Ce billet est né grâce à la lecture de l’éditorial de M. Samrani.
L’éditorial parle du déni du Hezbollah et de ses partisans. Il est effectivement incompréhensible, au moins pour ceux qui sont en dehors de la sphère d’influence, de voir des personnes devant leur vie détruite, leur maison rasée, leur famille en lambeaux, devant l’abandon le plus flagrant de leur « père spirituel », de voir donc des personnes continuer dans cette voie-là. C’est sans doute, un comportement naturel du fanatisme : l’acceptation du suicide.
Mais cette sphère d’influence n’est pas restreinte exclusivement aux chiites, aux combattants, aux militants. Cette sphère d’influence atteint aussi les salons bourgeois ou populaires dans toutes les régions du Liban. Qu’on ne se fasse pas d’illusion.
Pour qu’il n’y ait pas de confusion : cette sphère d’influence a comme message principal et quasi unique que « seule la résistance armée contre Israël, soutenu par les USA », pourra sauver le Liban et les Libanais pour des siècles.
À l’heure où j’écris ce texte, on ne connaît pas en pratique ce que tous ces gens-là pensent vraiment, dans quelles proportions, et quelles seraient par exemple leurs intentions de vote aujourd’hui.
Mais le déni ne s’arrête pas à ce monde-là. Certains commentaires à l’éditorial ont évoqué le fait que « tout le Liban vit dans le déni depuis 40 ans » ou que « le déni, c’est parler en boucle de tout sauf de l’essentiel ». Je ne sais si ces personnes ont vécu les guerres au Liban. La théorie étant plus simple que la pratique, cela expliquerait la vision qu’ils ont sur le cours des choses.
N’empêche, le déni s’exprime de différentes manières, dont celle de vivre au-dessus de ses moyens dans un bateau qui coule (domestique et BMW pour des familles qui ne gagnent que des cacahuètes), ou celle de la mère supérieure qui fait chanter à ses élèves « raje3 3et3ammar Lebnan », à chaque kermesse et fête scolaire, probablement dans l’assurance d’une autre intervention divine.
Lors de la révolte d’automne 2019, oui, il y avait du monde dans les rues, oui, les gens étaient plein d’entrain, d’espoir, mais comment ne pas se poser des questions sur cette ambiance qui a fini par ne devenir que festive ici et là, en dehors d’un noyau restreint de vrais militants qui eux ont été jusqu’au bout, se faisant mitrailler, avec de vraies balles et des balles en caoutchouc, se faisant emprisonner, tabasser, humilier, torturer psychologiquement.
Le déni est de laisser faire les voyous, de mendier régulièrement (on attend la manne des touristes et de la diaspora qui va sauver le Liban), de croire que cette diaspora va revenir dans un pays où tout le monde sauf les barons et affiliés se font plumer. De parler, très bien parler d’ailleurs ; exprimer sa fierté, interdire aux gens de dire un mot de travers ; et être convaincu que cette posture de se faire respecter va créer un nouveau Liban.
On peut écrire et écrire des pages entières d’ailleurs de postures qui ne sont que de l’imposture.
Oui, c’est vrai que beaucoup de gens sont fatigués, éreintés, sans espoir et essaient de se concentrer sur l’essentiel qui les concernent, sauver les meubles : la famille, l’avenir des enfants. Mais ne peut-on pas consacrer aussi une partie de notre temps à préserver ce pays qui fut le jardin de notre enfance et de celle de nos enfants ?
Une chose essentielle à faire pour sortir de ce déni serait d’écrire l’histoire récente du Liban dont les années de guerre civile. Sans fard. L’objectif n’est pas de faire joli, d’éviter le « 3ayb ». Il faut bien que de l’énergie soit échangée pour arriver à un changement d’état du système !
Y a-t-il un seul lecteur de ce texte qui croit sincèrement que le désarmement du Hezbollah est suffisant pour construire un pays digne de ce nom ?
Paul BAZZAZ
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