Des déplacés palestiniens marchent à travers une route boueuse parmi les destructions à Jabalia (nord de Gaza), le 6 février 2025, durant la trêve entre Israël et le Hamas. Photo AFP/ BASHAR TALEB.
La proposition du président américain Donald Trump de déplacer les Palestiniens hors de la bande de Gaza est une menace pour la stabilité de la Jordanie voisine qui risque également de perdre une aide américaine cruciale, estiment des analystes. Dans le contexte de la trêve à Gaza entre Israël et le Hamas, Donald Trump a lancé mardi l'idée d'une prise de contrôle américaine du territoire palestinien et répété que sa population pouvait être déplacée vers l'Egypte et la Jordanie après une rencontre à Washington avec le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu.
Le lendemain, le roi de Jordanie Abdallah II a rejeté « toute tentative » visant à prendre le contrôle des Territoires palestiniens et déplacer ses habitants, lors d'une réunion avec le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas. Il doit s'entretenir avec M. Trump le 11 février à Washington.
« Ce projet vise non seulement à éliminer les droits nationaux légitimes du peuple palestinien sur sa terre, mais il porte également atteinte à la sécurité, la stabilité, l'identité et la souveraineté de la Jordanie », affirme auprès de l'AFP Oraïb Rantaoui, qui dirige le centre d'études politiques Al Qods, basé à Amman.« En Jordanie, nous serions confrontés à une menace existentielle, et pas seulement à une menace sécuritaire », ajoute-t-il, avertissant qu'une telle initiative exporterait le conflit israélo-palestinien dans le royaume ou pourrait même entraîner un « conflit interne ».Et le pays « pourrait cesser d'exister si ce plan de déplacement était mis en oeuvre ».
« Promoteur immobilier »
Malgré l'opposition des Palestiniens et de nombreux pays à travers le monde, Donald Trump a assuré que « tout le monde adorait » sa proposition. « Les États-Unis vont prendre le contrôle de la bande de Gaza et nous allons faire du bon boulot avec. Nous en prendrons possession », a-t-il lâché.
Pour Samih al-Maaytah, ancien ministre jordanien de l'Information, ce projet est « un suicide politique pour les deux pays (Jordanie et Egypte), car ils seront accusés d'être de connivence pour écraser la cause palestinienne ». « En ce qui concerne la Jordanie, cela changerait notre démographie et l'équation politique, tout en détruisant notre identité nationale », dit-il à l'AFP.
La moitié des onze millions d'habitants du pays est d'origine palestinienne, beaucoup ayant trouvé refuge en Jordanie après la création d'Israël en 1948. Selon l'ONU, 2,2 millions de Palestiniens y sont enregistrés comme réfugiés. Avant l'occupation israélienne de 1967, la Jordanie administrait la Cisjordanie et Jérusalem-Est. Alliée aux factions palestiniennes, son armée combat Israël en 1968.
Mais en 1970, elle réprime violemment une guérilla palestinienne accusée de créer un « Etat dans l'Etat ». Ce tristement célèbre « Septembre noir » a fait des milliers de morts. Le tollé suscité par la proposition de M. Trump s'explique en partie par le fait qu'elle s'écarterait des efforts internationaux déployés de longue date en faveur de l'autodétermination des Palestiniens et d'une éventuelle solution à deux Etats.
« Qui a donné à Trump l'autorité morale, juridique et politique d'intervenir à Gaza, de s'en emparer et d'y investir? Il parle de Gaza comme un promoteur immobilier, pas comme un chef d'Etat », critique M. Rantaoui. Pour la Jordanie, l'indignation découle également de la perception d'un manque de reconnaissance de sa souveraineté.
« Marchandage »
Le royaume est également bien conscient de la pression économique que les Etats-Unis pourraient exercer, étant donné sa modeste économie et sa dépendance à l'aide internationale. Chaque année, le pays reçoit des Etats-Unis environ 750 millions de dollars d'aide économique et 350 millions de dollars d'aide militaire.
Toutefois, il est peu probable que le roi de Jordanie laisse à M. Trump une quelconque marge de manoeuvre. « Le roi n'a d'autre choix que de rejeter catégoriquement cette proposition », assure Oraïb Rantaoui, accusant Donald Trump de vouloir pousser les Jordaniens à brader leur pays contre une aide de 1,5 milliard de dollars. « La Jordanie serait affectée si l'aide était interrompue », reconnaît M. Maaytah, « mais cela ne vaut pas la peine de la marchander ».
La crainte d'être mis sous pression par la proposition de M. Trump a poussé les députés à préparer un projet de loi sur la souveraineté nationale et à rejeter tout déplacement forcé de Palestiniens vers la Jordanie « en tant que patrie alternative ». « Le Parlement soutient le roi et rejette catégoriquement les déclarations du président américain sur le déplacement forcé des habitants de Gaza vers la Jordanie, l'Egypte ou tout autre pays », assure le député Mustafa al-Amawi. « S'il faut faire un marchandage, nous refuserons l'aide », promet-il.
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