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Nos Lecteurs ont la Parole

« Minorités associées » et dissociées par loi électorale !

La formation d’alliances parlementaires transcommunautaires cohérentes est-elle possible au Liban des « minorités associées », selon l’expression de Michel Chiha, alliances qui témoignent de l’unité nationale concrète dans les grands débats et défis nationaux ?

Alors que la société libanaise se caractérise profondément par un haut niveau d’interactions intercommunautaires, des appartenances entrecroisées (overlapping memberships), la vie publique libanaise est souvent fragmentée en allégeances cloisonnées. La réponse centrale réside dans l’étude des rapports entre la loi électorale et la sociologie des alliances.

1. Sociologie des alliances : l’expérience libanaise endogène est celle du mandat du président Fouad Chéhab et des deux alliances du Nahj et Helf en 1964-1968. Une sociologie des alliances est développée dans notre première thèse de doctorat où la cohésion, la stabilité et l’effectivité du Nahj et Helf sont analysées (La structure sociale du Parlement libanais, 1920-1976, Institut des sciences sociales, UL, 1977, pp. 83-102).

Dans la décision n° 2/2019 du 21/2/2019 du Conseil constitutionnel nous avions relevé, dans un long avis dissident : « La loi en vigueur institue des alliances électoralistes provisoires et non des alliances politiques, ce qui transforme le scrutin en compétitions interindividuelles entre des candidats au lieu de compétitions sur des programmes électoraux de listes et donne ainsi la priorité au candidat individuel au détriment de sa liste » (Recueil des décisions du Conseil constitutionnel, vol. 3, 2015-2019, p. 164, avis dissident A. Messarra).

C’est grâce à un entretien avec l’ancien ministre de la Justice Charles Rizk que nous devons être désormais interpellés, par une recherche plus profonde et opérationnelle pour une « sociologie électorale libanaise des alliances politiques ».

Charles Rizk me rapporte qu’à son initiative des rencontres avaient groupé le président Fouad Chéhab et Maurice Duverger, connu pour ses travaux fondamentaux sur les systèmes électoraux et sur les partis politiques. Appliquant les idées de Maurice Duverger au contexte libanais, Charles Rizk proposait d’ailleurs dans sa thèse dirigée par Maurice Duverger un système électoral qui aboutirait à un dualisme (Le régime politique libanais, LGDJ, 1966, 176 p., II, sect. 2) et dans un article, il proposait : « Une majorité politique au pays des minorités » (Le Jour, 30 et 31/3/1971).

Il avait favorisé la rencontre, fort approfondie et fructueuse, entre le président Fouad Chéhab et Maurice Duverger à propos de la législation électorale et des alliances politiques dans le cas spécifique libanais. Nous retrouvons aussi l’entretien engagé par Édouard Saab avec Maurice Duverger qui, tout comme l’éminent Pierre Rondot, comprenait en profondeur la nature du régime parlementaire pluraliste du Liban. Maurice Duverger, interrogé par Édouard Saab, avait répondu en ces termes : « Ce sont vos communautés politisées, alors même qu’elles sont d’appartenance confessionnelle, qui remplissent les fonctions de partis. Ce qu’il faut, c’est rajeunir ces mêmes communautés politiques. Il faut donc vous résoudre à réformer ce qui existe déjà. En somme une régénération de l’intérieur » (« Le professeur Duverger analyse pour Le Jour le système parlementaire libanais », propos recueillis par E. Saab, Le Jour, 19 mars 1968).

Dans un article, Maurice Duverger, à la suite de son expérience libanaise de terrain, écrit en 1973, prélude aux guerres multinationales en 1975-1990 : « Des dirigeants musulmans comme Saëb Salam et Rachid Karamé jouent un rôle d’amortisseurs. De leur côté, les dirigeants chrétiens entrent généralement dans ce jeu en prenant officiellement la défense des thèses arabes. Mais, à long terme, la situation risque de devenir explosive dans la mesure où elle bloque toute évolution véritable du système » (Maurice Duverger, « La difficulté d’être », Le Monde, 20/4/1973).

2. Concilier collège électoral unique et « minorités associées » : la philosophie du régime électoral libanais est fondée sur le principe du collège électoral unique, ainsi qualifié et étudié par Pierre Rondot, où des candidats de différentes communautés sont élus par des électeurs de différentes communautés. La notion est développée par Pierre Rondot (Les institutions politiques du Liban : Des communautés traditionnelles à l’État moderne, 1947, 148 p.). Pierre Rondot, qui était membre du jury de notre thèse de doctorat à l’Université de Strasbourg, m’avait dit en 1974 : « Je cherche dans votre thèse la réponse au dilemme du collège électoral unique ! »

3. Minorités enfin associées et liste électorale bloquée : c’est dans la logique du principe du collège électoral unique, selon Pierre Rondot, de la nature des « minorités associées » selon Michel Chiha, et de l’exigence d’alliances politiques transcommunautaires durant le mandat du président Fouad Chéhab à l’exemple du Nahj et du Helf qu’il est impératif et vital de considérer à l’avenir que des circonscriptions électorales moyennes, avec des listes électorales bloquées, garantissent des alliances parlementaires intercommunautaires et transcommunautaires cohérentes et durables.

Le régime électoral libanais s’est trouvé manipulé et instrumentalisé par les autorités d’occupation et des collaborateurs et imposteurs internes pour « dissocier » les « minorités associées » de Michel Chiha, dénaturer l’essence même de toute alliance stable, cohérente et durable dans une vie parlementaire.

Dans deux études dans les années 1960 sur la vie parlementaire au Liban, nous avons relevé la déclaration de Pierre Gemayel au cours de la séance parlementaire du 28/12/1962, à propos de « blocs » parlementaires et non d’alliances : « Toute la vie politique du pays tournait autour de ce qu’on appelait des blocs qui n’étaient en fait que des groupements de politiciens de village » (Action-Proche-Orient, mai 1964, pp. 16-29, et août-sept. 1964, pp. 27-35).

4. Une sociologie libanaise renouvelée des alliances : l’exigence d’une majorité pour l’efficience de tout régime parlementaire est vitale. C’est l’éminent constitutionnaliste suisse, Jean-François Aubert, qui écrit : « Quand la majorité est solide, tous les systèmes se valent et le gouvernement parlementaire, présidentiel ou collégial, peut agir fortement. La pierre de touche d’un système, c’est l’absence de majorité, et nous croyons qu’ici le nôtre soutient avantageusement la comparaison » (J.-F. Aubert, Traité de droit constitutionnel suisse, Neuchâtel, Ides et calendes, 1967, no 150).

La loi électorale actuelle planifie le compagnonnage électoral provisoire, le tout régi par l’opportunisme et débouche sur la fragmentation de la vie parlementaire au Liban.

Membre du Conseil constitutionnel, 2009-2019

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

La formation d’alliances parlementaires transcommunautaires cohérentes est-elle possible au Liban des « minorités associées », selon l’expression de Michel Chiha, alliances qui témoignent de l’unité nationale concrète dans les grands débats et défis nationaux ? Alors que la société libanaise se caractérise profondément par un haut niveau d’interactions...
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