
Des personnes placent une photo du chef du Hezbollah Hassan Nasrallah sur les décombres du sanctuaire de Chamoun al-Safa, construit à l’intérieur d’un château dans le village de Chamaa au Sud-Liban, le 31 janvier 2025. Mahmoud Zayyat/AFP
Le texte de la déclaration ministérielle, sur la base de laquelle le gouvernement Salam demandera la confiance du Parlement la semaine prochaine, et qui substitue pour la première fois « le droit de l’État à s’assurer le monopole de la détention des armes » au triptyque « Armée, peuple, résistance », est un autre signe que la façon dont le Hezbollah aborde les nouvelles réalités du Liban a beaucoup changé.
Que signifie cette nouvelle réalité pour le Hezbollah et la communauté chiite en général ? La réponse est paradoxale et, à bien des égards, c’est une bonne nouvelle pour le Liban. Si la communauté demeure une composante majeure du paysage confessionnel du pays, le Hezbollah est paralysé, sans vision régionale plus large pour justifier le maintien de ses armes. Son principal parrain, l’Iran, se concentre désormais sur la façon de se sauver face au cumul de défis critiques qui pourraient l’attendre : une frappe israélienne contre ses installations nucléaires ; des sanctions américaines renforcées qui ne seront levées qu’en cas de démantèlement de ses programmes nucléaires et de missiles, ainsi que son réseau régional d’alliés ; et, plus périlleux encore, la question de la succession de l’ayatollah Ali Khamenei, alors que la légitimité et la continuité du pouvoir est de plus en plus remise en question en interne. De nombreux partisans du Hezbollah savent désormais qu’il n’y aura pas de financement iranien important pour reconstruire ce qu’Israël a dévasté. Le secrétaire général du Hezbollah, Naïm Kassem, l’a admis implicitement en déclarant, le 16 février, que « l’État doit diriger les efforts de reconstruction » car « ce qu’Israël a détruit, il l’a détruit dans l’État libanais ».
Il a également provoqué la colère de nombreux Libanais qui en ont tout simplement assez de devoir se sacrifier pour reconstruire ce que le parti ne cesse de détruire au cours de ses guerres. La principale erreur de calcul du Hezbollah a consisté à ouvrir son soi-disant « front de soutien » à Gaza tout en ignorant allègrement qu’il ne bénéficiait d’aucun soutien national pour une action aussi téméraire. Aujourd’hui, la plupart des Libanais affichent leur hostilité vis-à-vis de l’arrogance du parti et sa communauté au sens large se trouve désormais isolée. Cela n’a pas toujours été le cas. En 2005, le Hezbollah a compris que le retrait syrien menaçait son pouvoir et il a évité l’isolement avec l’accord de Mar Mikhaël qui lui a permis de contre-attaquer l’ordre postsyrien incarné par la coalition du 14 Mars et d’imposer son hégémonie sur le pays, surtout après les élections de 2009 et l’éviction de Saad Hariri en 2011.
Une telle voie n’est plus possible avec le Hezbollah déstabilisé et affaibli, la Syrie perdue face à « l’axe de la résistance » et le Liban dirigé de facto par une forme de tutelle régionale et internationale. Le projet iranien d’armer et de soutenir un réseau régional d’acteurs non étatiques afin de promouvoir ses intérêts et d’entourer Israël d’un cercle de feu a échoué. Deux idéologues de ce projet, Hassan Nasrallah et Kassem Soleimani, sont morts et Téhéran n’a pas les moyens de faire revivre le château de sable qu’il a ancré dans des sociétés arabes instables et fragmentées.
Des armes pour quoi ?
Dans ce contexte, quelle est la valeur des armes du Hezbollah ? Pour être utilisées contre Israël ? Ce n’est pas réaliste. Contre les autres Libanais ? Le parti s’y est essayé en 2008, suscitant une animosité qu’il n’a jamais réussi à surmonter, si bien qu’aujourd’hui, une telle approche ne conduirait qu’à un conflit armé qui discréditerait durablement le Hezbollah et diviserait sa communauté, de nombreux chiites n’ayant pas l’intention de se battre contre leurs compatriotes. Déjà, la tactique d’intimidation de bandes de jeunes hommes circulant en scooter dans les régions du Liban non contrôlées par le tandem chiite s’est retournée contre eux il y a quelques semaines, puisqu’ils ont été attaqués par des habitants dans plusieurs localités. La décision de brûler des véhicules de la Finul le week-end dernier a également embarrassé le Hezbollah et Amal, bien qu’il ne soit pas certain que le Hezbollah ait encouragé cette action ou que le parti exerce un contrôle aussi strict sur sa communauté qu’auparavant.
Alors, face à ce triste état des lieux, quelles sont les options qui s’offrent à la communauté ? Partout où les chiites regardent, les cartes sont empilées contre eux. Dans la Syrie voisine, un renouveau sunnite est en train de se produire après environ 62 ans, tandis que la Turquie a fait des percées importantes au Levant et en Asie centrale. Cela affectera sans aucun doute la dynamique au Liban. Il ne faudra donc pas s’étonner si les chiites trouvent bientôt une cause commune avec les chrétiens du pays, dans le cadre d’une alliance politique défensive visant à contrebalancer les sunnites.
« Liban d’abord »
Le moment est peut-être venu pour les dirigeants libanais de commencer à réfléchir à l’organisation d’un forum national sur l’avenir du pays et sur les relations communautaires, qui viserait à mettre en place un nouveau contrat social. Un seul texte peut servir de base à une telle discussion, à savoir l’accord de Taëf de 1989, même si l’objectif est de le transcender et de le remettre au goût du jour. Étant donné que toutes les principales communautés – sunnite, druze, maronite et chiite – ont subi à un moment donné des défaites décisives en raison d’alliances avec des acteurs extérieurs, la force motrice d’une telle entreprise serait de s’unifier autour d’un principe de « Liban d’abord » pour tout le monde.
On peut certes se demander si la classe politique actuelle pourrait mener une telle résurrection. Heureusement, peut-être, nous nous trouvons dans une phase de transition dans la direction du pays. Les anciens chefs de milice qui ont transposé la structure du pouvoir du temps de guerre au temps de paix en 1990 sont sur le point de partir, transmettent le pouvoir à leurs enfants ou sont morts. Les successeurs peuvent être aussi mauvais que leurs pères, mais ils peuvent aussi ne pas l’être. L’ordre politique dont ils ont hérité n’est pas vraiment le leur, et la tentation de réussir après des décennies au cours desquelles le Liban est devenu un État en quasi-faillite est peut-être trop forte pour qu’ils puissent y résister.
« Le Hezbollah est à la fois une conséquence et un facteur de renforcement de l’incapacité du Liban à forger un État fort. Mais (…) en reflétant si effrontément les limites de l’État, il peut obliger les Libanais mal à l’aise avec lui à réfléchir plus attentivement à l’État qu’ils veulent vraiment, et à trouver des moyens d’attirer une majorité de chiites vers un projet qui réponde aux aspirations de ces derniers », avions-nous écrit il y a une quinzaine d’années dans The Ghosts of Martyrs Square.
Cela reste d’actualité : il ne suffit pas de tirer un trait sur le Hezbollah pour dire que les problèmes du pays sont terminés. La défaite du parti face à Israël n’a fait que créer une ouverture pour jeter les bases de l’État que nous souhaitons réellement et réfléchir à un mécanisme capable de neutraliser une classe politique qui veut que les choses restent en l’état. Ce n’est pas une mauvaise chose, si le Liban peut soudainement se retrouver concentré sur la grande idée du renouveau national.
Ce texte est la version synthétique d’un article publié en anglais sur Diwan, le blog du Malcolm H. Kerr Carnegie MEC.
Par Michael YOUNG
Rédacteur en chef de Diwan. Dernier ouvrage : « The Ghosts of Martyrs Square: an Eyewitness Account of Lebanon’s Life Struggle » (Simon & Schuster, 2010, non traduit).
Excellent article comme toujours. Une analyse tres pertinente. Comme vous l'exprimez parfaitement, les libanais de toutes confessions devraient se rallier “a l’dee du renouveau national”. Malheureusement, je doute qu’ils aient la volonté de le faire.
17 h 53, le 23 février 2025