Tokyo, ces jours-ci de Taiyô Matsumoto, Kana, 2024, 220 p.
De Taiyô Matsumoto, nous connaissons surtout la série Sunny. Une série qui raconte, par petites touches, le quotidien d’un groupe d’enfants, au sein d’un pensionnat, et librement inspirée de l’enfance de l’auteur.
Il propose aujourd’hui, avec Tokyo, ces jours-ci un récit qui s’intéresse cette fois à l’âge mûr, et dont l’amorce interpelle. Shiozawa est éditeur. Il a la cinquantaine, est très apprécié des auteurs qu’il accompagne, et voilà qu’il prend la décision, dès les premières pages du récit, de démissionner de son poste. Il prend la responsabilité de l’échec commercial d’une revue dont il a chapeauté la parution et en tire les conséquences.
Désormais libre, sans projet clair pour la suite, il entame une série de visites chez les auteurs qu’il a publiés le long de sa carrière, comme une manière de dresser un bilan. Chacun des auteurs mesure l’importance et la place de cet éditeur dans son parcours, mais aujourd’hui, libéré des contingences du métier, ses échanges avec eux prennent une tournure d’autant plus sincère. Le lien humain qui s’était tissé entre eux au fil de décennies de collaboration, jadis cadré par le métier, est désormais sans filtres.
Une étrange sensation à la lecture de ces rencontres : des atmosphères planantes habitées par le tempérament posé de Shiozawa, en parfait contraste avec ceux, parfois impétueux, des auteurs qu’il côtoie.
Cette histoire centrée sur les liens humains peut compter sur le rythme atypique de la narration de Matsumoto. Voici un auteur japonais qui utilise la forte pagination que proposent les mangas non pas, comme beaucoup d’autres, pour raconter des histoires à rallonge, qui font s’enchaîner d’innombrables événements. Au contraire, il en fait usage pour étirer les scènes, donner à la poésie l’espace de se déployer, créer des atmosphères et installer les dialogues dans le temps long.
Le récit est découpé en petits chapitres qui sont, chacun, comme un morceau dans un album de musique : presque autosuffisant mais faisant partie d’un tout. Le graphisme de Matsumoto est malléable : jonglant entre trait noir, taches d’ombres grisées, encre sèche texturée et aquarelle, il privilégie l’un ou l’autre, navigue de l’épure aux détails, de la narration à l’illustration, au gré des besoins.
Bâties pour une lecture lente, ses histoires, à l’instar de celles de Jiro Taniguchi, font de lui l’un des auteurs japonais qui savent le mieux toucher le lectorat adulte hors Japon.
Une douce mélancolie émane de ce premier volet, directement liée à l’idée de cette retraite anticipée du personnage et la balade en liberté qui en découle. On se croirait parfois dans du Modiano projeté à Tokyo. Et pourtant, surprise : ce premier volume semble s’ouvrir sur l’envie du personnage de reprendre son métier, à sa manière, en ouvrant sa propre structure éditoriale. Une ouverture en forme de promesse : ce triptyque annoncé nous emmènera probablement dans une dynamique nouvelle à chaque volume.