
Le danseur étoile français Hugo Marchand. © Matthew Brookes/OnP
De nombreux esthètes vous diront que c’est le plus bel opéra du monde. Inauguré le 5 janvier 1875, le palais Garnier fête cette année son 150e anniversaire. Lieu de représentation de l’Opéra national de Paris (OP), également lieu de sociabilité, véritable emblème national, le palais Garnier a traversé l’histoire artistique et politique pour devenir un monument connu dans le monde entier. À travers un spectacle exceptionnel, les musiciens de l’orchestre, les artistes des chœurs et de l’académie, les danseurs du ballet et de l’école de danse, ainsi que des invités prestigieux comme le baryton Ludovic Tézier, la soprano Lisette Oropesa et la mezzo-soprano Léa Desandre, ont célébré l’anniversaire de ce temple des arts, de la musique et de la danse.
Revenant sur la légende du Fantôme de l’Opéra qui hante le lieu (d’après le célèbre roman de Gaston Leroux), le gala a commencé par un fantôme qui emmène deux enfants sur scène. Au début, ils sont spectateurs attentifs, puis imitateurs curieux, jusqu’à la « conversion » à la fin où ils font désormais partie de la famille des danseurs et chanteurs de l’opéra. Comme dans tout gala, les airs d’opéra et les tableaux de danse s’alternent, avec un montage sur la construction du palais, et un petit hommage à Rudolf Noureev qui a pris les rênes de la direction artistique jusqu’à sa mort en 1993. Les tableaux de danse ont été répartis entre un classique, un moderne et un contemporain. Si certains tableaux étaient sobres et propres, sans manquer de l’élégance à la française, c’est le tableau moderne, le Boléro de Béjart sur la musique de Ravel, qui a reçu le plus d’applaudissements.
Étoile du Boléro
Considéré comme l’un des joyaux de Béjart, le Boléro a été dansé par les grandes vedettes du monde du ballet ; et c’est bien là où réside la difficulté de l’interpréter « autrement ». Mais cela n’est point difficile pour Hugo Marchand, danseur étoile de l’OP qui capte le regard et prend en haleine le spectateur du début jusqu’à la fin (sur une durée exceptionnellement longue pour un tableau, il s’agit de 16 minutes de sublimation). Ses mains surgissant du noir, orchestrant la scène avec la caisse claire. Puis, les épaules et les bras en symétrie parfaite, avec la puissance de la poitrine, dévoilent une invocation bien marquée par les expressions du visage sans exagération ni artifice. Le reste du tableau dévoile, en crescendo et avec le temps, une évolution où s’invitent les jambes et les jetés. Les pieds en demi-pointe respectant le rythme infatigable de bout en bout sont tout aussi infatigables. Plusieurs mouvements de force explosive vers la fin. Les cœurs des deux côtés de la scène battent au même rythme. La fusion est accomplie.
Hugo Marchand confie à L’Orient-Le Jour qu’il s’agit d’un tableau « chamanique, une invocation, un rituel comme les danseurs soufis. Pour moi, c’est une transe, mais aussi une dissolution de l’ego ». Bien que le tableau soit centré sur le danseur principal, « il demeure un oracle cependant dépersonnalisé » ; le travail du corps de ballet masculin en cercle autour de la fameuse table rouge sur laquelle la vedette danse seule est tout aussi important. Finalement, une danse solo de 16 minutes n’est point évidente même pour les plus doués, « mais on s’oublie malgré la fatigue », révèle le danseur étoile : « On doit devenir surhomme, puis chuter et revenir, avec du mal partout, mais comme tout le monde, à la barre lundi matin. »
Le danseur étoile français au sommet de son art dans le "Boléro" lors du Gala d’anniversaire des 150 ans du palais Garnier. Photos Instagram Hugo Marchand
À Garnier et à l’international
Pourtant, Hugo Marchand ne se plaint pas, bien au contraire. « Je suis honoré et chanceux de danser des ballets pareils » notamment Manon, Onéguine et Mayerling où « les rôles véhiculent des émotions, des valeurs, ou encore des thèmes universels tels l’amour, le temps, la mort, le sexe, la peur, la honte, le suicide, etc. Le danseur est finalement un miroir où le spectateur se voit lui-même ». Un rôle dont il rêve et qu’il n’a pas encore dansé ? Armand dans la Dame aux camélias, répond-il. Quant à sa maison d’opéra préférée, Garnier gagne. « Cet endroit vibre par l’ombre du fantôme de l’opéra » confesse le jeune danseur qui s’est rendu dans de nombreux et prestigieux théâtres qu’il admire, tout en témoignant des spécificités de chaque méthode : « J’ai été au Mariinsky et au Bolchoï où les Russes sont rois, leur port de bras est majestueux ; au Metropolitan, les Américains sont rapides et explosifs mais manquent de l’élégance et du chic à la française pour lesquels nous sommes connus ; à la Scala, on sent que la méthode italienne s’est inspirée de la russe. » Mis à part le joyau de Milan, « j’aimerais me rendre dans d’autres maisons d’opéra en Italie, notamment celle de Palerme, ou encore le majestueux Colón en Argentine ».
L’imperfection est une qualité
Bien que l’univers du ballet paraisse celui de la perfection, Hugo Marchand considère que « c’est bien l’imperfection qui engendre la qualité, ou encore la spécificité des danseurs : chacun doit trouver sa patte, et mettre en lumière autre chose que ses défauts ». Quant à l’ego, « il donne une force exceptionnelle et permet de rêver, mais il faudrait garder une marge de doute et de remise en question afin d’évoluer. Les expériences personnelles aussi permettent d’évoluer », ce qui rend « l’espace intellectuel et émotionnel saturé ; mais la danse en est libératrice et cathartique ». « Ma conscience est toujours occupée par la danse, elle est paradoxalement suspendue au moment même de la danse », élabore-t-il.
Finalement, un petit mot sur le Liban ? Marchand se souvient, enfant, d’un voisin libanais grâce à qui il a découvert « la générosité et la diversité culinaire d’un pays que je voudrais un jour visiter afin de découvrir ses autres héritages culturel et naturel ».
Le Palais Garnier Le Palais – signé Charles – Garnier a été inauguré le 5 janvier 1875. Cette maison d’opéra héberge la prestigieuse compagnie d’opéra et de ballet « L’Opéra National de Paris » (OP) qui a pris le relais en 1978 de l’Académie royale de musique, fondée par Louis XIV en 1669. Comme les théâtres des grandes maisons d’opéra qui se distinguent par leurs sièges, rideau, statues, voûte, etc., et mis à part la finesse architecturale (la façade, le Grand escalier et le Grand foyer), le théâtre du Palais Garnier se distingue par ses rideaux rouges brodés de tissus couleur d’or, comme ses sièges rouge-rubis, alors que sa vive voûte est signée Marc Chagall.
Hugo Marchand, biographie en dates-clés
2007 : Premier prix du Conservatoire national de la région de Nantes.
Entre à l’École de danse de l’Opéra national de Paris.
2011 : Est engagé dans le corps de Ballet.
2014 : Promu « Coryphée ».
Médaille de bronze au Concours international de danse de Varna.
2015 : Promu « Sujet »
Reçoit le Prix du Cercle Carpeaux et Prix AROP de la danse.
2016 : Promu « Premier danseur ».
2017 : Prix Benois de la danse.
2018 : Classement Forbes 30 Under 30 Europe : Arts & Culture.
Hugo Marchand est nommé « danseur étoile » le 3 mars 2017 à l’issue de la représentation de La Sylphide (Pierre Lacotte), ballet dans lequel il interprétait le rôle de James en tournée au Bunka Kaikan de Tokyo.
Dans le cadre des tournées officielles du Ballet de l’Opéra, il se produit notamment en Espagne (Madrid / 2019), aux États-Unis (New-York / 2017), au Japon (Tokyo / 2017 et 2020).