L’autisme est un trouble neurodéveloppemental. En tant que professeure adjointe à l’Université américaine de Beyrouth (AUB), psychologue et analyste du comportement certifiée, enseignante et menant des recherches depuis plusieurs années, je côtoie quotidiennement des personnes ayant des troubles du développement. Dans ce cadre, je ne peux m’empêcher d’être préoccupée par ce que je constate au Liban à ce niveau.
Le pays fait face à une succession de crises depuis plusieurs années : chômage, crise économique, guerre, etc. La plupart d’entre nous se sentent accablés et luttent sur différents fronts pour assurer une survie. Cette population clinique reste tout autant vulnérable et a fait face à d’énormes difficultés au cours des dernières années.
Parmi ces difficultés, figure le manque de couverture gouvernementale à tous les niveaux, je cite surtout l’assurance médicale et autres. Pour ce qui concerne l’autisme, les cas sont différents et complexes. De manière générale, une personne ayant le trouble de l’autisme nécessite habituellement une multitude de thérapies, y compris la thérapie comportementale, l’orthophonie, la psychomotricité, un accompagnement scolaire et un suivi médical. Toutes ces thérapies sont généralement payées par les familles de personnes ayant le trouble de l’autisme.
En parallèle, le Liban fait face à une fuite de cerveaux de professionnels qualifiés. Confrontés à un soutien et à des ressources limités, les parents se retrouvent dans une situation délicate. Leur enfant aura besoin impérativement d’une thérapie continue et prolongée pendant de nombreuses années à venir. Sinon, les retards et les déficits ne feront qu’augmenter avec la croissance. Je perçois le développement comme des escaliers. Les enfants ayant le trouble de l’autisme se retrouvent à l’ombre de leurs pairs. En termes de développement, pour chaque marche que l’enfant ayant le trouble de l’autisme ne monte pas, l’écart entre lui et les autres ne fait que se creuser. Cet écart pourrait les amener une fois adultes à devenir dépendants, sans autonomie aucune pour le restant de leur vie, incapables d’utiliser le langage vocal et, malheureusement, dans certains cas, présentant des comportements autoagressifs. À retenir aussi que les enfants ont une période sensible du développement cérébral, attribuée en partie à la neuroplasticité du cerveau. Les recherches montrent que cette période sensible du développement est optimale avant l’âge de six ans.Parallèlement, les personnes ayant le trouble de l’autisme et leurs familles au Liban affrontent une stigmatisation significative, avec un manque de connaissance du trouble et un isolement social. Ces familles sont souvent confrontées à des hypothèses infondées accompagnées de regards critiques. En plus d’une stigmatisation accrue, l’autisme reste mal compris de nos jours. Aujourd’hui, on estime qu’un enfant sur 36 est atteint d’autisme. Je suis questionnée souvent si l’autisme peut être guéri. L’autisme affecte le cerveau. C’est une façon différente d’être. Cela dit, avec une thérapie appropriée et offerte à un jeune âge, ses symptômes peuvent être atténués et leurs compétences développées.
Récemment, la guerre a particulièrement touché ces individus et leurs familles pour de nombreuses raisons, parmi lesquelles figurent les particularités sensorielles que les personnes ayant le trouble de l’autisme peuvent éprouver, telles qu’une sensibilité accrue aux bruits et aux effets visuels des missiles. Un certain nombre de ces personnes sont incapables d’utiliser le langage vocal pour communiquer et transmettre leur détresse et leurs besoins. Enfin, les perturbations de leurs emplois du temps restent difficiles, car un grand nombre de personnes ayant le trouble de l’autisme ne s’adaptent pas bien aux changements. Pour les déplacés, les changements et l’adaptation sont nécessaires et restent immenses.
Au niveau structurel, le Liban a été et continue d’être affecté par un manque d’audit. Un certain nombre de personnes se présentent comme des thérapeutes en analyse du comportement appliquée (ABA), mais ne sont pas certifiées. Pour être certifiée, une personne doit faire partie soit du BACB (Behaviour Analyst Certification Board), soit du QABA (Qualified Applied Behavior Analysis Credentialing Board). Un technicien (RBT ou ABAT) n’a pas le droit de prendre des décisions cliniques lui-même. Le superviseur, généralement un analyste du comportement certifié par le conseil BCBA (Board Certified Behavior Analyst), est le seul autorisé à prendre ces décisions. Se présenter comme un thérapeute ABA sans être certifié par le BACB ou le QABA peut entraîner des poursuites légales, même pénales à l’étranger, car cela pourrait mettre en danger une population clinique vulnérable. Or ces démarches ne sont pas appliquées au Liban. Les parents doivent être conscients des risques associés au traitement avec une personne non certifiée et sans superviseur qualifié. Par exemple, tout récemment, le ministère de l’Éducation a fermé une école qui se présentait comme basée sur l’ABA. Pour aider le public, nous, à ABAL, avons élaboré une liste de praticiens ABA certifiés au Liban. La liste peut être trouvée ici. Travailler avec un thérapeute ABA non certifié est similaire à travailler avec un médecin qui n’a pas de diplôme. Économiser de l’argent en travaillant avec un thérapeute non certifié vous coûtera plus cher à long terme. En somme, la prochaine fois que vous entendrez un enfant crier dans un lieu public, s’il vous plaît, abstenez-vous de faire un commentaire ou de le regarder longtemps. Nous ne pouvons pas savoir ce que cette personne traverse.
La Dr Sabine Saadé est psychologue.