
Le siège de la direction de la TVA, à Beyrouth. Photo d'illustration : Philippe Hage Boutros / L'Orient-Le Jour
Longtemps perçue comme un signe d’ingéniosité, la fraude fiscale a fait de certains contribuables libanais de véritables experts dans l’art d’échapper l’impôt. Le contribuable libanais « intelligent » se distinguait donc par sa capacité à payer le moins d’impôt possible, sans égard pour les moyens employés.
Nombreux sont ceux qui ignorent que la fraude fiscale, bien que permettant de réaliser des économies à court terme, se révèle extrêmement couteuse à long terme. Les administrations fiscales, grâce à des outils puissants issus de la coopération internationale, s’efforcent aujourd’hui de remettre le contribuable sur le droit chemin. Le coût associé à la fraude – majorations, amendes et intérêts de retard – surpassent largement celui de la conformité fiscale. Dans les cas les plus graves, le droit pénal peut intervenir, renforçant l’effet dissuasif et incitant à une meilleure discipline fiscale.
Bien que la fraude fiscale soit, par nature, une question de motivation personnelle, visant à contourner l’intention du législateur pour échapper à l’impôt là où aucune échappatoire n’était prévue, ses conséquences ont un impact direct sur les finances publiques. Au Liban, elle est estimée à 4 ou 5 milliards de dollars par an, bien que cette estimation soit difficile à quantifier en raison du manque de statistiques fiables .
Pour mieux illustrer les conséquences de cette fraude sur le plan personnel, prenons l’exemple d’un libanais, résident fiscal en France. Il détient un compte bancaire au Liban générant des intérêts, possède un vaste patrimoine immobilier personnel et est actionnaire actif d’une société libanaise pour laquelle il perçoit une rémunération sous la forme de jetons de présence. Un jour, en conversant avec un fiscaliste autour d’une tasse de café, il confie qu’il n’a aucune intention de déclarer ses biens et avoirs étrangers, affirmant avec assurance qu’il parviendra à déjouer le contrôle de l’administration fiscale française. Après tout, dit-il, il a toujours agi ainsi et n’entend pas changer de méthode.
Le fiscaliste, conscient des conséquences légales, tente de convaincre son compatriote libanais en lui expliquant le risque encouru s’il persiste dans cette voie.
Les risques de la dissimulation
Concernant ses avoirs détenus dans des comptes bancaires étrangers, la loi fiscale française impose aux personnes physiques domiciliées en France de déclarer les références de leur compte à l’étranger. L’obligation s’applique dès lors que le compte bancaire est ouvert, détenu, utilisé ou clos hors de France. Même en l’absence d’opération bancaire sur les comptes, l’obligation de déclaration reste applicable. Cette obligation déclarative s’applique également aux contribuables qui détiennent des comptes dans des établissements bancaires en ligne, tels que Revolut ou PayPal, ainsi qu’aux comptes ouverts sur des plateformes étrangères de cryptomonnaies.
L’omission de cette déclaration peut entraîner une amende de 1 500 € par compte non déclaré, et jusqu’à 10 000 € pour des omissions ou inexactitudes. L’administration fiscale peut également exiger des explications sur l’origine des fonds déposés à l’étranger, et en manque de réponse, peut taxer d’office ces sommes à un taux de 60 % .
Le libanais reste sceptique. Il se souvient que le pays du Cèdre était surnommé la « Suisse du Moyen-Orient », en référence à la loi sur le secret bancaire , qui empêchait toutes autorités d’accéder aux informations financières des déposants. Or, le secret bancaire, autrefois sacré au Liban, n’est plus une protection fiable. Depuis l’adoption de la loi n°55 en 2016, qui intègre le Liban aux normes internationales d’échange d’informations, le secret bancaire a été partiellement levé. Désormais, les banques libanaises doivent identifier les résidents fiscaux étrangers et transmettre leurs informations aux autorités fiscales concernées. Dissimuler des comptes bancaires est donc devenu extrêmement risqué.
Toute personne résidente fiscale française (ou ayant transféré son domicile fiscal en France depuis plus de 5 ans) est par ailleurs tenue de déclarer l’ensemble des biens ou droits immobilier, parts ou actions de sociétés immobilières détenus en France et à l’étranger si la valeur nette de ce patrimoine dépasse 1 300 000 euros. En cas de retard dans la déclaration ou de non-déclaration, des majorations allant de 10 % à 80 % peuvent être appliquées, accompagnées d’intérêts de retard. L’impôt sur la fortune immobilière est progressif et peut être réduit via des dons à certaines organisations. Cependant, en cas de fraude, la loi française prive les contrevenants de certaines réductions fiscales, alourdissant encore plus le coût de la fraude.
En ce qui concerne les revenus générés par des comptes bancaires au Liban, la convention fiscale franco-libanaise stipule que les intérêts doivent être déclarés en France. En raison de la situation bancaire au Liban, si le contribuable établit qu’il se trouve dans l’impossibilité matérielle de retirer ces sommes en raison du blocage du compte courant à l’étranger, les intérêts seront alors imposables l’année de leur déblocage ou de leur utilisation sur place, sur la base du cours de change à cette date. Pour les rémunérations perçues en tant qu’actionnaire d’une société libanaise, ces revenus sont imposés à 10 % au Liban. Toutefois, la convention fiscale permet d’éviter la double imposition, à condition que ces revenus soient déclarés en France. Autrement dit, si ce résident ne déclare pas ces revenus en France, il risque d’être doublement imposé, à la fois en France et au Liban, car il ne pourra pas justifier de son assujettissement à l’impôt français. Dans ce cas, il devra entreprendre des démarches de régularisation, potentiellement coûteuses, comprenant (1) les honoraires des avocats pour le représenter et (2) les intérêts et majorations applicables.
Droit fondamental
En définitive, les contribuables doivent comprendre que la conformité fiscale, bien que parfois perçue comme un fardeau, est en réalité la voie la plus prudente et bénéfique à long terme. En effet, le mérite d’un bon citoyen ne se mesure pas à l’aune du montant des impôts qu’il acquitte. Aucune obligation particulière ne l’incite à choisir la voie la plus fiscalisée. Cependant, la gestion de ses obligations fiscales doit se faire par des moyens légitimes, en respectant les voies et les opportunités offertes par la législation en vigueur.
En réalité, se pose la question de savoir ce qui motive les particuliers à payer des impôts. Mieux comprendre les raisons qui amènent les contribuables à participer au fonctionnement du système d’imposition, et à respecter les obligations qui en découlent, relève de l’intérêt de toutes les parties prenantes. Il existe, sans aucun doute, un lien fort entre les facteurs institutionnels, socioéconomiques et le civisme fiscal. Le Liban illustre parfaitement cette dynamique, les contribuables libanais affirmant souvent que leurs impôts sont gaspillés ou détournés par les dirigeants, ce qui justifie leur réticence à payer l’impôt.
Toutefois, acquitter ses impôts ne se limite pas à un simple devoir citoyen, mais octroie un droit fondamental : celui d’exiger des comptes de l’État quant à l’usage des deniers publics. La crise que traverse actuellement le Liban se présente comme une occasion unique de réinventer notre système fiscal. En effet, la fiscalité ne se réduit pas à financer les dépenses publiques. Elle joue un rôle central dans la redistribution des richesses, la régulation des dynamiques économiques, et l’orientation des comportements des acteurs économiques par la force de ses incitations.
Par Ralph el -Najjar
Fiscaliste. Membre du Comité des Jeunes de l’ALDIC