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Moyen-Orient - Chute du régime Assad

L'Occident met en garde Damas contre la présence de jihadistes étrangers dans l'armée

Les capitales étrangères craignent qu'après avoir acquis de l'expérience sur le terrain à l'étranger, ces combattants ne retournent dans leurs pays d'origine pour y mener des attentats.

Des combattants d'une faction de l'Armée nationale syrienne (ANS) soutenue par la Turquie près du barrage de Tishrîn dans les environs de Manbij, à l'est de la province d'Alep, dans le nord de la Syrie, le 10 janvier 2025, au milieu des combats en cours avec les Forces démocratiques syriennes (FDS) dirigées par les Kurdes. Aaref Watad/ AFP

Les envoyés des États-Unis, de la France et de l'Allemagne ont mis en garde les nouveaux dirigeants islamistes de la Syrie contre la nomination de jihadistes étrangers à des postes militaires de haut rang, estimant que de telles décisions, préoccupantes en matière de sécurité, nuisent à l'image de la Syrie, ont indiqué deux sources proches du dossier à Reuters. Les nouvelles autorités syriennes tentent, depuis la chute du régime Assad, le 8 décembre dernier, d'établir des liens avec la communauté internationale, à coups de tournées diplomatiques et de réunions en série avec des délégations étrangères à Damas. 

Du côté américain, cet avertissement, qui s'inscrit dans les efforts occidentaux pour inciter les nouveaux dirigeants syriens à reconsidérer cette décision, a été transmis lors d'une réunion entre l'envoyé US Daniel Rubinstein et le dirigeant de facto syrien Ahmad el-Chareh, mercredi dernier au palais présidentiel surplombant Damas, selon un responsable américain s'exprimant sous couvert de l'anonymat. « Ces nominations ne les aideront pas à améliorer leur réputation aux États-Unis », a estimé ce responsable.

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Les ministres des Affaires étrangères de la France et de l'Allemagne, Jean-Noël Barrot et Annalena Baerbock, ont également abordé la question des combattants étrangers intégrés à l'armée lors de leur rencontre avec M. el-Chareh le 3 janvier, selon un responsable informé de la teneur de leurs entretiens.

Ouïghours, Turc, Egyptien et Jordanien

Ahmad el-Chareh est à la tête du groupe armé islamiste Hay'at Tahrir el-Cham (HTC) qui a mené l'offensive éclair menant au renversement de Bachar el-Assad. Depuis, il a formé un gouvernement de transition et dissous l'armée du régime Assad, tout en s'efforçant de reconstituer les forces armées, avec l'intention d'y intégrer les milices et groupes de tout le pays. Fin 2024, près de 50 nominations avaient été annoncées dans le cadre de la structure de cette nouvelle armée, dont au moins six concernaient des combattants étrangers, parmi lesquels des Ouïghours chinois et d'Asie centrale, un citoyen turc, un Égyptien et un Jordanien. Selon une source militaire syrienne, trois d'entre eux ont été promus au grade de général de brigade et trois autres à celui de colonel.

Parmi ceux nommés au grade de général de brigade figurent le citoyen jordanien Abdul Rahman Hussein el-Khatib et le militant ouïghour chinois Abdulaziz Dawood Khudaberdi, également connu sous le nom de Zahid. Zahid commande les forces du Parti islamique du Turkestan en Syrie, qui cherche à établir un État indépendant dans certaines régions de la Chine et que Pékin désigne comme un groupe terroriste. Un autre des promus est le militant égyptien Alaa Mohammad Abdelbaqy, qui a fui l'Égypte en 2013 et a été condamné à la prison à vie par contumace en 2016 pour des accusations de terrorisme. Il dirigeait le Front al-Nosra lié à el-Qaëda en Égypte et était le principal lien entre celui-ci et d'autres groupes affiliés au mouvement jihadiste, selon des sources sécuritaires égyptiennes.

HTC et ses alliés comptent des centaines de combattants étrangers dans leurs rangs, qui sont arrivés en Syrie au fil des 13 ans de guerre civile. La majorité d'entre eux sont partisans d'une interprétation rigoriste de l'islam. Pendant la guerre, certains combattants étrangers en Syrie ont formé leurs propres groupes armés, tandis que d'autres ont rejoint des groupes comme l'État islamique, une organisation ultra-radicale, qui a semé pendant des années la terreur en Irak et en Syrie. D'autres groupes de jihadistes étrangers ont rejoint HTC, initialement issu d'el-Qaëda.

Sacrifices et risques de « persécution » en Occident

Les capitales étrangères considèrent avec appréhension ces combattants étrangers, estimant qu'ils représentent une importante menace sécuritaire. Elles craignent qu'après avoir acquis de l'expérience sur le terrain à l'étranger, ces combattants ne retournent dans leur pays d'origine pour y mener des attentats.

Les nouvelles autorités syriennes ont, elles, indiqué que ces combattants ont consenti à des « sacrifices » pour soutenir la lutte contre le régime Assad et qu'ils ont donc leur place en Syrie. Selon elles, ces combattants pourraient à terme obtenir la nationalité syrienne. Un responsable américain et une source occidentale ont indiqué que Damas a expliqué les nominations de combattants étrangers en disant qu’ils ne pouvaient tout simplement pas être renvoyés chez eux ou à l’étranger, où ils pourraient être persécutés, et qu’il était préférable de les garder en Syrie.

Le responsable américain a également déclaré que les autorités avaient justifié ces décisions en expliquant que ces personnes avaient contribué à débarrasser la Syrie d'Assad et que certaines étaient dans le pays depuis plus de dix ans, faisant désormais partie de la société.

Contacté, le ministère syrien de la Défense n'a pas répondu à une demande de commentaire de Reuters.

Signaux encourageants pour les jihadistes

Le ministère allemand des Affaires étrangères n'a pas non plus commenté ce dossier. 

Un porte-parole du Département d'État américain a, lui, déclaré que Washington maintenait un dialogue continu avec les autorités de transition à Damas. « Les discussions ont été constructives et ont couvert un large éventail de questions nationales et internationales », a déclaré le porte-parole, ajoutant qu'il y a eu « des progrès tangibles sur les priorités de la lutte contre le terrorisme, y compris contre l'État islamique ».

Les États-Unis, les Européens et les États du Golfe arabe dialoguent avec la nouvelle administration pour tenter de l'inciter à une transition politique inclusive, tout en cherchant une coopération sur la lutte contre le terrorisme et une limitation de l'influence iranienne dans la région. Cependant, ces puissances restent méfiantes quant à la manière dont les anciens rebelles devenus dirigeants géreront le pays, et se posent des questions sur leur capacité à rassembler des groupes disparates ayant des visions variées de l'orientation que la nouvelle Syrie doit prendre.

Dans ce cadre, des diplomates ont indiqué que les États-Unis, les pays européens et arabes, en particulier l'Égypte et la Jordanie, s'opposaient aux nominations de combattants étrangers au sein de l'armée syrienne, suspectant qu'elles pourraient envoyer des signaux encourageants aux jihadistes transnationaux.

Équilibre

Les diplomates et analystes spécialisés sur la Syrie estiment que les nouveaux dirigeants du pays font face à un défi majeur : équilibrer les intérêts et les demandes de nombreuses factions, y compris celles des étrangers, avec les attentes des puissances occidentales et arabes, dont le soutien est nécessaire pour reconstruire le pays.

Aaron Zelin, chercheur principal à l'Institut de Washington pour la politique du Proche-Orient, a indiqué de son côté que la logique de Damas pour nommer des combattants étrangers à l'armée était qu'ils étaient fiables et loyaux, mais aussi que les nouveaux dirigeants de la Syrie voulaient empêcher qu'ils ne posent problème dans le pays ou à l'étranger. « Peut-être que cela représente une voie médiane qui fonctionne pour tout le monde et qui, espérons-le, évite des problèmes à l'extérieur du pays, tout en intégrant ces combattants dans la société syrienne », a déclaré Zelin. « Mais j'imagine qu'il y aura toujours des risques au niveau local ainsi que des préoccupations au niveau mondial. »

Cet article est une traduction, réalisée par L'Orient-Le Jour, d'une dépêche publiée en anglais par l'agence Reuters. 

Les envoyés des États-Unis, de la France et de l'Allemagne ont mis en garde les nouveaux dirigeants islamistes de la Syrie contre la nomination de jihadistes étrangers à des postes militaires de haut rang, estimant que de telles décisions, préoccupantes en matière de sécurité, nuisent à l'image de la Syrie, ont indiqué deux sources proches du dossier à Reuters. Les nouvelles autorités syriennes tentent, depuis la chute du régime Assad, le 8 décembre dernier, d'établir des liens avec la communauté internationale, à coups de tournées diplomatiques et de réunions en série avec des délégations étrangères à Damas. Du côté américain, cet avertissement, qui s'inscrit dans les efforts occidentaux pour inciter les nouveaux dirigeants syriens à reconsidérer cette décision, a été transmis lors...
commentaires (1)

Si l 'Occident ne comprend pas que ces personnages sont moins à risque en étant devenus Syriens, loyaux à HTC, certainement compétents et occupés à défendre la Syrie plutôt que lâchés dans la nature et se sentant trahis si leur dévouement n'est pas récompensé, alors, c'est à désespérer de l'occident, une fois de plus attaché à donner le bâton pour se faire battre....

Axelle Motte

17 h 56, le 13 janvier 2025

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Commentaires (1)

  • Si l 'Occident ne comprend pas que ces personnages sont moins à risque en étant devenus Syriens, loyaux à HTC, certainement compétents et occupés à défendre la Syrie plutôt que lâchés dans la nature et se sentant trahis si leur dévouement n'est pas récompensé, alors, c'est à désespérer de l'occident, une fois de plus attaché à donner le bâton pour se faire battre....

    Axelle Motte

    17 h 56, le 13 janvier 2025

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