Un an déjà que cette double tragédie a commencé sans que personne ne sache ni quand ni comment cela finirait, le cycle de violences s’étendant bien au-delà de ce minuscule bout de terre qu’est devenue la bande de Gaza.
Agnès Levallois, sous la direction de laquelle ce travail a été mené, ainsi que les autres contributeurs – juristes, consultants indépendants, chercheurs et responsables d’ONG – ont mené des analyses d’une grande pertinence s’appuyant sur une riche documentation. Nous sommes bien loin des explications réductrices et binaires.
L’introduction d’Agnès Levallois explique avec justesse et sans concession une situation au demeurant bien vite « enterrée et considérée comme réglée ».
Au-delà de cette attaque du 7 octobre 2023, d’une ignominie sans précédent, il est évident que le drame qui se joue sous nos yeux, depuis ce jour funeste, dépasse de loin « la riposte et le droit de se défendre », issus du droit coutumier reconnu par l’article 51 de la Charte des Nations Unies. Comme le rappelle Rony Brauman dans sa préface, cette légitime défense « se rapporte à une agression étrangère et non à la violence issue d’une population occupée », comme c’est le cas à Gaza. Ce dernier replace d’emblée le sujet dans sa complexité.
Le Livre noir de Gaza est construit autour de sept chapitres complémentaires qui décryptent des rapports d’ONG, d’enquêtes et d’articles minutieusement sélectionnés, le tout complété par une chronologie rappelant l’enchaînement des événements.
Dans le cas présent, il s’agit avant tout d’une recontextualisation des faits ; il n’est pas erroné de parler d’« autopsie » minutieuse d’une tragédie au long cours, offrant au lecteur un éclairage indispensable pour appréhender ce qui se passe, tout en évitant de tomber dans le piège des habituels commentaires à chaud stériles et sans grande valeur ajoutée. Du « territoire en état de siège », aux « attaques contre le système de santé », en passant par « l’information empêchée », « les civils pris pour cible », « la disproportion des armes » et « la dévastation des lieux », autant de thèmes mettant en évidence une réalité bien plus ancienne que cette terrible attaque.
Toute la documentation collectée est scrupuleusement décortiquée et les différents chapitres introduits par les contributeurs permettent de rappeler des épisodes oubliés avec le temps. Les témoignages de Rami Abou Jamous qui, avant le 7 octobre, était le fixeur des journalistes français, ajoutent cette dimension humaine qui fait tant défaut dans ce qu’on peut lire ici et là.
Il n’est nullement question de nier l’horreur de l’attaque du 7 octobre, mais de dresser un constat, celui de l’effacement pur et simple de l’agenda international de la question palestinienne considérée comme réglée après la signature des Accords d’Abraham par un certain nombre d’États arabes.
Il n’est plus possible de passer sous silence cet autre drame qui se joue sous nos yeux ! Nous sommes tous d’accord sur le fait que la question palestinienne est revenue sur la scène internationale de la pire manière qu’il soit, mais il faut également admettre une chose, c’est bien l’existence d’un territoire et la survie de tout un peuple qui sont en jeu. Ce livre pose les bases d’un devoir de mémoire afin d’éviter que le conflit le plus long de l’histoire ne soit englouti à jamais dans les méandres de l’oubli.
« Hors norme » par le déchaînement de violence, « hors norme » en termes de traumatismes des deux côtés, comme le répète Agnès Levallois, c’est bien ainsi qu’il faut définir cette guerre. Même si des données chiffrées sont présentées et examinées, ce livre n’est en rien une juxtaposition de statistiques, ni une surenchère visant à nier les souffrances des uns au profit de celles des autres. La qualité de cet ouvrage repose autant sur la diversité des documents repris que sur l’éclairage apporté par chacun des spécialistes.
Un livre indispensable pour nous permettre de sortir enfin de l’émotionnel et d’appréhender la réalité de la guerre aussi impitoyable soit-elle. Au-delà d’interroger chacun et chacune d’entre nous, sur ce qui reste de notre part d’humanité avant que celle-ci ne soit perdue à jamais, on peut parler de tentative de réparation d’une injustice qui n’a que trop duré.
Le Livre noir de Gaza sous la direction d’Agnès Levallois, Seuil, 2024, 272 p.
l'Algérie le pays le plus palestinien du Monde, 113 x plus grand que l'entité. Pourquoi ne propose t'il pas d'accueillir des milliers de réfugiés ?
08 h 03, le 10 novembre 2024