
Bilal Raad. Photo X @BachirKhodr
La guerre n’était pas une chose nouvelle pour lui. Mais celle-ci n’était pas comme les autres : beaucoup plus violente, beaucoup plus destructrice. Il la détestait. Il disait d’elle qu’elle était « barbare » et « absurde ». Bilal Raad était le responsable de la direction générale de la Défense civile libanaise (DCL) pour le caza de Baalbeck-Hermel, dans l’est du Liban. Il avait 58 ans et était père d’une petite fille de deux ans qu’il ne verra pas grandir : il a été tué dans la frappe israélienne qui a ciblé jeudi 14 novembre au soir un centre de la Défense civile à Douris, dans la région de Baalbeck. Le bâtiment tout entier s’est effondré, ainsi que l’immeuble adjacent. Selon le gouverneur Bachir Khodr, 15 morts ont été pour l’heure identifiés parmi les vingt disparus. Les restes de cinq personnes ont été récupérés et des tests ADN doivent encore être effectués pour confirmer leurs identités. La direction générale de la Défense civile au sein du ministère de l’Intérieur a pour sa part fait état de 13 victimes identifiées jusqu’à présent, dont dix employés et trois volontaires d’autres centres de la région, précisant que des tests ADN sont en cours pour identifier des morceaux de corps déchiquetés.
La frappe de Douris est un coup particulièrement dur pour la région de Baalbeck-Hermel, quotidiennement soumise au déluge de feu israélien et en manque criant de moyens humanitaires pour y faire face. Or toutes les victimes de l’attaque font partie de la DCL. « Bilal et son équipe étaient vraiment très courageux, alors que ce sont pour la plupart des jeunes volontaires », indique Hikmat Chreif, un ami de longue date du défunt. « Il n’avait pas peur au moment du sauvetage, mais il s’inquiétait beaucoup en amont de ce qui pourrait arriver. Il me disait souvent : “Que Dieu nous protège, pourvu qu’il ne nous arrive rien !” » Alors que sa famille avait trouvé refuge à Deir el-Ahmar, localité chrétienne voisine où nombre de déplacés chiites de la région ont pu fuir, lui était resté à Baalbeck, sa ville natale, pour contribuer activement aux efforts de solidarité. « Il était tout le temps très occupé. La guerre l’accaparait. Il était très difficile de le joindre », raconte son frère Ihab Raad. « Le plus dur pour lui, c’était les enfants. Retirer les corps des plus jeunes de sous les décombres lui brisait le cœur, poursuit-il. Son premier réflexe était de les serrer dans ses bras. » D’après un témoignage sur le réseau X, Bilal Raad avait souligné la nécessité pour la Défense civile d’obtenir du matériel spécifique qui lui permette d’arriver plus vite aux vivants encore sous les gravats. « Je dois d’abord atteindre les vivants ; nous passons beaucoup de temps à chercher et à creuser sans savoir si nous parviendrons à une personne vivante ou morte », disait-il.
Depuis qu’Israël a lancé une vaste offensive sur le Liban, le 23 septembre dernier, les zones majoritairement chiites du pays – perçues comme des bastions du Hezbollah et dont la région de Baalbeck-Hermel fait partie – sont systématiquement bombardées par l’État hébreu. Si, au début du mois, l’armée israélienne avait lancé un nouvel appel à l’évacuation des habitants de la région, en particulier des localités de Baalbeck et de Douris, aucun avertissement n’a été communiqué jeudi. En près d’un mois et demi, au moins 192 secouristes et personnels de santé ont été tués lors des frappes aériennes israéliennes à travers le pays.
« Empreinte indélébile »
Vendredi matin, le gouverneur de Baalbek-Hermel a publié sur le réseau X un hommage à Bilal Raad. « J’avais l’habitude de t’appeler après chaque raid pour le suivi du déblaiement. Et à chaque fois, tu arrivais sur les lieux visés avant moi. Qui allons-nous appeler maintenant ? Qui retirera les décombres ? Qui éteindra les incendies qui brûlent dans les cœurs visés par l’agression ? » Le président de la municipalité de Baalbeck, Moustapha el-Chall, a quant à lui salué dans un communiqué la mémoire d’un homme « impulsif et amoureux de Baalbeck et de ses habitants ».
C’est en 1986 que Bilal Raad fait ses premiers pas dans le secourisme. « Après ses études à Baalbeck, il a rejoint la Défense civile comme volontaire et a fini par être embauché », raconte son frère. Il commence au bureau central, situé à Beyrouth, avant de retourner à Baalbeck, d’y gravir petit à petit les échelons et de devenir l’un des responsables régionaux. « C’était un homme extrêmement poli, très fiable, qui aimait les gens et qui était toujours sur le terrain. De jour comme de nuit », raconte Fayez Chekieh, le chef du centre régional de la Défense civile pour la Bekaa. « Il laisse une empreinte indélébile sur la Défense civile. On ne l’oubliera jamais », promet-il.
Je pleure la perte des libanais comme monsieur Bilal Raad. Je viens de lire son profile. Il était magnifique. Ça fait mal au cœur. A senseless war. RIP
18 h 46, le 17 novembre 2024