« Nous ne sommes pas les alliés du Hezbollah. » Cette phrase prononcée il y a quelques jours par le chef du CPL, Gebran Bassil, alors qu’on lui demandait s’il comptait, avec ses ministres, obtenir le tiers de blocage avec le tandem chiite au sein du gouvernement, est restée dans les esprits. Surtout qu’elle a été prononcée à la veille de la commémoration de « l’entente de Mar Mikhaël » conclue entre le CPL et le Hezbollah le 6 février 2006. Dix-neuf ans plus tard, il ne reste donc plus rien de cette entente.
Pourtant, lorsque le 6 février 2006 au soir, une rencontre a eu lieu dans le salon de l’église Mar Mikhaël dans la banlieue sud de Beyrouth entre le général Michel Aoun, alors chef du bloc parlementaire du Changement et de la Réforme, et Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah, tous les présents étaient conscients qu’il s’agissait d’un changement fondamental dans la vie politique libanaise.
Si l’on revoit les circonstances de l’annonce de cet accord, on se souvient qu’il est intervenu après plusieurs mois de négociations entre les délégations des deux formations. En fait, ces négociations avaient été entamées à la demande de Michel Aoun qui voulait affronter ce qu’on avait appelé « l’Alliance quadripartite » lors des élections législatives de mai 2005 entre le Hezbollah, Amal, le Parti socialiste progressiste et le courant du Futur.
Convaincu que les autres composantes cherchaient à l’isoler dans une volonté de le combattre, Michel Aoun a donc voulu prendre les devants et surprendre toutes les composantes politiques en cherchant à conclure une entente avec le Hezbollah. L’idée était audacieuse, tant les positions de Michel Aoun – fraîchement rentré au Liban après un exil de 14 ans – semblaient aux antipodes de celles du Hezbollah. Ce dernier a pourtant accueilli favorablement cette initiative, après de longs mois de discussions, menées principalement par Gebran Bassil et Ziad Abs du côté du CPL, Ghaleb Abou Zeinab et Abou Saïd al-Khansa du côté du Hezbollah. Finalement, les deux parties se sont entendues sur un document écrit que les deux leaders ont consacré dans la fameuse rencontre de Mar Mikhaël. La guerre de juillet 2006 est ensuite venue consolider les liens entre les deux formations, en raison du soutien déclaré de Michel Aoun au Hezbollah, pendant cette période et ses appels à l’accueil des déplacés du Sud dans « les régions chrétiennes ».
À partir de là, l’entente est devenue pratiquement une alliance, au point que le Hezbollah a déclaré son appui à la candidature de Michel Aoun pour la présidence dès la fin du mandat de Michel Sleiman en mai 2014. Certaines parties ont même accusé le Hezbollah d’entraver l’élection présidentielle pendant près d’un an et demi pour pouvoir faire arriver « son » candidat à la présidence. Mais entre-temps, cette entente avait eu un profond impact sur les bases des deux formations et c’était un élément nouveau dans la vie politique libanaise. Sur l’impulsion de Aoun et Nasrallah, les bases respectives des deux formations se sont rapprochées.
Mais les développements du mandat de Michel Aoun ont creusé un écart entre les deux commandements et ensuite entre les deux bases. Pour le CPL, le Hezbollah n’a pas soutenu comme il le devait la présidence, notamment dans plusieurs dossiers-clés, comme ceux de l’édification de l’État et de la lutte contre la corruption et il a ainsi contribué au fait que la présidence n’a pas réussi à atteindre de nombreux objectifs qu’elle s’était fixée.
Pour le Hezbollah, Michel Aoun avait de grands projets que la formation ne pouvait pas assumer, sachant qu’elle était occupée par renforcer ses moyens militaires et qu’elle ne voulait pas entrer en conflit avec son partenaire, le président de la Chambre, Nabih Berry. Le Hezbollah est aussi convaincu que ce sont surtout les Américains qui ont entravé le mandat de Michel Aoun, pour le punir justement de s’être allié au parti chiite et que toutes les crises successives à partir du 17 octobre 2019 ne sont que l’application de cette volonté américaine. Le parti dit aussi que le secrétaire d’État américain de l’époque, Mike Pompeo, aurait été très clair dans son entretien avec Michel Aoun à Baabda en mars 2019, lorsqu’il lui avait conseillé de s’éloigner du Hezbollah, ce que le président a refusé. Le mandat a été pratiquement bloqué quelques mois plus tard par des crises à répétition.
Quelle que soit la version retenue, les relations entre les deux formations se sont dégradées dès la fin du mandat de Michel Aoun. La crise entre eux s’est aggravée avec le dossier de l’élection présidentielle et le refus de M. Bassil d’appuyer la candidature de Sleiman Frangié. Même dans son refus d’appuyer la candidature du commandant en chef de l’armée Joseph Aoun pour la présidence, Bassil n’a pas réussi à obtenir le soutien du Hezbollah et il s’est pratiquement retrouvé isolé. Une fois de plus, le CPL se sent donc lâché par le Hezbollah dans des dossiers qu’il considère fondamentaux, tout simplement parce que, comme pour les autres fois, le Hezbollah a d’autres priorités ou d’autres considérations. De son côté, le Hezbollah considère que le CPL a pris ses distances avec lui au moment où il fait face à des campagnes hostiles de tous les côtés et après la difficile guerre contre Israël.
Face à ces positions contradictoires, et surtout pleines d’une amertume réciproque, il est difficile de voir renaître l’esprit de « l’entente ». Il y aura, de l’avis des deux parties, des accords ponctuels probables, sur certains dossiers précis, mais « l’ère Mar Mikhaël » semble révolue.
….n’a jamais rejoint Aoun et Bassil sur les dossiers touchant à la corruption et aux réformes. Et au final, la conclusion de cet accord a entraîné une baisse significative de la popularité du parti orange.
16 h 39, le 07 février 2025