Dans un pays où l'État de droit est régulièrement bafoué, une brèche a été ouverte mardi dans le mur des pratiques politico-judiciaires familières des violations de la Constitution et des lois. Le Conseil constitutionnel (CC) a ainsi invalidé la loi controversée du 28 novembre 2024, qui prorogeait des mandats déjà expirés de hauts magistrats et repoussait de manière sélective le départ à la retraite d’autres juges. L'invalidation a été votée à l’unanimité de neuf des dix membres qui composent le CC, le vice-président de cette instance, Omar Hamzé, s’étant absenté pour des raisons médicales.
Six jours après la publication de la loi au Journal officiel, le 4 décembre, le CC avait été saisi par une cinquantaine de députés issus de diverses tendances politiques. Lors de la présentation de leurs recours en invalidation, certains parlementaires étaient accompagnés de juristes activistes, notamment le directeur de l’Agenda légal, Nizar Sagiyeh, ainsi que de la présidente du Club des juges, Najat Abou Chacra. La présence de cette dernière et ses déclarations devant le siège du Conseil constitutionnel, à Hadath, avaient semble-t-il déplu au ministre sortant de la Justice, Henri Khoury, qui l’avait déférée devant l’Inspection judiciaire.
Le président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), Souheil Abboud, avait été le premier à contester la loi, affirmant, dans un communiqué publié le 2 décembre, que celle-ci violait la Constitution.
Il y a trois semaines, le CC avait suspendu l'exécution de la loi, en attendant de l'examiner plus en profondeur. Cette mesure avait été perçue par certains juristes comme un prélude à une future annulation.
Parmi les dispositions de la loi invalidée, la « prorogation » des mandats de cinq magistrats du CSM, mandats qui avaient pourtant expiré le 14 octobre, soit un mois et demi avant l’adoption de ladite loi.
Contacté par L’Orient-Le Jour, le président du CC, Tannous Mechleb, affirme que la mesure prise en faveur des cinq magistrats en question violait le principe de la séparation des pouvoirs, garanti par la Constitution. C’est que la désignation de quatre de ces magistrats (Dany Chebli, Mireille Haddad, Habib Mezher, Élias Richa), relève du pouvoir exécutif, indique M. Mechleb. Quant au cinquième, Afif Hakim, ce sont ses pairs qui l'avaient élu. Sa désignation par le pouvoir législatif constitue ainsi un empiètement sur le pouvoir judiciaire et une violation de la démocratie, ajoute-t-il.
La loi invalidée a également été jugée inique pour « son manque d’universalité », poursuit le président du CC. Elle prévoyait, en effet, de repousser l’âge de la retraite pour les seuls magistrats atteignant 68 ans entre le 15 mars 2025 et le 15 mai 2026. Ce qui aurait été injuste à l’égard de ceux dont le départ à la retraite se situe entre la date d’entrée en vigueur de la loi et le 15 mars prochain. On sait que cette loi devait profiter au procureur général financier Ali Ibrahim, qui aura 68 ans en avril 2025, et au procureur près du parquet de cassation par intérim, Jamal Hajjar, dont le départ à la retraite est prévu pour avril 2026.
En outre, la loi avait intégré Jamal Hajjar au CSM, en tant que membre et vice-président. Or ces postes reviennent à un procureur titulaire, nommé par les deux tiers du gouvernement, et non à un procureur intérimaire, désigné par le président du CSM, comme c'est le cas pour M. Hajjar. D’où, là aussi, une ingérence du Parlement dans le pouvoir exécutif.
Les requérants avaient également soulevé l’absence de transparence dans la procédure de vote, un argument que les membres du CC ont retenu. « Les débats autour de la proposition de loi n’avaient pas été menés de manière claire », indique M. Mechleb, ajoutant que « le vote n’avait pas respecté les règles », en l’absence d’un vote nominatif.
Une autre irrégularité relevée par le président du CC est que le CSM n’avait pas été consulté, comme l'exige la loi sur l'organisation judiciaire, lorsqu'il s’agit d’une proposition ou d'un projet de loi ayant trait à la justice judiciaire.
Décision historique
Dès l’annonce de l’annulation de la loi, de nombreuses parties ont exprimé leur satisfaction. « Le CC a fait triompher la logique de l'État de droit et des institutions, protégeant l'indépendance du pouvoir judiciaire afin que celui-ci puisse remplir son rôle de garant de la justice, loin du clientélisme, de l’arbitraire et des ingérences politiques. Puisse cette décision constituer un point de départ pour une ère de justice et de redevabilité », a écrit sur X le bloc parlementaire du Renouveau présidé par Michel Moawad.
Pour sa part, le CPL a qualifié la décision d'« historique ». Le parti aouniste s’est targué d’avoir été « le premier » à s'opposer à la loi, soulignant qu’ il a ainsi contribué à « la consécration par le CC du principe de l’indépendance de la justice, ainsi que de l’interdiction pour le pouvoir législatif d’empiéter tant sur les prérogatives de nomination attribuées au pouvoir exécutif que sur les garanties accordées au pouvoir judiciaire ».
...on verra bien l'issue de la question....La clique au pouvoir sortira un oukaze ou une justification hors de son contexte initial pour passer en force et piétiner l'Etat de Droit. A moins qu'elle n'appelle Wafic Safa á la rescousse qui fera une des visites qu'il a l'habitude de faire...
22 h 19, le 07 janvier 2025