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Ce samedi, à l'Institut français du Liban, les enfants sont invités à rêver et créer

Ce samedi, à l'Institut français du Liban, les enfants sont invités à rêver et créer

Dans le cadre des « Rendez-vous Beyrouth Livres » qui prennent le relais du festival initialement prévu en 2024 et annulé en raison de la guerre, « Le Rendez-vous des enfants » marque le grand retour des événements culturels organisés par l’Institut français du Liban. Cette manifestation dédiée à la jeunesse avait déjà attiré près de 2 000 visiteurs – bien au-delà des 500 attendus ! – dans sa première édition en 2024, portée par la présence exceptionnelle de Serge Bloch, artiste français et illustrateur, entre autres, de la série de renom Max et Lili.

Cette année, « Le Rendez-vous des enfants » revient pour une deuxième édition, encore plus riche et festive. Pluridisciplinaire, l’événement mêlera ateliers de dessin, lectures musicales et projection d’un film, offrant une journée où l’art et la littérature se conjuguent sous toutes leurs formes.

Le 8 février, l’Institut français de Beyrouth deviendra un terrain de jeu artistique et culturel. À la Salle Montaigne, la journée commencera à 11h avec le Grand atelier de dessin d’Aurélie Neyret, dessinatrice française connue surtout pour ses séries de BD à succès Les Carnets de Cerise et Lulu et Nelson, suivi à 14h30 d’une lecture musicale autour du roman Pauline et Marco de Ralph Doumit, auteur et illustrateur libanais, et de la projection du film Ducobu Président au Cinéma Montaigne à 16h. En parallèle, deux ateliers de dessin seront proposés à la médiathèque : le premier à 11h30 avec l’illustratrice libanaise Laure Ibrahim, le second à 15h30 avec l’illustrateur français Jean-Baptiste Pollien (Jibé). La Galerie d’exposition accueillera quant à elle le groupe Blue Beirut Kids qui présentera un conte musical pour les tout-petits (3 à 6 ans) à 12h30, puis à 15h30. Et pour couronner cette journée, une boum festive rassemblera à 18h, enfants et parents pour un moment de joie et de partage. (voir tout le programme ici aussi)

Pour mieux comprendre cette initiative louable et ce qu’elle représente pour la jeunesse libanaise, L’Orient littéraire a rencontré trois invités de cette journée : Aurélie Neyret, Jean-Baptiste Pollien et Ralph Doumit qui partageront leur vision du dessin, de la narration et de la transmission aux nouvelles générations.

Aurélie Neyret : Cultiver le plaisir de dessiner avant tout

Comment définiriez-vous votre univers artistique et quels sont les thèmes qui vous tiennent à cœur ?

J’ai toujours du mal à définir mon propre travail. Je réfléchis avant tout aux thèmes et aux histoires que j’aime raconter et dessiner. Ce qui revient souvent dans mes albums, c’est la question des relations humaines et des émotions. J’aime parler des gens, de leur vécu, et particulièrement des enfants, même si mes récits ne leur sont pas exclusivement destinés. Les Carnets de Cerise, par exemple, ont une dimension intergénérationnelle avec des personnages plus âgés  ; dans Lulu et Nelson, il y a une dimension plus politique.

Quelle étape de la création d’une bande dessinée trouvez-vous la plus stimulante ? Et pourquoi ?

L’étape qui me passionne le plus, c’est le storyboard. C’est à ce moment que la BD prend réellement forme : on passe du scénario écrit aux images, on construit les planches, on réfléchit au sens de lecture, à la composition… C’est là que tout se joue. Dans cette phase qui demande le plus de concentration, on pose les bases et on résout tous les problèmes narratifs. Ensuite, il ne reste plus qu’à affiner et embellir.

J’apprécie aussi beaucoup l’étape de la mise en couleur. Certains auteurs délèguent cette tâche à un coloriste, mais pour moi, c’est une partie intégrante du dessin. J’ai besoin d’ajouter la couleur, voire d’éclairer, pour donner vie à l’image.

Que souhaitez-vous transmettre aux jeunes à travers l’atelier de dessin que vous animerez dans le cadre de Beyrouth Livres ?

Ce que j’aimerais leur transmettre, c’est avant tout le plaisir du dessin et l’importance d’en conserver la spontanéité. Les tout-petits dessinent sans retenue, sans se poser de questions. Mais à un certain âge, on commence à se juger, à gommer, à hésiter… et parfois, on abandonne. C’est dommage, car à mon sens, même quand c’est un métier, et peut-être encore plus lorsqu’on en fait son métier, il est essentiel de cultiver ce plaisir. Peut-être aussi leur faire prendre conscience que raconter des histoires en images peut être un métier. Quand j’étais enfant, je lisais des BD, mais je ne connaissais aucun auteur, je n’allais pas à des rencontres. Je n’avais pas conscience que cela pouvait être un métier accessible.

Quels souvenirs ou impressions gardez-vous de votre visite précédente au Liban ?

J’ai été marquée par la richesse culturelle que j’ai ressentie dans mes rencontres. J’avais l’impression que tout le monde parlait plusieurs langues, venait de divers horizons… Il y avait une vraie diversité. Ce qui m’a frappée aussi, c’est la manière dont les Libanais font face aux nombreuses difficultés du quotidien, que ce soit sur le plan économique ou en termes d’infrastructures. Mais au-delà de ça, il y a une débrouillardise positive qui m’a impressionnée. Ce sont surtout ces rencontres humaines qui m’ont touchée et qui m’ont donné envie de revenir.

Jean-Baptiste Pollien : Éveiller la créativité à travers la BD

Comment choisissez-vous les thèmes que vous abordez dans votre art, et quelles sont vos principales sources d’inspiration ?

Tous les thèmes que j’ai choisis pour mes livres m’obsédaient à l’époque de leur écriture. Lorsque je vivais mal le chômage, j’ai écrit Sans emploi. J’étais ensuite plongé dans la collection de jeux vidéo rétro, et j’ai imaginé Basse Def. Plus récemment, j’ai reformé mon vieux groupe de rock après des années de pause et ça m’a inspiré l’écriture d’Encore. En ce moment, je travaille à un livre sur Beyrouth et le Liban, et même si je n’en suis pas à l’écriture, le sujet me passionne déjà.

Quel lien entretenez-vous avec le pays du Cèdre ?

C’est ma deuxième visite au Liban. Je suis déjà venu en octobre 2021 à l’occasion du festival BD de Beyrouth. Je suis immédiatement tombé sous le charme de la ville que j’ai trouvée chaleureuse et foisonnante, tout comme l’accueil des gens. J’ai aussi été touché par leur résilience face à la situation. J’ai eu la chance de me promener un après-midi ensoleillé, au hasard des rues, et c’était passionnant de passer d’un quartier à l’autre, chacun ayant une ambiance radicalement différente. J’en garde le souvenir d’un moment de paix et d’émerveillement.

Cet événement marque le premier grand rendez-vous jeunesse organisé par l’Institut français depuis la fin de la guerre. Qu’est- ce que cela représente pour vous de participer à cette reprise ?

J’étais inquiet face aux événements qu’ont traversés les Libanais ces derniers mois. J’ai un attachement fort à ce pays, et observer la situation de loin était angoissant et révoltant, d’autant plus que je ne voyais pas mon pays, pourtant allié, agir. Pouvoir participer à un tel événement après cette période sombre est très excitant, et je suis honoré d’y prendre part. La culture, c’est la vie de la cité, et je suis heureux qu’elle revienne en force comme ça !

Selon vous, quel rôle joue la bande dessinée dans le développement de l’imaginaire et de la créativité chez les jeunes ?

Son rôle est immense ! Quand je vois mon fils de 7 ans dévorer les Gaston Lagaffe et me parler des heures durant de ses gags préférés, c’est fantastique. Un jour, je suis tombé sur un petit carnet qu’il conservait près de son lit : chaque page était remplie de reproductions de ses planches favorites. Lorsqu’il tombe sur un album qui lui plaît, son imagination s’enflamme et cela devient un sujet d’activité avec lui. La BD est aussi une formidable porte d’entrée vers la lecture.

Ralph Doumit : Lire pour appréhender le monde

Votre roman Pauline et Marco explore la frontière entre l’imaginaire et la réalité. Pourquoi avez-vous choisi d’aborder cette thématique et que souhaitiez-vous transmettre à vos jeunes lecteurs ?

Les deux personnages sont effectivement des rêveurs, mais, au fil du récit, on comprend bien que pour solidifier leur lien, ils sentent le besoin de matérialiser cet imaginaire, d’en faire quelque chose. Au fond, ils ont la tête dans les étoiles mais les mains dans la terre. Si c’est cet encouragement à « faire quelque chose de son imaginaire » qui ressort de l’histoire, c’est super.

La narration à deux voix donne une profondeur particulière aux personnages de Marco et Pauline. Comment avez-vous travaillé sur leur psychologie pour rendre leurs dialogues et réflexions si authentiques ?

J’ai retrouvé un carnet où je notais mes intentions sur ce projet, bien avant la rédaction du manuscrit. J’y avais écrit que chaque chapitre devrait pouvoir être lu à voix haute, sur scène. Mais ce que je voulais dire, au fond, c’est que j’avais envie que mes personnages aient une « voix ». D’ailleurs, pour rebondir sur votre question, il me semble que c’est davantage une voix qu’une psychologie qui donne une cohérence à un personnage. Je suis assez peu porté vers les « logiques psychologiques » quand j’écris un personnage – ou même quand je découvre une personne.

Ce samedi, vous présenterez Pauline et Marco lors d’une lecture musicale. Que pensez-vous que la musique apporte à la narration ?

Le spectacle alterne des lectures d’enfants qui incarnent les deux personnages, chacun à sa manière, mes interventions adressées directement au public, et les chansons d’Herminée Nurpetlian. Ses mélodies, parfois joueuses parfois planantes, ainsi que sa voix – qui me fait hérisser les poils –, apportent quelque chose d’immersif et une véritable épaisseur émotionnelle à la narration.

Selon vous, quel rôle joue la littérature jeunesse dans un contexte comme celui du Liban où l’enfance est souvent confrontée à un quotidien difficile ?

Un roman offre l’espace nécessaire pour raconter des situations et des personnages dans toute leur complexité. Au Liban comme ailleurs, lire des romans, c’est faire l’expérience de voir les situations dans leurs nuances plutôt que de manière binaire. Et puis, un roman se lit seul. C’est donc un excellent moyen de participer, un peu, à se forger une petite solidité intérieure, rien qu’à soi, non ?


Infos pratiques

8 février 2025, de 10h à 19h

Institut français du Liban, rue de Damas, Beyrouth

Accès libre et gratuit (sur présentation d’une pièce d’identité)

Service de restauration sur place au Café des Lettres

Dans le cadre des « Rendez-vous Beyrouth Livres » qui prennent le relais du festival initialement prévu en 2024 et annulé en raison de la guerre, « Le Rendez-vous des enfants » marque le grand retour des événements culturels organisés par l’Institut français du Liban. Cette manifestation dédiée à la jeunesse avait déjà attiré près de 2 000 visiteurs – bien...
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