Les images des habitants de la banlieue de Beyrouth, du Sud et de la Békaa sur les routes quelques instants après le début de l’entrée en vigueur du cessez-le-feu à l’aube de jeudi sont, pour le Hezbollah, la plus grande victoire. L’attachement que lui porte son environnement populaire, en dépit de toutes les pressions et pertes dont il a fait l’objet, constitue un flagrant échec pour les Israéliens et pour leur plan de réduire au maximum l’influence et le poids du Hezbollah, en plus de son écrasement militaire.
Mais le Liban reste divisé sur l’évaluation de la guerre. Certains considèrent qu’il s’agit d’une flagrante défaite pour le Hezbollah, voire pour le Liban, en raison de l’ampleur des destructions. D’autant que l’accord parle du retrait des combattants du Hezbollah de la zone au sud du Litani et du démantèlement de toute son infrastructure militaire, sociale et économique. Par contre, les proches du Hezbollah estiment qu’il s’agit d’une victoire aux points, en dépit des lourdes pertes et du prix terrible qui a été payé.
Le Hezbollah, lui, se veut plutôt discret sur cette question, même si ses figures connues, notamment les députés, cherchent à être présents sur le terrain, aux côtés des gens et à l’écoute de leurs problèmes. Pour l’instant, le Hezbollah évite donc les bilans et l’évaluation de ce qui s’est passé, même si dans ses cercles restreints, les discussions sur ces sujets délicats se poursuivent sans interruption. De l’avis des cadres, le bilan d’une guerre ne se base pas sur les pertes matérielles et humaines. Il se base sur ce qui a été réalisé des objectifs fixés par les belligérants. C’est à partir de ce raisonnement que le Hezbollah estime ne pas avoir perdu la guerre... sans aller jusqu’à parler, comme le font certains de ses proches, de victoire.
Le Hezbollah commence par rappeler ce qu’avait déclaré le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, au moment de lancer l’offensive terrestre. Il avait alors parlé d’envahir la région au sud du Litani pour éradiquer le Hezbollah. Il avait même parlé à un moment donné de sa détermination à remodeler le Moyen-Orient à partir du Liban en y procédant à un changement radical. Enfin, il avait insisté à plusieurs reprises sur sa volonté de ne pas arrêter cette guerre avant d’avoir réalisé une victoire totale et d’avoir ramené de force les Israéliens du Nord chez eux – ceux-ci seraient entre 70 000 et 100 000.
Or, au moment de l’annonce de l’accord, aucun de ces objectifs n’a été réalisé selon le Hezbollah. Les 70 000 soldats israéliens engagés dans l’offensive terrestre n’ont pas réussi à installer une position permanente dans les localités limitrophes. Ils ont certes fait des incursions, détruit des villages entiers, pris des photos et des vidéos, mais ils n’ont pas pu occuper réellement les localités symboliques de Khiam et de Bint Jbeil, à plus forte raison le territoire libanais de la frontière jusqu’au Litani. De même, les Israéliens qui ont bombardé intensivement et violemment plusieurs régions libanaises, détruisant des villages entiers dans la Békaa et frappant les postes légaux et clandestins à la frontière libano-syrienne, n’ont pas réussi à bloquer clairement cette frontière et le flou demeure sur ce qui se passe là-bas et sur le transport d’armes et de munitions via ces points de passage à destination du Hezbollah. C’est aussi le cas des infrastructures du Hezbollah que les Israéliens affirment avoir détruites dans la Békaa et dans la banlieue sud de Beyrouth à travers des bombardements violents. À cet égard, Netanyahu avait déclaré que son armée a détruit 80 % des capacités militaires du parti, mais ce dernier a lancé quotidiennement pendant plus de 60 jours missiles et drones vers Israël. Même l’avant-dernier jour avant le cessez-le-feu, il en a lancé 350.
Pour le Hezbollah, l’accord conclu suite à des négociations avec le président de la Chambre Nabih Berry repose sur le texte de la résolution 1701, sans une virgule de plus. Autrement dit, après une offensive de plus de 60 jours, Israël n’a pas obtenu plus que ce texte, qui reste équilibré aux yeux des Libanais. L’émissaire présidentiel américain Amos Hochstein l’a lui-même déclaré dans une des interviews qu’il a récemment accordées, le Liban et Israël conservent le droit à se défendre s’ils se sentent attaqués, et il a démenti tout déploiement au sud du Liban de soldats américains ou autres en dehors de la Force intérimaire des Nations unies.
De plus, l’accord ne parle pas vraiment du désarmement du Hezbollah. Autrement dit, il n’est pas ouvertement question d’en finir avec le Hezbollah, mais juste de l’éloigner de la zone au sud du Litani, ce qui signifie son affaiblissement. En même temps, les Israéliens doivent aussi se retirer totalement du Sud, sinon le maintien de leur présence sous quelque forme que ce soit pourrait justifier le retour de « la résistance »... Au sujet de l’accord annexe conclu entre Tel-Aviv et Washington et reconnu par les Américains eux-mêmes, le Hezbollah considère que si les Israéliens avaient été victorieux et s’ils avaient obtenu tout ce qu’ils voulaient dans l’accord officiel, ils n’auraient pas eu besoin d’en conclure un autre avec les Américains. Certains Libanais disent que cet accord a été conclu en parallèle pour préserver la face du Liban et son souci de souveraineté, mais le Hezbollah ne croit pas à cette version et il pense que si les Israéliens avaient été en mesure d’imposer leurs conditions, ils n’auraient pas hésité à le faire. D’ailleurs, pour le Hezbollah, les Israéliens ont demandé cette fois aux Américains de pousser vers un cessez-le-feu parce que, comme l’a dit Netanyahu lui-même, leur armée est fatiguée et ils ont un problème d’effectifs.
Sur la base de cette approche, le Hezbollah estime ne pas avoir perdu la guerre. Il a juste résisté et tenu bon et mis les plans israéliens en échec. Mais il reconnaît avoir reçu des coups très durs... Il a aussi été pris de court par l’offensive israélienne alors qu’il pensait se contenter d’un « front de soutien ». Mais il est encore là.
Parce qu’il est dans un déni total et mauvais perdant !
22 h 08, le 01 décembre 2024