
Des civils fuyant les affrontements en cours dans l'est de la République démocratique du Congo transportent leurs effets personnels après avoir franchi la frontière avec le Rwanda au poste-frontière de La Corniche à Gisenyi, le 29 janvier 2025. Tony Karumba/AFP
« Ma maison est très proche de la frontière. Quand j’ai remarqué, mardi, une ouverture du poste par les rebelles, j’en ai profité pour prendre la route du Rwanda avec ma famille. » C’est ainsi qu’un Libanais de Goma, principale ville de l’est de la République démocratique du Congo (RDC), décrit à L’Orient-Le Jour son exil temporaire dans le pays voisin, avec sa femme et ses enfants. « Nous avons eu peur, très peur... C’est une vraie guerre avec des roquettes, des bombes et tout », poursuit ce père de famille qui a préféré rester anonyme.
À Goma, la situation s’est détériorée dimanche soir lors de l'arrivée dans la ville des rebelles du groupe armé antigouvernemental M23 (Mouvement du 23 mars) qui ont pris possession de la ville après deux jours environ, ainsi que de son aéroport. L'entrée dans la capitale de la province du Nord-Kivu, située à la frontière rwandaise, ponctue plusieurs semaines d'avancée des soldats rwandais et des combattants du M23 face à l'armée congolaise. Ces affrontements intervienenent dans un contexte d'escalade diplomatique, la RDC accusant le Rwanda de vouloir faire main basse sur les richesses de l'Est congolais situé de l'autre côté de la frontière, ce que Kigali, la capitale rwandaise, dément.
Dès lundi, à Goma, il n’y avait donc plus d’autre issue pour les personnes bloquées dans la ville que de prendre la route vers le Rwanda, quand les rebelles ouvraient la frontière, souvent de manière temporaire. Les combats entre le M23, secondé par 3 000 à 4 000 soldats rwandais, et les forces gouvernementales congolaises, ont fait jusqu'à présent quelque 400 000 déplacés, selon l’ONU.
« Nous avons passé deux jours difficiles en début de semaine, où il nous était pratiquement impossible de sortir de chez nous. L’eau et l’électricité sont coupés depuis bientôt dix jours », affirme à L’OLJ un autre Libanais installé à Goma depuis 28 ans, toujours sur place et requérant lui aussi l’anonymat. « Pour ma part j’ai été bloqué dans la ville, et je constate maintenant un retour au calme. Je ne vois donc pas l’intérêt de partir jusqu’à nouvel ordre », poursuit-il. On est loin cependant du retour à la normale : « Les commerces sont toujours fermés, mais nous pouvons au moins sortir de chez nous. »
Aux quarante ressortissants libanais qui se sont dirigés vers Kigali, les jours précédents, sont venus s’ajouter une vingtaine d’autres personnes mercredi, nous indique Rayan Nasr, consul du Liban au Rwanda. Il y a à Goma un peu plus d’une centaine de Libanais, indique pour sa part Haytham Ibrahim, chargé d’affaires en RDC. On est loin des 10 000 Libanais de Kinshasa, alors que dans toute la RDC, la communauté libanaise compte quelque 25 000 personnes. « À Goma, les familles sont en principe sorties de la ville, il reste quelques personnes sur place », révèle Haytham Ibrahim.
Tous les Libanais interrogés notent un retour au calme relatif dans cette ville frontalière, après les combats féroces qui s’y sont engagés. Hassan Jammoul, membre de la communauté libanaise au Rwanda, affirme même à L’OLJ avoir été informé du fait que les biens des Libanais à Goma sont pratiquement intacts. Selon lui, ceux qui y sont restés ne sentent plus le besoin de quitter la ville à ce stade. Kigali accueille néanmoins des dizaines d’entre eux, accueillis par leurs compatriotes, confirme-t-il.
Mardi, le ministère libanais des Affaires étrangères a publié un communiqué pour guider les Libanais désireux de quitter le territoire congolais, précisant que le chargé d’affaires était en contact avec les autorités rwandaises et congolaises pour sécuriser leur passage.
Une communauté solidaire et un plan d’urgence
La grande communauté libanaise en RDC est très bien intégrée dans la vie de cette nation africaine. « On peut même dire qu’une bonne partie de l’économie de ce pays repose sur ses épaules », souligne Haytham Ibrahim.
Dans la capitale, où le chargé d'affaires réside, les manifestations qui ont secoué le début de semaine se sont calmées jeudi. « Il y a eu quelques actes de vandalisme contre des commerces durant les manifestations, mais les Libanais n’étaient pas visés en tant que tels, même si certains ont vu leurs biens dégradés », poursuit-il.
La communauté à Kinshasa, bien organisée et dotée d’un comité représentatif, est « solidaire en toute circonstance », selon lui. Ses membres ont cependant refusé de répondre à nos questions, jugeant la situation « trop délicate » pour l’instant, selon une source au sein de ce comité, anonyme également.
Interrogé sur le développement de cette situation volatile en RDC, Haytham Ibrahim juge qu’elle reste imprévisible en théorie, mais qu’elle n’est pas alarmante pour le moment. « Les Libanais de Kinshasa préfèrent rester sur place, mais en cas d’aggravation de la situation, nous avons un plan d’urgence décidé avec la diaspora, qui consistera à évacuer ses membres vers Brazzaville (capitale du Congo-Brazzaville), par voie fluviale », précise-t-il.