
Des portraits des victimes de la double explosion du 4-Août accrochés devant le port de Beyrouth, le 4 juin 2021. Matthieu Karam/L’Orient-Le Jour
Une semaine après l’élection du président de la République Joseph Aoun, le juge d’instruction près la Cour de justice Tarek Bitar, chargé de l’enquête sur l’explosion au port de Beyrouth du 4 août 2020, a pris jeudi une initiative décisive pour la poursuite de ses investigations : il a engagé des poursuites contre douze responsables sécuritaires et fonctionnaires du port, qu’il a convoqués pour des audiences prévues entre le 7 février et la fin du mois prochain.
Les personnes mises en cause sont l’ancien chef des services de renseignements de l’armée, Edmond Fadel ; Marwan Eid, l’ancien chef des renseignements du port ; Assaad Toufeily et Gracia Azzi, respectivement ancien président et membre du Conseil supérieur des douanes ; Raymond Khoury, actuel directeur général des douanes ; Adel Francis, officier des douanes ; Najm Ahmadiyé, Mounah Sawaya, Mohammad Hassan Moukalled, officiers de la Sûreté générale ; Mohammad Ahmad Kassabiyé, Marwan Kaaké et Rabih Srour, anciens fonctionnaires du port.
Le juge Bitar a agi par l’intermédiaire d’huissiers civils. La police judiciaire est en effet interdite de coopérer avec lui, en raison de directives de l’ancien procureur général près la Cour de cassation Ghassan Oueidate, que son successeur Jamal Hajjar refuse de supprimer, sauf si le juge d’instruction se limite à examiner la responsabilité des fonctionnaires, en excluant les politiciens impliqués. Une condition que le juge d’instruction rejette fermement, soulignant l’unicité du dossier du port.
Selon nos informations, le juge d’instruction devrait établir ultérieurement de nouvelles listes de personnes mises en cause, comprenant des responsables politiques, pour des audiences étalées jusqu’en avril prochain.
De cette manière, Tarek Bitar aura ainsi donné le droit de défense aux responsables concernés, indique à L’Orient-Le Jour une source du Palais de justice, indiquant qu’un refus de ces derniers de comparaître n’entravera pas le prononcé de l’acte d’accusation après avoir procédé à l’affichage public des notifications.
Coûte que coûte
Peu avant la divulgation des convocations, le Comité du rassemblement des victimes et blessés de l’explosion au port de Beyrouth, dirigé par Ibrahim Hoteit, un frère de victime, s’était rendu auprès du juge Hajjar pour lui remettre des documents « incriminant des personnes encore non convoquées ».
Avec d’autres proches de victimes chiites, M. Hoteit est séparé, depuis environ trois ans, du comité d’origine formé par de nombreuses familles de victimes avec lesquelles il s’exprimait pourtant d’une même voix. Son collectif est perçu comme ayant été créé sous des pressions et intimidations qu’auraient exercées le Hezbollah et le mouvement Amal, dont deux responsables sont mis en cause par le juge Bitar. Ibrahim Hoteit réclame constamment la mise à l’écart de ce dernier, l’accusant de politiser l’enquête, tout en niant avoir fait l’objet de menaces.
Après sa rencontre avec le juge Hajjar, le chef du collectif controversé s’est demandé « pourquoi le juge d’instruction n’a pas encore convoqué l’ancien directeur des douanes, Raymond Khoury ». Pourtant, ce dernier figurait déjà dans la liste des personnes convoquées, diffusée peu après. Dans un communiqué, Ibrahim Hoteit est allé jusqu’à qualifier le juge Bitar de « criminel », dont la place est « en prison plutôt qu’à son bureau », l’accusant d’avoir « retardé la vérité et la justice en raison de son approche sélective et son irrespect de l’unité des critères dans les convocations ».
Or depuis qu’il a pris en charge le dossier, le juge d’instruction n’a eu de cesse d’affronter les nombreux obstacles dressés par la classe politico-judiciaire, qui rendent très difficile sa mission de faire avancer l’enquête. La guerre entre Israël et le Hezbollah, entre octobre 2023 et novembre 2024, n’a pas non plus facilité sa tâche, indique une source du Palais de justice. Le magistrat a toujours fait preuve de détermination pour mener à terme ses investigations, ajoute-t-elle, estimant qu’il a toujours fait fi des considérations sécuritaires et politiques. Pour cette source, ce n’est donc ni l’insistance du nouveau président de la République Joseph Aoun pour une indépendance de la justice ni l’appel du chef du gouvernement Nawaf Salam à finaliser l’enquête qui font que Tarek Bitar veut y arriver coûte que coûte.
Bravo monsieur Bitar, immense respect pour vous. Quelle pugnacité. Quel courage. Tout libanais honnête et intègre doit être derrière vous.
01 h 39, le 18 janvier 2025