Critiques littéraires

Pour Gaza

Pour Gaza

D.R.

Peut-on détourner le regard et la conscience, écrire autre chose, lorsqu’un génocide frappe à la porte de notre prétendue civilisation ? Peut-on faire semblant, faire comme si notre humanité n’était pas en jeu ? Garder le silence ne constitue-t-il pas une complicité fracassante ?

Mais en même temps, peut-on trouver des mots pour dire ce qui est au-delà de l’entendement ? Peut-on écrire l’horreur et l’ignoble ?

Randa Aractingi répond, non à la première question, oui à la seconde problématique. D’ailleurs, c’est une récidiviste. Elle a déjà mobilisé la communauté de ses ami.e.s écrivains en un beau recueil de nouvelles pour défendre ou dénoncer 18 causes de la vie sociale libanaise et bien davantage.

Tout ouvrage collectif est un hymne à la différence. Il fascine par la multitude des points de vue, la diversité des tonalités, d’autant que les vingt-deux auteurs et autrices avaient une aimantation unique : Gaza. Pourtant, les cordes vocales de chaque texte, l’approche originale de chaque mental, la palette spécifique de chacun.e, dotent cet ouvrage collectif d’un sceau singulier.

Là, le narrateur est un caillou. Là-bas, un professeur anime une dissertation sur la fin et les moyens avec Camus et Sartre et ce, la veille du 7 octobre. Plus loin, quelqu’un s’empoigne dans un miroir. Là, le personnage est Handhala de Naji al-Ali « qui a dix ans depuis 55 ans ». Là-bas, Lubna Mahmoud Elian qui voulait devenir « violoniste de renommée internationale ». Plus loin, Mankoub qui a renoncé à ses droits de propriété. Pour l’une de ces écrivains, « le temps, la vie et le langage se disloquent ». Pour l’autre, les « missiles d’inhumanité » ayant tout détruit, il ne lui reste qu’à « avaler sa douleur et fermer ses mots ». Dans l’un des récits, les événements se déroulent en 2033, le jour de « l’enterrement de maman », alors qu’un autre revient sur ceux de la nuit du 16 au 17 janvier, en Irak.

De nombreux abécédaires ponctuent ce livre – grâce à l’atelier d’écriture animé par Georgia Makhlouf – qui explicitent les innombrables mots de Gaza que la mort hante.

Empruntons à Jean Rouaud le mot de la fin, cité dans l’un des textes dont le titre est « Littérature et barbarie » : « la littérature est le meilleur mode de connaissance du réel ». Saluons également l’engagement de l’éditrice, Nidal Haddad dont un poème fait partie des Mots pour Gaza.


Des mots pour Gaza d’Antoine Boulad, Béatrice Khater, Charaf Louis Abou Charaf, Francis Combe, Georgia Makhlouf, Hayat Chaker, Hella Feki, Ishtar Jaulin, Jocelyne Dagher Hayeck, Joëlle Ayache, Joëlle Kosremelli, Marielle Wardé Fayad, Michèle Tyan, Mishka Mojabber Mourani, Mona Krayem, Nada Moghaizel Nasr, Nidal Haddad, Ramy Zein, Randa Aractingi, Rola el-Eid, Salma Kojok et Tania Hadjithomas Mehanna, Calima, 2024, 202 p.

Peut-on détourner le regard et la conscience, écrire autre chose, lorsqu’un génocide frappe à la porte de notre prétendue civilisation ? Peut-on faire semblant, faire comme si notre humanité n’était pas en jeu ? Garder le silence ne constitue-t-il pas une complicité fracassante ?Mais en même temps, peut-on trouver des mots pour dire ce qui est au-delà de l’entendement ?...
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