Critiques littéraires

Retour aux sources, à l’amour et à la musique

Retour aux sources, à l’amour et à la musique

D.R.

«Que faut-il accepter de perdre pour se sauver ? » se demande Bruno Messina devant la folie du monde contemporain. Pour le troisième opus de cet écrivain, musicien et responsable culturel, auteur de la brillante biographie de Berlioz, couronnée par le succès et plébiscitée par le public (surtout mélomane), l’heure aujourd’hui est à un roman aux allures d’une complexe fabulation moderne, un peu dérangeante par la violence des désirs et des actes. Fabulation sur la guérison, l’écologie et la reconstitution de soi à travers la paix et l’équilibre intérieurs. Pour cela, un titre qui rappelle Gustave Flaubert qui est justement cité dans ces pages ardentes aux tentations multiples. Et on nomme Feu Saint Antoine.

Familier aux musiciens, compositeurs et pianistes libanais dont Béchara el-Khoury et Abdel Rahman el-Bacha, mais aussi ami du Liban, Bruno Messina qui a signé le livret du mythe d’Hercule de l’opéra de Zad Moultaka, a écrit ici un roman singulier, difficilement classable. Un roman à la fois dur et poétique, pour dénoncer et éclairer le mal-être du siècle avec ses guerres, ses épidémies, ses villes gigantesques, invivables et polluées ainsi que le besoin de transcendance, d’évasion, de libération. D’un vif besoin de retour aux sources. À travers non seulement amour et amitié, mais art, musique et une pointe de mysticisme. Le tout sous l’image tutélaire, bienveillante et bienfaitrice d’un saint venu d’Égypte qui a vaillamment vaincu tous les axes du mal. Pour donner, par-delà une incroyable générosité à la Saint François d’Assise, une impulsion nouvelle, un sens à la vie et à toute traversée humaine.

Fatigué et lassé par sa routine citadine parisienne entre confinement de la Covid et présence d’une compagne qui s’avère irritante en temps d’enfermement, Hugo, jeune médecin, décide de tout plaquer pour un nouveau départ. Il retrouve une ancienne liaison, Manon, vivant avec son gamin Vadim, qui lui dit tout simplement « viens ». Il s’exécute et quitte tout pour la retrouver dans une ferme dans le Vercors entre l’Isère et la Drome. Et la chimie (ou l’alchimie !), miraculeusement, opère entre ces deux êtres, pour faire naître à nouveau le couple. Le médecin installe son cabinet de consultations à Saint Antoine l’Abbaye, petit bourg qui porte bien son nom, touché par la grâce et les effluves de la sainteté.

Brusquement, dans ce bled perdu, surgit Bechara el-Rihani, un pianiste libanais, à la fois fascinant, mystérieux et inquiétant car il a un passé douloureux et chargé de culpabilité. Culpabilité discutable qui le taraude et le tourmente. Si une grande amitié scelle le rapport des deux hommes avec la beauté des partitions au clavier de Ravel, Debussy ou Satie, la demande que le concertiste du pays de Cèdre avance au médecin est insoutenable. L’amputation d’une main est la clef de ce roman dense, insoutenable dans ses pages aux émotions troubles et troublantes. On laisse au lecteur le soin de découvrir la conclusion de ce secret terrible et de cette énigme insolite qui dépasse l’imagination. Toutefois, reste cette boule au ventre en parcourant ces sombres pages qui défient les normes humaines concevables.

Cet ouvrage si singulier, à la musique grinçante, témoigne certainement du malaise de vivre. Avec la dénonciation des villes asphyxiantes émerge le besoin d’une ruralité rassurante, dominée ici par la lumière d’un Saint Antoine dont on découvre en filigrane le portrait.

Narration fluide, pour parler aussi, en passant, du Liban, des pères antonins, de la vallée de Qadisha, dans une langue entre mots savants et une richesse culturelle à horizon ouvert. Et l’épilogue, véritable coup de théâtre, permet une lecture à plus d’une interprétation.

Feu Saint Antoine de Bruno Messina, Actes Sud, 2024, 256 p.

«Que faut-il accepter de perdre pour se sauver ? » se demande Bruno Messina devant la folie du monde contemporain. Pour le troisième opus de cet écrivain, musicien et responsable culturel, auteur de la brillante biographie de Berlioz, couronnée par le succès et plébiscitée par le public (surtout mélomane), l’heure aujourd’hui est à un roman aux allures d’une complexe fabulation moderne, un peu dérangeante par la violence des désirs et des actes. Fabulation sur la guérison, l’écologie et la reconstitution de soi à travers la paix et l’équilibre intérieurs. Pour cela, un titre qui rappelle Gustave Flaubert qui est justement cité dans ces pages ardentes aux tentations multiples. Et on nomme Feu Saint Antoine.Familier aux musiciens, compositeurs et pianistes libanais dont Béchara el-Khoury et Abdel Rahman...
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