Critiques littéraires Critique

Par-delà les murs, chronique d’un captif palestinien désespéré

Par-delà les murs, chronique d’un captif palestinien désespéré

D.R.

Il est des productions littéraires qui nous confrontent à une impuissance fondamentale en matière de restitution de leur contenu. Non pas que ce dernier soit ardu ou incompréhensible, mais il impose de trouver les mots justes, à la hauteur des émotions qu’il charrie. Le récit Je suis ma liberté du Palestinien Nasser Abu Srour, paru chez Gallimard, en fait partie.

D’abord publié à Beyrouth en 2022 en arabe, puis en anglais en 2024 à New York, cette œuvre vibrante résonne intensément aujourd’hui avec le génocide en cours à Gaza et la nouvelle guerre israélienne en Cisjordanie occupée.

Nasser Abu Srour, né en 1969, est un prisonnier palestinien, arrêté en 1993 et condamné à la prison à perpétuité pour complicité d’assassinat d’un officier des services de renseignements israéliens durant la première Intifada. Soumis à des actes de torture visant à briser son âme et son corps, déplacé d’une prison à l’autre, il s’en remet au mur de sa cellule auquel il s’accroche pour ne pas sombrer et s’empare de sa plume pour échapper à la cruauté de son destin. « Il semblerait que par instinct de survie j’aie compris que je devais renoncer à la perspective de liberté et faire corps avec ce mur. Sans en avoir conscience, j’arrachai la liberté à ces questionnements étriqués pour la projeter dans le champ de l’imaginaire (…) Ainsi, j’étais comme tout Palestinien conscient de sa servitude, qui doit perdre sa liberté pour se libérer, mourir pour pouvoir vivre. »

« Pas un jour nous n’avons cessé de croire ni de lutter sinon nous serions morts »

Dans ce dialogue intime avec son mur, où viennent s’entremêler politique, philosophie et poésie, l’auteur dresse en tant que militant la tragédie palestinienne dans toutes ses dimensions. Il partage avec nous un témoignage sur l’histoire récente de la Palestine, les conditions de détention dans les prisons israéliennes et retrace l’évolution de la lutte palestinienne, depuis la première Intifada jusqu’aux accords d’Oslo. Il évoque les divisions au sein du mouvement national palestinien, les espoirs suscités par les négociations de paix et les désillusions qui s’en sont suivies. En outre, l’auteur inscrit son récit dans le cortège universel des luttes pour la liberté et la dignité. « Il nous suffisait de croire en l’universalité de l’oppression et de la pauvreté pour élargir notre perspective (…) Nous parlions toutes les langues de la douleur (…) La souffrance des autres avait la même couleur que la nôtre. Tout discours dénonçant l’injustice et prenant le parti des vaincus était le nôtre. » Un propos qui, au vu de l’actualité lancinante à Gaza, vient contraster avec la solitude éprouvée par les Palestiniens face à l’entreprise d’anéantissement orchestrée par l’occupant israélien avec la complicité de ses alliés.

Le Captif amoureux

La seconde partie de l’ouvrage nous rend témoins d’une histoire d’amour hors norme que va vivre l’auteur. Nanna, une jeune avocate qui rend visite aux prisonniers palestiniens, débarque un jour dans la vie de l’auteur. Telle une apparition, elle vient troubler la quiétude du renoncement et détourne l’auteur de son mur. Une correspondance poétique et enflammée s’installe alors, ponctuée de visites au parloir.

« Quand tu aimes, tous les murs et les plafonds s’effondrent en toi. Quand tu aimes, tu es ton propre temps et ton propre espace. Tu es la complétude de la ville, de la campagne et du camp. Tu es le réfugié de retour au pays. Tu reviens de ta Nakba. Tu retrouves ta voix. Tu renonces à compter tes blessures. Et si elles guérissent, Nanna est là pour t’en tisser de nouvelles. »

Bien que limitée par les barrières de la prison, cette relation crée un univers de communion intense où tout devient possible. Mais le mythe de Sisyphe n’est jamais très loin, car l’amour et l’espoir ne cessent de se confronter à la réalité brutale de l’enfermement.

Une œuvre littéraire majeure

Au-delà de son aspect documentaire, Je suis ma liberté se distingue par sa qualité littéraire exceptionnelle. L’écriture d’Abu Srour est empreinte d’un lyrisme qui mêle des passages poétiques à des réflexions autour des thèmes de l’identité, la résilience, la résistance, la dignité, la liberté et l’amour. La traduction sensible et remarquable de Stéphanie Dujols restitue toute la puissance émotionnelle et intellectuelle de l’œuvre. En plus d’être un récit personnel et introspectif, ce texte se fait le porte-voix, par-delà les murs, de tout un peuple emprisonné et néanmoins amoureux acharné de la vie.

Je suis ma liberté de Nasser Abu Srour, traduit de l’arabe par Stéphanie Dujols, Gallimard, 2025, 304 p.


Il est des productions littéraires qui nous confrontent à une impuissance fondamentale en matière de restitution de leur contenu. Non pas que ce dernier soit ardu ou incompréhensible, mais il impose de trouver les mots justes, à la hauteur des émotions qu’il charrie. Le récit Je suis ma liberté du Palestinien Nasser Abu Srour, paru chez Gallimard, en fait partie.D’abord publié à...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut