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Cinéma - Film

Quand Nadine Labaki nous emmène « Au-delà des vagues »

Lancé sur Netflix le 24 janvier, « The Sand Castle» (titre anglais), un film de Matty Brown sur la destruction des familles et de l’enfance sous la guerre, met en vedette Nadine Labaki, Ziad Bakri et Zain et Riman al-Rafeea.

Quand Nadine Labaki nous emmène « Au-delà des vagues »

Les parents, campés par Nadine Labaki et Ziad Bakri, et les enfants Zain et Riman al-Rafeea. Photo Netflix

Ils sont quatre : les parents, leurs deux enfants. Yasmine, campée par Nadine Labaki, et Nabil, joué par Ziad Bakri, se réveillent sur une île déserte battue par les vagues, dans la loge d’un vieux phare en bois. Leurs enfants, Adam et Jana (Zain et Riman al-Rafeea), semblent, au départ, ravis de cette liberté entre ciel et mer. Mais à mesure que le film avance, l’atmosphère s’alourdit jusqu’à l’irrespirable. Ils sont quatre, mais dans une photo « d’avant », ils étaient cinq. Combien survivront pour témoigner ?

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Cette histoire qui commence comme un récit de vacances va se révéler progressivement histoire de survie. Entre un poste radio qui ne capte pas grand-chose et que les parents tentent de manière obsessionnelle de faire parler, et ce phare qui s’éteint, qu’il faut faire redémarrer à la manivelle jusqu’à épuisement de la force du bras, le générateur qui fume et menace de lâcher, et les provisions qui s’épuisent, et la pluie qui apporte un peu d’eau douce mais fait monter la mer jusqu’à noyer l’île, et le danger de la mer et la constante inquiétude de perdre les enfants sur ce petit carré de terre si séduisant et si dangereux à la fois, et cet horizon désespérément vide, scruté jusqu’au vertige, le spectateur est plongé dans une atmosphère qui oscille entre rêve et cauchemar. À tout moment, il risque de décrocher tant les impasses se multiplient, tant les indices s’accumulent sans toujours fournir de pistes. Là est la signature du jeune réalisateur Matty Brown dont Au-delà des vagues (The Sand Castle en anglais) est le premier long-métrage. Ayant connu l’errance, abandonné par ses parents à l’âge de 12 ans, Matty Brown n’a eu de cesse, depuis lors, de jouer avec le kaléidoscope du réel, filmant tout ce qui est à sa portée, collectionnant des fragments dans l’espoir de leur faire révéler un tout. Ce surdoué du court-métrage dont les spectateurs, sur la plateforme Vimeo, sont les plus nombreux au monde, est un autodidacte émerveillé dont la vulnérabilité fait de chacune de ses œuvres un concentré de simplicité et d’empathie. Reste à savoir si ses procédés qui ne manquent pas d’émouvoir sur des récits de 5 à 12 minutes peuvent tenir la route sur un film de 1h38. 

Le film de Matty Brown a été tourné dans l’île aux Lapins, au large de Tripoli au Liban-Nord. Photo Netflix

Tourné dans l’île au Lapins, au large de Tripoli au Liban-Nord, le film fait de cet endroit plutôt familier, non loin de la côte, un lieu inquiétant au milieu de nulle part. Le décor du phare, posé là par le réalisateur, est composé d’objets de récupération issus de la région du Moyen-Orient. Grand rideau en macramé blanc couvrant le hublot géant, cruches en plastique moulé, divers ustensiles dont une cafetière traditionnelle et... miracle ! du café, qui apporte aux protagonistes ce réconfort matinal imitant la vie normale avant que le café ne s’épuise. Une tasse vide présentée par Adam à son père inverse les rôles, l’enfant jouant à son tour le pourvoyeur d’illusions salvatrices. Les gros plans sont nombreux. Ils explorent les mécanismes du phare, les objets trouvés ou bricolés, jusqu’au flou qui dématérialise tout ce qui ressemble à quelque chose et accentue le flou du récit. 

Nadine Labaki en mère courage dans « Au-delà des vagues ». Photo Netflix

Mère courage jusqu’au découragement

Sorti le 24 janvier sur la plateforme Netflix, Au-delà des vagues est un drame psychologique qui offre à Nadine Labaki un rôle intense, tout en retenue, où l’essentiel du jeu se concentre dans l’expression du visage. Le dialogue, minimaliste, laisse toute la place à la gestuelle. L’actrice libanaise, en mère courage jusqu’au découragement, est ici au sommet de son art, portant dans un langage contemporain la force tragique d’une Irène Papas. On aimera l’acteur palestinien Ziad Bakri dans le rôle de Nabil, le père qui aura tout fait pour offrir à sa famille une vie décente, jusqu’à ce que la guerre – comprend-on – en décide autrement. Souvent émouvant dans son incapacité à fonctionner hors du tandem qu’il forme avec sa femme, il lutte pour oublier, mais sa mémoire ne l’entend pas de la même oreille. Elle finira par l’emporter. On retrouvera avec bonheur le « petit » Zain al-Rafeea, star incontestée de Capharnaüm (2018), prix du jury du Festival de Cannes, César du meilleur film étranger, meilleur film en langue étrangère des Golden Globes, réalisé par Nadine Labaki et produit par Khaled Mouzannar. Zain, vingt ans aujourd’hui, joue dans Au-delà des vagues un adolescent rebelle, écouteurs vissés aux oreilles, qui finit par comprendre la gravité de la situation et met son ingéniosité à tenter de participer au sauvetage. Avec sa bouille de gamin au bord des larmes, on lui prêterait 15 ans tout au plus. Le succès de Capharnaüm, qui a sorti cet enfant de réfugiés syriens d’un contexte social difficile, a fait de lui un acteur convaincu et convaincant, habitant ses rôles avec une maîtrise remarquable. Le meilleur pour la fin : c’est la petite Riman al-Rafeea, jeune sœur de Zain et vendeuse de fleurs au cimetière de Capharnaüm, qui semble porter Au-delà des vagues sur ses frêles épaules, tant et si bien qu’on se demande si ce n’est pas elle qui a tout rêvé. Son jeu bouleversant résume le grand motif de ce film réalisé en hommage aux enfants à l’enfance ruinée par les guerres, aux migrants et aux déracinés.

Ziad Bakri dans « The Sand Castle » de Matty Brown. Photo Netflix

Présenté en avant-première au Festival du film de la mer Rouge, Au-delà des vagues – et au-delà de son atmosphère pesante jusqu’à l’asphyxie – mérite d’être visionné. D’abord pour son message, ensuite pour le jeu des acteurs, notamment les enfants dont l’évolution est impressionnante, enfin pour l’originalité de la réalisation, tout en images éclatées qui restituent avec puissances la confusion de ces vies suspendues.

Ils sont quatre : les parents, leurs deux enfants. Yasmine, campée par Nadine Labaki, et Nabil, joué par Ziad Bakri, se réveillent sur une île déserte battue par les vagues, dans la loge d’un vieux phare en bois. Leurs enfants, Adam et Jana (Zain et Riman al-Rafeea), semblent, au départ, ravis de cette liberté entre ciel et mer. Mais à mesure que le film avance, l’atmosphère...
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