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Michalis Ganas (1944-2024), le poète grec de l’errance et de la rédemption

Michalis Ganas (1944-2024), le poète grec de l’errance et de la rédemption

D.R.

Connu comme l’un des poètes majeurs de ces dernières années, sa disparition, le 12 novembre dernier, a suscité une émotion considérable en Grèce, preuve de la gratitude du pays envers un poète d’une grande noblesse.

Né en 1944 dans un village d’Épire, tout proche de la frontière gréco-albanaise, une région de montagnes sauvages aux gorges abruptes, Michalis Ganas vit, enfant, les tensions de la guerre civile avant de partir en exil avec sa famille en Albanie et en Hongrie, alors dans le bloc de l’Est. Puis, il revient en Grèce, à l’âge de 10 ans. Son père souhaitant qu’il devienne avocat, il commence des études de droit qu’il abandonne pour la poésie, ne s’imaginant pas un instant en costume-cravate. Il faut toutefois vivre, alors il devient libraire, puis choisit un métier lié à l’écriture : rédacteur et scénariste pour la télévision et la publicité.

Il tarde cependant à publier, laissant les choses s’installer en lui. « La poésie a toujours quelque chose à dire, dira-t-il, mais elle n’est pas pressée de le dire. Elle ne se prête pas à l’urgence. Elle a besoin de temps pour traduire l’actualité. »

Tout au long de sa vie, il se concentrera sur ses souvenirs et les transposera en vers et en prose, transformant l’écriture et la souffrance en récits rédempteurs. « Le travail de la poésie est de se tenir sur les blessures et de les gratter. Elle a un pouvoir réconfortant. Une liberté. »

Simple, aussi direct que précis, mais pénétrant, touchant et bouleversant, il écrira tout au long des années sur l’impossibilité du retour et sur la valeur de ce qui a été perdu, car ce n’est pas seulement son Épire perdue qu’il chante, mais ce que chacun possède au fond de soi : « l’impossibilité du retour », le sentiment de la « perte définitive ».

« La critique me décrit comme le poète de la territorialité, du lieu de naissance. Je veux croire que je ne suis pas que ça, dit-il. Ce qui me hante, au fond, c’est la perte définitive des personnes, des lieux et des manières et l’impossibilité du retour. Où ? À l’enfance peut-être, notre véritable patrie à tous. »

Un chuchoteur de mots, un traqueur de mémoire

Sa poésie n’est pas une simple nostalgie du passé perdu, elle jette un pont entre le monde paysan de son enfance, mi-chrétien mi-païen, dont sa génération aura été le témoin ultime, et le monde moderne.

Ganas fait dialoguer sans fin les vivants et les morts, les époques, les genres poétiques, la mémoire et la perte. Il converse avec l’intérieur en parlant de l’extérieur, des mains d’une mère, de la trace d’un père, du visage d’une femme que l’on ne peut oublier.

Il tisse ses textes avec des souvenirs et une explosion de sensations, avec les odeurs et les bruits de la terre, avec les cris des oiseaux, avec la sensation du toucher physique et métaphysique. La nature, les racines, la famille, la fuite, l’étranger, la patrie, les expériences et la perte d’êtres chers constituent sa toile de fond poétique, imprégnée de sa fascination pour le noir et l’obscurité.

« Je suis attiré comme un aimant par cette chose noire, sombre », avait-il dit de la mort, thème dominant de sa poésie.

« La poésie, c’est quand deux mots se rencontrent pour la première fois »

Ganas est l’héritier des chants populaires grecs et de Dionysios Solomos, père fondateur de la poésie grecque moderne au XIXe siècle, de Georges Séféris, de Nikos Gatsos, et de l’Américain Edgar Lee Masters. Il a reçu de nombreux prix, notamment en 2021, le grand prix de l’Académie d’Athènes pour l’ensemble de son œuvre.

Des compositeurs grecs de premier plan, tels Théodorakis, Mikroutsikos ou Xydakis, ont magnifié ses textes de leur musique, comme d’une lumière irradiant un bijou, renforçant l’empreinte indélébile que laisse sur notre sensibilité collective cette poésie de l’errance et de la rédemption.

Le merle
à la compagnie de ce mercredi-là, 18.5.88
Maigre moinillon le merle
ses tralalas ses prières enrouées
malhabiles toute l’année, mais au printemps
il dit sa messe dans les platanes éclatants
dans des lieux familiers, des arbres
déjà dits au temps de la pluie
du vent et du froid, au temps
de la neige quand il s’accrochait
aux grains noirs du lierre
pour nourrir son petit corps
puis se laissait aller sur une branche,
flamme noire sur la neige
qui attend,
et à la belle saison
quelque chose vient délier le nœud
dans sa gorge et voici
qu’une voix jaillit qui l’étonne,
nourrie de silence et de privations,
le voici prêtre d’une religion
obscure, d’une déesse qui sans cesse
le tourmente, chargeant de l’effrayer
chasseurs, chats et belettes
afin de le faire chanter,
tant qu’il le peut,
puis que sa voix retombe tête la première
dans son sommeil d’hiver.
Connu comme l’un des poètes majeurs de ces dernières années, sa disparition, le 12 novembre dernier, a suscité une émotion considérable en Grèce, preuve de la gratitude du pays envers un poète d’une grande noblesse.Né en 1944 dans un village d’Épire, tout proche de la frontière gréco-albanaise, une région de montagnes sauvages aux gorges abruptes, Michalis Ganas vit, enfant,...
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