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Lifestyle - La Mode

Feyrouz et ses stylistes, ou comment habiller une diva

Madame Salha, Jean-Pierre Delifer et plus tard Élie Saab ont habillé Feyrouz telle qu’ils l’ont perçue, entre peau et lumière.

Feyrouz et ses stylistes, ou comment habiller une diva

La robe de mariée de Feyrouz par Madame Salha. Photo DR

Comment habiller un être de lumière ? Comment vêtir un corps qui ne s’appartient plus depuis que se l’est approprié tout le Moyen-Orient, sinon la planète entière ? Jeter un tissu sur Feyrouz, même brodé de fils de lune, c’est prendre un double risque : blesser sa modestie, elle qui n’est jamais vraiment revenue de son enfance pauvre, dans une famille conservatrice et pieuse, ou étouffer son aura de quasi-divinité en l’habillant comme un être d’os et de chair. Trois créateurs de génie ont pourtant gagné sa confiance, trouvant avec brio le difficile équilibre entre la scène et la vie, l’humilité et le prestige, l’ombre et la lumière. Ce sont Raïfa Salha que le succès a transformée en « Madame Salha », avec toute la déférence liée à ce titre  ; Jean-Pierre Delifer et Élie Saab.

Quand Madame Salha répondait aux exigences de l’« âge d’or »

Pionnière de la haute couture au Liban et dans tout le monde arabe, Raïfa Radwan Salha, née à Aley en 1926, fait partie des personnages et talents qui ont accompagné l’«âge d’or » du Liban. Cette ère de prospérité et d’éclat artistique et mondain avait besoin de complices pour rayonner, et la couturière, mariée à l’âge de 15 ans et promise à une vie d’obligations domestiques, sait qu’elle a ce qu’il faut dans le ventre pour répondre aux exigences du moment. Elle, qui coud déjà avec talent et presque sans références autres que les broderies des habits liturgiques et quelques modèles aperçus dans des magazines étrangers, commence à se faire une réputation locale en créant des costumes pour les représentations locales du Festival de Baalbeck. Festival international qui, drainant à lui des spectateurs du monde arabe et occidental, attire les regards sur les talents du cru. Le travail de celle qui deviendra « Madame Salha », comme on disait « Madame Grès », éblouit au point de lui valoir des commandes prestigieuses dont notamment celle de la robe de mariée de Leila el-Solh, La fille du Premier ministre Riad el-Solh, avec Moulay Abdallah du Maroc, frère du roi Hassan II. Cette robe somptueuse avec sa traîne brodée de plumetis et ses grands motifs floraux est reconnue comme l’une des plus belles jamais réalisées. Madame Salha se fait une réputation avec des traines exceptionnelles, certaines de 22 mètres, comme celle de la princesse Leila. Elle va aussi créer pour la princesse Soraya, pour son mariage avec le chah d’Iran, une robe de cérémonie brodée d’or fin dont le poids exceptionnel, 20kg, va accentuer la figure hiératique de la jeune chahbanou.

La robe de mariée de Feyrouz par Madame Salha. Photo DR.

À 21 ans, rebelle aux tabous de la communauté druze à laquelle elle appartient, et qui voit à l’époque d’un mauvais œil l’autonomisation des femmes, Madame Salha se rend à Paris où elle se lie d’amitié avec le brodeur Lesage. Plus tard, elle deviendra aussi l’amie de Madame Grès et du couple Balmain. Elle se distinguera par-dessus tout avec son art du drapé et l’opulence de ses broderies. Indéniablement, elle est la fondatrice de la prestigieuse lignée de créateurs libanais de haute couture dont la domination de cette industrie est désormais acquise.

Mais la relation de la créatrice avec Feyrouz est autrement profonde. Dans un documentaire diffusé sur MBC, un témoin se souvient qu’au temps où elle confectionnait les costumes pour le Festival de Baalbeck, Raïfa Salha ne se contentait pas de réaliser les robes de scène de la future diva. Tout en effectuant ses retouches, elle l’écoutait répéter ses lignes et ses chansons, lui donnait même la réplique, et entre elles se tissait une relation de confiance et de confidences qui infusait le vêtement de quelque chose de protecteur. Une armure dont Feyrouz se munira aussi lors de son mariage avec Assi Rahbani, confiant la réalisation de sa robe à son amie Raïfa, bientôt habilleuse de toute la haute société de la région en plus de ses têtes couronnées et de ses grandes artistes, de Oum Koulthoum à Sabah.

Madame Salha (à l'extrême droite) et ses petites mains, entourant la princesse Leila lors de l'essayage de sa robe de mariée. Photo DR.

Delifer a habillé Feyrouz avant Jésus-Christ

Avec Jean-Pierre Delifer, également costumier de Baalbeck dans la foulée de Madame Salha dont le décès en 1967 à seulement 42 ans laisse un grand vide, la relation de Feyrouz se noue de manière organique. Ce créateur délicat, à la croisée de l’Orient et de l’Occident, irriguant l’un des merveilles de l’autre et inversement, perçoit avec sensibilité les attentes de Feyrouz. Il a tout de suite compris que son rôle auprès de la chanteuse dépasserait celui de simple styliste. Delifer excellait dans l’art de l’équilibre, proposant des tenues à la fois simples et lumineuses, qui semblaient danser avec la lumière des projecteurs tout en mettant en valeur la prestance naturelle de Feyrouz, ne proposant jamais de tenues décolletées, ou alors avec une « modestie ». Son travail reste un témoignage de la fusion entre la modernité occidentale et la majesté orientale, un peu à la manière d’un Yves Saint Laurent. Cet amoureux de Baalbeck, également habilleur de la troupe de danse Caracalla, avait ébauché avant sa mort un roman allégorique ayant pour décor la ville et ses monuments. Lors de la présentation d’un documentaire sur sa vie, Toute une vie en images, réalisé par le cinéaste Élie Adabachi et diffusé en 1999 au lendemain de sa mort, l’écrivain Jean-Claude Morin affirme notamment que «si ce roman est publié, ce qu’il faut souhaiter, on s’apercevra que la main qui écrit n’est pas indigne de celle qui façonnait les draperies avec autant de superbe que d’humilité ». Les drapés des statues romaines, telle est la source insoupçonnée de son inspiration, ainsi que la posture altière des femmes de la ville, portant sur leur tête de grands paniers de fruits multicolores et « laissant traîner dans la poussière de longs voiles bariolés».

Poussé à l’exil par la guerre, Delifer, dont l’art se traduit surtout dans la beauté de ses abayas, tentera une carrière parisienne en présentant un défilé au Grand Hôtel sous l’intitulé « Les Orientales », qui comportait des pièces masculines. Le succès critique n’est pas suivi de commandes, ce qui laisse au créateur une certaine amertume. Cette traversée du désert laisse à Delifer un goût amer, lui qui ne peut vivre sans créer, lui qui a commencé à coudre alors qu’il n’était encore qu’un enfant. Un jour, il est mis en contact avec le réalisateur Martin Scorsese par le truchement du cinéaste Maroun Bagdadi. Scorsese lui demande : « Comment habilleriez-vous le Christ ? » « Comme un homme qui devrait aller nu », répond Delifer qui a déjà exploré ce chemin vers le vêtement ultime. Il est engagé. C’est lui qui réalisera les costumes de La Dernière tentation du Christ (1988).

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Élie Saab, le fabricant de bonheur

Depuis l’ascension d’Élie Saab au firmament de la haute couture, il est pratiquement le seul couturier à qui Feyrouz fait confiance pour l’habiller lors des grands événements de sa vie. Une robe caftan, longue, noire, vaporeuse, brodée de motifs d’astres au fil d’or, telle est la robe Élie Saab devenue fétiche avec laquelle la diva a fait l’une de ses plus récentes apparitions publiques. C’est avec cette robe qu’elle a été photographiée, à son propre domicile d’ailleurs, en compagnie du président français Emmanuel Macron venu au chevet du Liban au lendemain de la double explosion au port de Beyrouth le 4 août 2020. En mars dernier, à l’occasion d’un podcast avec le journaliste égyptien Amr Adib, le couturier révélait sa fierté de voir l’une des plus grandes voix libanaises et arabes porter ses créations.

Une robe de scène de Feyrouz, velours bleu et pampilles blanches, par Madame Salha. Photo DR

« Je l'ai rencontrée il y a environ un an », avait alors confié Élie Saab, ajoutant : « C'est une personne qui ne se répète pas et ne ressemble à nulle autre... sa façon de vous accueillir, son rire, c'est quelqu’un qui est au-dessus de tout. Elle a toujours le même esprit, la même jeunesse. J’en donne pour preuve qu’elle choisit dans nos collections des modèles qui datent parfois de trente ans, preuve que le temps n’a pas de prise sur elle. » Si le contact du créateur avec Feyrouz est récent, cela fait plusieurs années que la diva s’habille avec des robes de ses collections. Elle pourrait même dire, comme Céline Dion lors du spectaculaire événement des « 1 001 saisons de Riyad » en hommage aux 45 années de métier d’Élie Saab : « Son talent m’a toujours accompagnée. » Le créateur libanais qui a subi, enfant, les souffrances de la guerre et de l’exode, ayant quitté Damour avec sa famille sous la menace d’un massacre pour se replier à Aïn el-Remmané, s’est lui aussi pris de passion pour la couture dès son plus jeune âge. Fasciné par une robe que portait sa mère quand elle sortait le soir au bras de son père à quelque occasion sociale, il restait persuadé que tant que les femmes porteraient de belles toilettes, il y aurait une chance de bonheur. Ses débuts à 15 ans, sa persévérance, son goût inné pour le glamour font désormais partie de sa légende. Élie Saab, avec Feyrouz pour lien indéfectible, s’inscrit dans la droite lignée de Madame Salha et prolonge dans ses ateliers un héritage ineffable, celui d’un Liban rêvé qui garderait sa capacité à donner du bonheur tant que des robes d’une incroyable beauté couvriraient ses épaules.

Comment habiller un être de lumière ? Comment vêtir un corps qui ne s’appartient plus depuis que se l’est approprié tout le Moyen-Orient, sinon la planète entière ? Jeter un tissu sur Feyrouz, même brodé de fils de lune, c’est prendre un double risque : blesser sa modestie, elle qui n’est jamais vraiment revenue de son enfance pauvre, dans une famille conservatrice...
commentaires (2)

Merci M. Saab pour nous faire rêver avec vos robes qui scintillent . C'est le rêve de chaque femme d"être magnifier et admirer pour son elegance! Merci surtout pour avoir porté le noom de notre pays à l'international...

DOUMET Rima

22 h 27, le 27 novembre 2024

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Commentaires (2)

  • Merci M. Saab pour nous faire rêver avec vos robes qui scintillent . C'est le rêve de chaque femme d"être magnifier et admirer pour son elegance! Merci surtout pour avoir porté le noom de notre pays à l'international...

    DOUMET Rima

    22 h 27, le 27 novembre 2024

  • Merci Fifi pour ce texte cousu d’or :)

    Noha Baz

    22 h 20, le 27 novembre 2024

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