Vendredi 1er octobre, l’État hébreu annonçait avoir capturé un « agent de haut rang du Hezbollah » à Batroun dans un raid maritime. Au 21 octobre, l’armée israélienne affirmait détenir dix combattants du mouvement . Quel est leur statut juridique et quelles règles peuvent encadrer leur détention ? Tom Dannenbaum, professeur agrégé de droit international à la Fletcher School of Law & Diplomacy de Medford, Massachusetts, fait le point pour L’Orient-Le Jour.
Les combattants du Hezbollah capturés par Israël peuvent-ils être considérés comme des prisonniers de guerre ?
Selon la définition de l’article 4 de la Troisième Convention de Genève de 1949 (ratifiée par l’ensemble des États reconnus par l’ONU), les prisonniers de guerre sont des membres capturés des forces armées ennemies (ou certaines catégories de personnes qui leur sont associées) lors d’un conflit entre États, détenus pendant toute la durée du conflit et devant être libérés et rapatriés à la fin des hostilités actives. Ils ne peuvent être poursuivis pour des actes de guerre conformes au droit international, mais, s’ils sont reconnus coupables de crimes de guerre par exemple, ils peuvent être détenus sur cette base, même après l’arrêt des hostilités.
Les membres de groupes armés irréguliers ne peuvent donc être qualifiés de prisonniers de guerre que s’ils « appartiennent » à l’État partie au conflit (le groupe doit se battre pour cet État et ce dernier doit accepter, même de manière tacite, que celui-ci se batte en son nom). D’autres critères s’ajoutent à cela, y compris le port d’armes au vu et au su de tous, le port d’un uniforme ou d’un autre signe distinctif, la conduite d’opérations militaires conformes au droit international humanitaire et une organisation structurée avec un commandant responsable pour ses subordonnés.
Plusieurs raisons expliquent que le statut de prisonniers de guerre ne va pas de soi pour les combattants du Hezbollah. Tout d’abord, il y a une incertitude juridique concernant la qualification du conflit, à savoir s’il s’agit bien d’un conflit armé international entre le Liban et Israël ou s’il s’agit d’un conflit armé non étatique entre le Hezbollah et Israël. Certains soutiennent que ce ne serait un conflit armé international que si les forces israéliennes et libanaises s’engageaient directement. Selon moi, il s’agit d’un conflit armé international, car Israël use de la force sur le territoire libanais sans le consentement du Liban.
La deuxième complexité réside dans le fait de savoir si le Hezbollah et le Liban considèrent que le rôle du premier est de lutter au nom du second, de sorte que les forces du Hezbollah soient considérées comme « appartenant » à l’État libanais. Il existe des raisons importantes de douter de ce dernier point, étant donné les structures autonomes de commandement, de contrôle, d’approvisionnement et de financement du groupe.
Au regard de ces deux critères, auxquels s’ajoute la conformité de ses opérations au droit international, il est peu probable que les forces armées du Hezbollah remplissent les conditions pour être considérées comme des prisonniers de guerre.
Quelles règles encadrent alors leur détention ?
Dans le cadre d’un conflit armé international, les individus ne pouvant être assimilés à des prisonniers de guerre ne peuvent être détenus que sur la base d’un impératif de sécurité identifié, qui doit pouvoir faire l’objet de recours. Ils doivent être relâchés au moment où l’impératif sécuritaire ne s’applique plus ou, si cela vient avant, à la fin des hostilités.
Dans le cadre d’un conflit armé non étatique, les règles sont moins développées mais les droits de l’homme s’appliqueraient et contraindraient généralement l’autorité de détention à ne pas dépasser les règles énoncées dans le cas d’un conflit armé international. En supposant qu’ils ne soient pas considérés comme des prisonniers de guerre au sens strict, les membres du Hezbollah détenus resteraient protégés par le droit international humanitaire. Plus particulièrement, l’article 4 de la Quatrième Convention de Genève de 1949 spécifie les droits des personnes autres que les prisonniers de guerre dans les conflits armés internationaux, et l’article 3 des quatre Conventions de Genève (appelé « Article commun 3 ») ceux des personnes détenues dans les conflits armés non internationaux. En tout cas, toute personne bénéficie toujours des protections minimales prévues à l’article 75 du protocole 1 additionnel aux Conventions de Genève adopté en 1977 : même si Israël n’en est pas partie, il est compris comme étant contraignant pour tous les États en vertu du droit international coutumier. Cet article interdit les violences à l’encontre de la vie ; de la santé ; du bien-être physique ou mental des personnes ; les atteintes à la dignité personnelle ; les prises d’otages ; les punitions collectives ou encore les menaces de ces violations.
Comme d’autres pays dans le monde, Israël a désigné le Hezbollah comme une organisation « terroriste ». Cette appellation a-t-elle un impact sur l’application de ces règles de détention ?
Les désignations nationales de certains acteurs comme entités « terroristes » n’ont aucune incidence sur les cadres juridiques internationaux applicables aux interactions avec ces acteurs, le droit international humanitaire ne reconnaissant pas la catégorie de « terroriste ». Les personnes ou entités désignées sous ce label en droit national sont protégées et régulées par le droit international de la même manière.
Depuis 2002, Israël considère que ces combattants relèvent de la « loi sur l’incarcération des combattants irréguliers ». Il y a une décennie, Amnesty International avait déjà exprimé des préoccupations sur des violations permises par cette législation et, le 19 octobre dernier, un captif du Hezbollah a été tué par un soldat réserviste israélien lors d’un interrogatoire, selon des médias israéliens. Existe-t-il des voies de recours internes contre l’application de ce texte , où à défaut, des poursuites peuvent-elles être engagées sur le plan international ?
Une législation peut être constitutionnellement valide en tant que loi nationale et être en violation du droit international. Et les recours au niveau interne pourraient en outre être limités voire inexistants pour corriger cela. Dans le cas où des États tiers sont au courant de violations du droit international humanitaire ou d’un tel risque, ils devraient user de leviers juridiques pour faire pression sur l’État en question pour qu’il se conforme à ses obligations. Et ils devraient agir de surcroît pour s’assurer qu’ils ne se rendent pas complices de telles violations...
Soumettre un détenu à un traitement cruel ou le tuer est considéré comme un crime de guerre, d’après les protections fondamentales applicables à tous les détenus prévues par les Conventions de Genève de 1949. Plus précisément, dans le cas du meurtre d’un détenu, la responsabilité du crime de guerre s’appliquerait dès lors que l’interrogateur savait que sa conduite pourrait causer sa mort ou a agi sans considérer ce risque. Et ceux qui auraient facilité une telle action pourraient aussi être tenus pour responsables.
Et dans les cas où les violations atteignent le niveau d’un crime international comme la torture ou le traitement cruel de détenus, des juridictions externes peuvent être invoquée. Il peut s’agir de cours étrangères nationales exerçant leur compétence universelle pour des crimes de guerre, ou de la Cour pénale internationale (CPI) lorsqu’elle peut se saisir de l’affaire. Pour le moment, elle pourrait le faire en Palestine mais pas au Liban, étant donné que le Liban n’a pas ratifié les statuts de la Cour (dont Israël n’est pas non plus partie, NDLR). Cela pourrait changer si Beyrouth émettait une déclaration acceptant la compétence de la CPI (y compris de manière rétroactive à partir de toute date postérieure au 1er juillet 2002) en vertu de l’article 12(3) du statut de la Cour.
Il y a bien Guantanamo et les geôles israéliennes, alors quelle naïveté d'invoquer le droit international !
12 h 20, le 12 novembre 2024