Critiques littéraires

Joumana Haddad ressuscite Schéhérazade

Joumana Haddad ressuscite Schéhérazade

D.R.

Wassaya Schéhérazade al-akhira (Les Dernières Volontés de Shéhérazade) de Joumana Haddad, Naufal-Antoine Hachette, 2024, 242 p.

Sacrilège, elle avait planifié de tuer Schéhérazade il y a quinze ans ! Son livre, écrit directement en anglais puis traduit en arabe et diverses autres langues, I Killed Schéhérazade, en ce temps-là, fut un succès scandaleux et retentissant. La femme, revue et corrigée par Joumana Haddad, passionaria sans frein de la cause féminine, sa dignité et ses droits, avait alors des accents véhéments, vindicatifs et vengeurs. Octobre dernier, cet ouvrage a fait l’objet à Rio de Janeiro d’un monologue sur scène par la comédienne libano-brésilienne Carole Challita.

L’auteure qui n’a pas froid aux yeux et encore moins à la plume ou au verbe, dans cet opus iconoclaste, coupait court aux paroles de la sultane des contes qui tenait au fil de la vie par le suspense de ses mots et de ses récits haletants. Elle revient aujourd’hui, avec un juste acharnement, à sa cause, à ses amours premières, c’est-à-dire à son combat féministe. Car, en quinze ans, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts ! Elle ressuscite Schéhérazade et la charge d’un testament, de consignes et d’exhortations, à travers son dernier livre, en langue arabe, intitulé Wassaya Schéhérazade al-akhira (Les dernières volontés de Schéhérazade).

Écrivaine polyglotte s’exprimant en toute aisance aussi bien en arabe qu’en français, anglais, italien et espagnol, activiste militante chevronnée pour les droits humains, Joumana Haddad a l’inspiration drue (déjà à 53 ans, plus de 35 ouvrages à son actif !), vagabonde et éclectique. De la poésie à l’essai en passant par le roman, elle grappille les thèmes qui lui sont chers et offre une palette d’écritures inventives, originales et percutantes.

Dans son dernier ouvrage, l’auteure s’adresse aux filles d’Eve, mais aussi aux machistes récalcitrants ou aux hommes de bonne volonté qui contribuent à la saine évolution des idées et des mœurs.

D’abord, à souligner les superbes exergues, venus de différents horizons, en un voisinage amusant, au début de chaque chapitre, illustrant la vaste culture de l’auteure ! Alors on retrouve, côte à côte, les devises de Socrate, Mae West, Victor Hugo, Cher, Ounsi el-Hajj, Karl Young…

L’auteure de Superman est un arabe n’effleure pas mais approfondit, dans ces pages, empreintes de liberté, parfois de révolte, et souvent d’audace, les notions et les espaces de l’amour, du sexe, du plaisir personnel y compris la masturbation, de la féminité, de la maternité, du mariage, du divorce, de la solitude, du harcèlement, de la langue et de son emploi, des besoins d’évasion et d’intimité, de la cupidité, de l’irrévérence, de l’outrage et de la maturité de l’âge… Mais aussi, les perceptions de genres, de l’homme féminisé, de la femme virile…

Voilà, dans ces suites inédites aux histoires de Schéhérazade, une guerrière qui s’élève contre les inégalités de la parité homme/femme, avec la ferme détermination d’avouer, de dénoncer, de tout dire, même tard ! Mais ne vaut-il pas mieux tard que jamais ? À cela s’ajoutent plusieurs visages soigneusement camouflés : financiers, émigrés, pauvreté, errance, désespérance, orphelinats.

Joumana Haddad est consciente que tout change, malgré tout, et que certaines timides victoires ont été enregistrées en plusieurs domaines, sauf que ni la violence ni l’injustice n’ont disparu. Pour cela, si elle a tué, il y a quinze ans, Schéhérazade, littérairement et intellectuellement, elle a voulu une renaissance. Pour une femme libre, sans compromission. Une femme sans être sous le joug et la domination (pour ne pas dire la maltraitance) d’un Schahrayar en ce monde régi par un système patriarcal.

Un livre profondément féminin, nécessaire et exigeant. Une virée dans l’univers des femmes, hélas, pas toujours rose. Et Joumana Haddad, contre tout tabou ou interdit, maîtresse de son art d’écrire, le dit dans une formulation au style fluide, toujours agréable à lire, avec pointes d’humour ou grain de mélancolie.

Pour conclure, que concocte cette écrivaine au souffle résolument sulfureux ? « Un roman en anglais à propos de la polygamie et je n’en dirai pas plus », confie-t-elle. Parfait. On attend !


Wassaya Schéhérazade al-akhira (Les Dernières Volontés de Shéhérazade) de Joumana Haddad, Naufal-Antoine Hachette, 2024, 242 p.Sacrilège, elle avait planifié de tuer Schéhérazade il y a quinze ans ! Son livre, écrit directement en anglais puis traduit en arabe et diverses autres langues, I Killed Schéhérazade, en ce temps-là, fut un succès scandaleux et retentissant. La...
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