C’est la petite phrase qui a fait bondir la haute société et la diaspora israélienne de Londres ce week-end. Dimanche 8 décembre, l’ancien président de l’État hébreu, Reuven Rivlin, figurait parmi les invités d’honneur d’un gala organisé dans la capitale britannique, destiné à lever des fonds pour l’Institut de technologie de la ville de Haïfa et à célébrer son centenaire. Debout au milieu d’une assistance intriguée, l’ex-chef d’État (2014-2021) n’a pas manqué d’étriller les « positions antisionistes » d’Elizabeth II, décédée en 2022. « La relation entre la reine et nous était un peu difficile. Elle croyait que tous les Israéliens étaient des terroristes ou des fils de terroristes », lance-t-il, avant d’être presque immédiatement repris par la petite dizaine de journalistes curieux, éparpillés entre les 300 convives en robes longues et costumes trois-pièces, dont plusieurs lauréats de prix Nobel.
« À l’exception de rares occasions ou de sommets internationaux, elle a toujours systématiquement refusé d’accueillir des dirigeants ou des représentants de notre nation au palais de Buckingham », poursuit sans gêne celui qui est aussi venu recevoir le « Prix Churchill 2024 » – précédemment attribué à Mikhaïl Gorbatchev ou encore au roi Hussein de Jordanie –, avant la reprise normale du cours d’un dîner ultracommenté. Plus tard dans la soirée, quand reporters et anonymes demandent une dernière clarification, l’homme de 85 ans, qui n’a nullement masqué sa frustration, a maintenu sa critique envers la monarque. « Ce sont bien mes mots, c’est ce que j’ai dit », lâche-t-il en soulignant les liens « désormais courtois » de la couronne envers son pays depuis l’accession au trône de Charles III, « plus amical » selon lui.
Des interactions froidement orageuses
Blâmée ou saluée pour avoir entretenu un lien tendu avec Tel-Aviv tout au long de ses sept décennies de règne, Elizabeth II, qui a parcouru 117 pays, n’a jamais posé le moindre de ses célèbres chapeaux ou tailleurs sur le territoire israélien malgré ses excursions répétitives au Moyen-Orient à l’aube du XXIe siècle. En 1984, lors d’un déplacement de quatre jours à Amman, Sa Majesté n’avait pas masqué son inquiétude et ses doutes – toujours en privé – sur les volontés et idéaux de l’exécutif israélien de l’époque, alors sous la houlette de Yitzhak Shamir, au moment où elle aperçoit au loin des avions de chasse survolant le ciel avec ses couleurs blanches et bleues, à destination de la Cisjordanie occupée. « Que c’est terrible », aurait-elle subtilement glissé à Noor, la reine consort du royaume hachémite acquiesçant avec un ton grave, comme le relatera plus tard un proche de cette dernière.
Depuis cette période et ce boycott officieux de la souveraine et de sa garde rapprochée envers l’État hébreu, nombre de commentateurs et de spécialistes de la royauté ont émis l’hypothèse selon laquelle l’épouse du prince Philip exprimait en effet une attitude hostile envers les personnalités politiques et diplomatiques israéliennes, d’abord en raison de l’insurrection violente menée contre le mandat britannique en Palestine par des groupes armés sionistes dans les années 1940, avant la déclaration d’indépendance d’Israël.
Ce déni de visite, longuement et longtemps soulevé par la communauté juive aux quatre coins du globe, a surtout été appuyé par les virulents éditoriaux à charge de la presse israélienne. « La triste mais inévitable conclusion est que la reine fait elle-même partie de cette méchante, mesquine intrigue anglaise qui consiste à nous dénier le vestige de légitimation qu’il demeure en leur pouvoir d’accorder ou de refuser un séjour royal à Jérusalem », écrivait par exemple en 2012 David Landau, l’ancien rédacteur en chef du Haaretz, un quotidien de gauche. Depuis son arrivée au pouvoir en 1953, Elizabeth II, garante de l’apolitisme revendiqué de l’institution monarchique millénaire, s’en est donc tenue aux positions des seize locataires de Downing Street qui se sont succédé sous son autorité et qui ont tous considéré qu’une telle visite ne pouvait que dépendre du progrès positif en vue d’un processus de paix jamais réellement entré en vigueur et qui n’a cessé d’être piétiné depuis la signature des accords d’Oslo en 1993. « Tant qu’il n’y a pas de règlement entre Israël et l’Autorité palestinienne, la reine ne voudra pas s’y rendre », dixit un ministre européen sous couvert d’anonymat dans un article du Telegraph datant de 2015. Parmi les autres explications citées pour justifier ce refus présumé, la peur de « vexer » les pays du Golfe et ainsi de mettre en danger des accords commerciaux importants pour l’économie de la Grande-Bretagne et de ses alliés.
En dépit des camouflets, Elizabeth II entretenait des relations cordiales avec les hauts dignitaires israéliens. Alors même que son clan refusait toute visite officielle à Jérusalem, elle accueillait Ephraïm Katzir en 1976 et décorait Shimon Peres d’un titre de chevalier en 2008 à l’invitation du gouvernement de Gordon Brown, le tout plus ou moins discrètement.
Une descendance plus malléable
Le premier voyage officiel d’un membre de la famille royale anglaise ne se fera qu’en 2018 au travers du prince William qui effectue un déplacement remarqué pour assister à la cérémonie célébrant le 70e anniversaire de la création d’Israël. Une présence vivement contestée par des activistes propalestiniens sur les réseaux sociaux et dans la presse arabe, mais unanimement saluée dans les rangs de la Knesset.
Si ce passage express de l’époux de Kate Middleton a fait couler beaucoup d’encre au sein de la communauté musulmane londonienne, comme le soulève le quotidien The Sun au lendemain de l’événement, diverses visites non officielles à Jérusalem-Est et Tel-Aviv ont émaillé les parcours en jets privés des Windsor. Charles, avant de devenir roi, s’était notamment rendu aux funérailles de Yitzhak Rabin en 1995 puis de Shimon Peres en 2016. Un an plus tard, une lettre que le père de William et Harry avait écrite à un ami en 1986, après un voyage au Moyen-Orient, refait suspicieusement surface. À cette époque, le jeune prince de Galles, toujours marié à Diana, admet avoir lu des extraits du Coran et écrit son « admiration pour certains aspects de l’islam ». Il poursuit ensuite en se demandant : « Est-ce qu’un jour un président américain aura le courage de se lever et de s’attaquer au lobby juif aux États-Unis ? (...) Je comprends que les Arabes et les juifs étaient à l’origine un peuple sémite, et c’est l’afflux des juifs européens qui a contribué à créer de grands problèmes. » Une réflexion qu’il n’a évidemment jamais publiquement légitimée ou commentée, le poids de la couronne l’obligeant à éviter toute polémique.
Moins enclin aux traditions et à la rigidité instaurée par ses aînés et popularisé par son illustre génitrice, Charles, devenu roi tardivement à 73 ans, s’est lui rendu en Israël à titre officiel en 2020 et ne cache pas son « amitié et son respect » à la classe dirigeante du pays qu’il a salué maintes fois avant de sortir de son devoir de réserve quelques jours après les attaques du 7 octobre 2023. Une nouvelle fois, Charles III avait souhaité brisé l’image qu’avait façonnée Elizabeth II.
Elle était brillante cette Reine! Avec Charles, c'est la déchéance à tous les niveau!!
02 h 50, le 17 décembre 2024