
Le Premier ministre désigné, Nawaf Salam, à Aïn el-Tiné, le 17 janvier 2025. Hassan Ibrahim/Parlement libanais
Alors que le processus de formation gouvernementale se poursuit de plus belle, l’image du Premier ministre désigné Nawaf Salam se laissant entraîner dans le marécage de la logique du partage du gâteau politico-confessionnel déçoit les Libanais qui ont accueilli l’élection du président Joseph Aoun comme une rupture avec les pratiques du passé.
Certes, M. Salam a déjà réagi avec vigueur aux prétentions du tandem chiite en matière de portefeuilles. « Je ne suis pas LibanPost », a-t-il ainsi déclaré mardi 21 janvier, indiquant clairement qu’il avait l’intention de nommer un cabinet conformément à ses convictions et promesses. Une mise au point bienvenue, qu’il serait d’ailleurs justifié d’adresser à tous les blocs parlementaires. Si la Constitution post-Taëf prévoit des consultations avec ces derniers, elles demeurent non contraignantes et c’est lors du vote de confiance que la Chambre a le dernier mot. Le Premier ministre désigné devrait donc exploiter ces paramètres pour obtenir ce qu’il veut, en accord avec Joseph Aoun. Surtout, il doit fixer des lignes rouges et éviter ce que lui et le président ne veulent pas, et c’est là que réside le défi.
L’une des premières déclarations de M. Salam a été d’écarter tout quota politico-confessionnel, une tradition qui a transformé tous les gouvernements libanais en organes improductifs et bloqués. Pourtant, le tandem chiite (et il n’est pas le seul) a continué à aborder le processus actuel de formation du cabinet avec les mêmes réflexes que par le passé, insistant pour conserver la mainmise sur le ministère des Finances et la nomination des ministres chiites, et même pour la prolongation du gouverneur par intérim de la BDL, Wassim Manssouri, alors que ce poste est traditionnellement occupé par un maronite.
Ces exigences s’expliquent par des raisons tactiques : le tandem est hostile aux programmes déclarés de Aoun et de Salam et cherche ainsi à les déstabiliser en début de mandat. Mais ces derniers disposent de plusieurs armes et devraient commencer à les déployer dès maintenant.
Lignes rouges
D’abord, ils devraient fixer trois lignes rouges. La première est le refus d’accorder un tiers de blocage susceptible d’empêcher les réunions du gouvernement et d’imposer ses préférences dans la déclaration de politique générale, voire de faire tomber le cabinet en cas de défection des ministres chiites. Cela suppose aussi de refuser une forme déguisée du tiers de blocage, dans laquelle le Hezbollah et Amal n’auraient, officiellement, pas plus d’un tiers des ministres, mais contrôleraient subrepticement les décisions d’un ministre relevant théoriquement de la « quote-part » d’un autre parti.
Une deuxième ligne rouge est que les deux hommes doivent continuer de refuser toute mention du triptyque « armée-peuple-résistance » inclus dans toutes les déclarations de politique générale récentes. Cette formulation, qui mettait le Hezbollah sur le même plan que les forces armées libanaises, n’est plus tenable car une grande majorité de la population s’oppose à l’arsenal du parti et que la déclaration de Joseph Aoun sur la nécessité de « garantir le droit de l’État à détenir le monopole des armes » a été particulièrement applaudie.
Un troisième point que M. Aoun et M. Salam devraient rendre non négociable est le droit du président ou du Premier ministre de nommer des ministres chiites, quelles que soient les préférences du Hezbollah et d’Amal. Rien dans la Constitution n’accorde aux partis le droit de nommer tous les ministres issus de leur communauté. Le tandem répondra que tout refus d’accéder à leur souhait va à l’encontre du pacte national, mais c’est un non-sens. La représentation communautaire n’est pas liée aux partis politiques, elle est liée aux communautés. Et M. Salam ne refuse nullement à la communauté chiite sa juste représentation.
Quels risques ?
Si le président et le Premier ministre vont de l’avant avec ces conditions, que risquent-ils ? Que le tandem chiite refuse de participer au gouvernement ? Il ne faut pas se voiler la face : ce scénario paraît impossible. Et ce pour deux raisons : premièrement, il ne veut pas céder de marge de manœuvre à MM. Aoun et Salam pour prendre des mesures susceptibles de l’affaiblir davantage. Deuxièmement, le fait de laisser un gouvernement dans lequel le Hezbollah et Amal sont absents être responsable de la reconstruction des zones chiites – avec des fonds arabes – ne ferait que renforcer la crédibilité de l’État auprès de la communauté tout en soulignant les lacunes du Hezbollah et de l’Iran à cet égard.
Le Hezbollah et Amal pourraient recourir à une autre astuce et refuser de voter la confiance au gouvernement. Et alors ? Il est presque certain que le nouveau cabinet, s’il est perçu comme véritablement réformateur, remportera facilement un vote de confiance au Parlement. C’est tout ce dont Nawaf Salam a besoin. Le Liban peut légitimement fonctionner même sans un consensus absolu sur toutes les décisions de l’État, et il est temps de le prouver.
Même si le risque de perdre la confiance devenait trop tangible, les deux têtes de l’exécutif devraient affirmer leur conviction que le Liban ne peut plus continuer comme lors de la dernière décennie et demie, et en précisant que si le gouvernement ne remporte pas un vote de confiance, la perspective d’une aide arabe pour reconstruire les régions dévastées du pays s’évanouira probablement. Ils pourraient rappeler que leurs lignes rouges visent à atteindre des objectifs énoncés publiquement et qui ont été accueillis favorablement par la plupart des Libanais, et qu’il appartient donc au Parlement d’assumer ses responsabilités. M. Salam pourrait alors terminer en déclarant qu’il n’a aucun intérêt à former un gouvernement voué à l’échec et que, par conséquent, si la confiance lui est refusée, il rentrera chez lui.
À ce stade, M. Salam n’a qu’un seul devoir : constituer un gouvernement qui réponde à ses préférences et à celles de Joseph Aoun, et qui puisse obtenir un vote de confiance. C’est ce que prévoit la Constitution, point final. Le Hezbollah et Amal doivent comprendre que tout retard dans l’accomplissement de cette tâche nuira à leurs intérêts et à ceux de leur base populaire, alors que le mécontentement de celle-ci augmente en raison des conséquences de la guerre menée par le parti-milice. Plus pernicieux encore, tout ralentissement dans le processus de formation du cabinet pourrait donner à Israël une excuse pour rester dans le Sud, et ce n’est pas l’ administration Trump qui devrait les en chasser.
Enfin, M. Salam, qui est par ailleurs laïc, devrait prendre en considération l’état du rapport de force communautaire : qu’il joue ou non la carte du confessionnalisme, son attitude devrait être définie par le simple fait qu’au Liban et en Syrie, il est à l’avant-garde d’une communauté sunnite revitalisée. Il est donc en mesure de former son cabinet avec la confiance qui va de pair avec une telle situation. Il n’est pas nécessaire qu’il se plie aux intimidations de ses adversaires politiques si les conditions qu’ils cherchent à imposer ne font que contrecarrer ses efforts.
Nawaf Salam a les cartes en main dans son bras de fer avec le duo chiite. Il est soutenu par le président, la plupart des Libanais, sa communauté et les États arabes et internationaux. Il est également soutenu par la Constitution. Il n’y a tout simplement aucune raison pour qu’il fasse des compromis sur ses ambitions s’il n’y est pas obligé. Il lui faudra peut-être une bataille politique pour l’emporter, mais il doit se rendre compte que les conditions ne seront jamais aussi avantageuses qu’aujourd’hui.
Par Michael YOUNG, rédacteur en chef de Diwan. Dernier ouvrage : « The Ghosts of Martyrs Square: an Eyewitness Account of Lebanon’s Life Struggle » (Simon & Schuster, 2010, non traduit). Ce texte est la version synthétique d’un article publié en anglais sur Diwan, le blog du Malcolm H. Kerr Carnegie MEC.
Puisque les libanais ne sont pas capables de remplacer le haut perché, il faudra attendre que le bon dieu le rappelle après un demi siècle de bons et loyaux services qui ont anéanti sa communauté. Ce sera pour le bien de tous, inclus les malheureux chiites.
17 h 21, le 23 janvier 2025