus énorme de ces surprises aura été l’annonce officielle de négociations directes avec le Hamas palestinien sur le dossier des otages retenus à Gaza. Dans le passé, diverses administrations US se sont trouvées amenées à prendre langue avec l’une ou l’autre des organisations classées comme terroristes : de tels contacts ne relevaient toutefois que du domaine de la crypto-diplomatie, la CIA se prêtant alors le plus souvent aux explorations souterraines du département d’État. Cette fois, c’est un envoyé spécial de la Maison-Blanche, parfaitement mandaté, qui a brisé le vieux tabou en s’en allant au Qatar pour discuter face à face avec les pestiférés du Hamas. Businessman de carrière (atout décisif aux yeux du magnat de l’immobilier Trump), Adam Boehler a eu beau jeu de souligner que son patron ne s’arrêtait à aucune contrainte quand il devenait nécessaire d’agir.
Or, cet exercice en solo n’équivalait pas seulement à une reconnaissance de facto du Hamas. Du moment que les pourparlers portaient très précisément sur cinq otages détenteurs de la double citoyenneté israélienne et américaine, d’aucuns ont pu y voir en effet un signe de lassitude, et même d’impatience, face aux atermoiements d’un Benjamin Netanyahu soupçonné de faire traîner en longueur ce dossier pour perpétuer son maintien au pouvoir. Dans la foulée, les plus optimistes auront même été jusqu’à envisager le jour où Trump serait peut-être amené à circonvenir de manière encore plus flagrante son allié israélien. Le gourdin n’étant jamais bien loin de la carotte, il est vrai que ces fragiles vœux pieux étaient promptement douchés quand survenait une autre et inadmissible première de Donald Trump : la menace de mort qu’il adressait froidement, en deux clics sur son smartphone, au peuple de Gaza et non plus au seul Hamas, si les otages n’étaient pas libérés. On en frissonne encore…
Follement erratique alors, ce parcours en dents de scie ou seulement inhérent à la philosophie du deal, cette bible présidentielle qui (re)commande à tout négociateur de placer très haut la barre avant de songer à transiger ? En l’espace de quelques heures, on aura vu les États-Unis rejeter platement le plan égyptien de reconstruction de Gaza et puis admettre qu’un premier pas avait été accompli de bonne foi. Sous la pression des sondages défavorables et des indicateurs économiques, mais aussi des représailles d’Ottawa, Trump fait marche arrière et gèle sa guerre douanière contre le Canada et le Mexique, motivant sa reculade par un charitable souci d’aider ses voisins. Même s’il persiste à brandir le spectre d’une intervention militaire contre l’Iran, l’Américain écrit au guide suprême Khamenei pour lui offrir une négociation sur le nucléaire. Et après avoir rudoyé Zelenski et fait une cour éhontée à Poutine, voici soudain qu’il menace la Russie de nouvelles sanctions financières si elle ne met pas fin à ses bombardements aériens massifs contre l’Ukraine.
Toutes ces contorsions ne peuvent que donner le vertige à la planète. On tombe de bien haut en effet, avec une Amérique que Donald Trump s’est juré de refaçonner en taille XXXL. Quitte à confondre les genres, la trumpologie, science vouée à demeurer inexacte, n’échappe pas aux immuables lois de la physique.