Le débat sur la Syrie se divise souvent en deux camps : ceux qui défendent le régime comme un moindre mal et ceux qui ont commencé à glorifier l’opposition comme l’incarnation des aspirations démocratiques. Ces deux positions sont erronées.
Ce qui se joue en Syrie n’est pas une bataille entre le mal et un moindre mal ; c’est un échiquier pour les puissances internationales. Les milices iraniennes, turques, américaines et russes se battent toutes pour la carcasse de ce qui était autrefois un État syrien indépendant. La vérité est qu’aucune partie n’a vraiment les mains propres en Syrie et chaque acteur extérieur écrase la souveraineté du pays pour ses propres gains stratégiques. Il ne s’agit pas d’un combat pour la liberté ou la stabilité, mais d’un cloaque géopolitique qui pourrait déboucher sur la pire issue possible pour les Syriens ordinaires.
Intérêts concurrents
Le président Bachar el-Assad reste au pouvoir non pas en raison de sa légitimité populaire ou de son génie militaire, mais parce que, jusqu’à présent, il a réussi à faire jouer les intérêts concurrents des puissances qui s’ingèrent en Syrie les uns contre les autres. Il s’appuie fortement sur la Russie et l’Iran pour survivre. Il ne faut pas non plus oublier que M. Assad a été toléré – voire discrètement accepté – ces dernières années par les États-Unis et Israël parce qu’ils ne voyaient pas d’intérêt à long terme à ce que la guerre syrienne fasse rage. Avec l’affaiblissement du Hezbollah, allié d’Assad au Liban, les États-Unis et Israël voient probablement une opportunité d’affaiblir le régime, mais pas de le remplacer par des jihadistes.
N’oublions pas que les États-Unis considèrent la Syrie principalement à travers le prisme de la sécurité israélienne. En contrôlant les forces iraniennes et leurs lignes d’approvisionnement vers le Hezbollah, Washington cherche à limiter la capacité de Téhéran à projeter sa puissance au Liban. Dans le même temps, la présence américaine en Syrie sert de contrepoids aux ambitions turques dans le pays, mais aussi au Liban, où elles ont pris de l’ampleur dans le nord du pays au fil des ans.
L’implication de
Washington en Syrie est également le reflet de son échec en Irak. L’invasion américaine de l’Irak il y a vingt ans n’a pas seulement déstabilisé la région, elle a créé un géant régional iranien qui menace aujourd’hui les alliés de Washington. La Syrie est devenue une opération de nettoyage, une tentative des États-Unis d’atténuer les conséquences désastreuses de leurs propres politiques au Moyen-Orient. L’ironie est palpable : une guerre lancée pour affaiblir l’Iran l’a au contraire renforcé. La Syrie est désormais le théâtre d’un second acte, plus brouillon.
Pour la Russie, la survie d’Assad est une question de nécessité stratégique. La base aérienne de Hmeimim et l’installation navale de Tartous font de la Syrie le point d’ancrage méditerranéen de la Russie, un avant-poste essentiel pour projeter sa puissance dans la région. Moscou a tracé une ligne dure : Assad doit rester, et avec lui, la présence de la Russie en Méditerranée. Modifier cette position ne se fera pas sans beaucoup de sang et d’argent, ce que les alliés de l’OTAN ne semblent pas vouloir investir pour les rebelles syriens.
D’autre part, l’opposition syrienne a perdu son âme depuis longtemps. Ce qui a commencé comme un soulèvement légitime contre la tyrannie s’est transformé en un instrument jihadiste par procuration pour les États-Unis et la Turquie. Il est douloureux mais nécessaire de l’admettre :
une grande partie de l’opposition fonctionne aujourd’hui comme des pions dans un jeu étranger. Leur autonomie a été érodée, leurs objectifs déformés et leur pouvoir réduit à ce qui est autorisé par leurs parrains. Aucune campagne de relations publiques sur Twitter ne changera cela du jour au lendemain.
Le régime d’Assad n’est pas mieux loti sur ce plan. L’indépendance qu’il avait est désormais totalement hypothéquée par l’Iran et la Russie. Ce qui nous reste, c’est un État syrien qui n’existe que de nom – un patchwork de zones contrôlées par des forces extérieures, des mercenaires et des milices.
Une seule option : la négociation
Il n’y a pas de chemin héroïque vers la victoire. La Syrie ne sera pas sauvée par une intervention américaine, une expansion turque ou un axe irano-russe – elle sera seulement ravagée. Une fois de plus, la seule solution rationnelle et stratégique passe par une solution négociée. C’est peut-être une vérité désagréable pour les idéologues de tous bords, mais c’est la seule position réaliste qui reste. Les principaux acteurs en Syrie le savent tous. Ainsi, au lieu d’imaginer que tout cela va déboucher sur une nouvelle Syrie, il est plus probable que tous les acteurs tentent simplement d’avoir plus de poids à une future table de négociation.
Ce dont la Syrie a besoin, ce n’est pas d’un plus grand nombre de milices ou d’un soutien étranger. Elle a besoin d’un nouvel équilibre des pouvoirs qui rétablisse sa souveraineté sans revenir aux horreurs de l’État d’intelligence d’Assad, au romantisme de la « révolution » ou à de nouvelles partitions. Ces options ont déjà été tentées et ce que nous avons obtenu, c’est un État brisé, des millions de réfugiés et d’innombrables vies détruites. Le monde n’a pas besoin d’un autre champ de bataille. La Syrie n’a pas besoin de nouveaux sauveurs. Elle a besoin de sang-froid et de paix.
Par Nizar GHANEM
Directeur de recherches au laboratoire d’idées Badil.