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Les accrocs de la mer

Qu’il s’agisse de l’Ukraine, de Gaza ou du Liban, on s’est interminablement perdu en conjectures et dissertations sur ce fameux jour d’après que connaît tout champ de bataille une fois que les armes se sont tues. C’est d’une confrontation d’un autre type, électorale celle-là mais non moins féroce dans son genre, qu’émergeait l’Amérique à l’heure où ces lignes étaient écrites : et que l’on retenait encore son souffle en attendant de savoir qui, de Kamala Harris ou de Donald Trump, allait l’emporter. Mais n’est-ce pas ce même et récurrent thriller qu’offre, tous les quatre ans, la patrie du show-business, laquelle se trouve être également la première superpuissance mondiale ?

N’est-ce pas aussi mettre la charrue devant l’âne démocrate ou l’éléphant républicain, que de se préoccuper, toutes affaires cessantes, de l’hypothétique lendemain, plutôt que de se prémunir contre l’impérieux présent ? Et d’ailleurs parer au péril immédiat n’est-ce pas déjà se (pré)parer pour ce qui vient ensuite ? La question ne devrait même pas se poser, elle trouve déjà sa réponse dans l’ouragan de feu qui dévore actuellement notre pays. On ne sait, bien sûr, quelle promesse d’ordre nouveau, ou au contraire quelle menace de désordre tout aussi inédit apportera le verdict des urnes américaines. Il n’en reste pas moins que dans un cas comme dans l’autre, il faut que le Liban puisse encore figurer en tant qu’entité non seulement vivante, mais méritant de vivre encore, de perdurer. Un aussi vital objectif, aucun super-président américain, aucune résolution onusienne ne peuvent le garantir si le Liban, peuple et gouvernement, n’entreprend pas de se sauver lui-même avec l’énergie et la crédibilité requises. Si en dépit de toutes les tempêtes essuyées, ne demeure pas intacte, à l’ombre des institutions, cette singulière mosaïque de communautés qui est elle-même sa raison d’exister.

S’il faut une fois de plus rappeler cette criante évidence, c’est en raison de la vicieuse campagne de dénigrement qui a visé l’armée régulière, suite au raid de commandos israélien opéré vendredi dernier sur les côtes de Batroun, au cours duquel a été enlevé et emmené en captivité un membre présumé du Hezbollah. Il va de soi qu’en tout autre pays une aussi insolente incursion échappant à toute détection comme à la moindre velléité d’opposition aurait normalement fait scandale. Mais quel malheureux atome de normalité peut-il diable y avoir dans cette calamiteuse guerre initiée par une milice locale sur ordre de l’étranger et dont le pays tout entier paie en ce moment un prix exorbitant ? Injustifiées, mal venues et même dangereusement inopportunes sont, dès lors, les critiques adressées à la troupe par la presse et la propagande cybernétique du Hezbollah.

C’est au contraire la formation pro-iranienne que ses partisans et admirateurs même les plus convaincus seraient en droit de questionner, comme le fait d’ailleurs l’écrasante majorité des Libanais. Car l’ouverture d’un front de soutien à Gaza n’a en rien allégé l’infernale pression militaire sur Gaza, elle n’a fait que rediriger sur le Liban la furie ennemie. Le Hezbollah n’a pu tenir sa promesse de protéger ni la terre, ni la population, ni même ses propres dirigeants. Le Hezbollah a longtemps regardé de haut la troupe légale, jugée insuffisamment équipée et donc inapte à détenir le monopole de la défense nationale ; mais n’est-ce pas lui et ses alliés du régime de l’époque qui, par leur hostilité affichée envers l’Arabie saoudite, faisaient capoter un projet de fournitures militaires françaises d’un montant de plusieurs milliards de dollars ?

L’ennemi israélien n’en est pas à sa première opération style Batroun, ni sans doute à sa dernière ; plus d’un des dirigeants du Hezbollah, enlevés ou assassinés, en ont fait les frais ces dernières années. En remontant encore plus loin dans le passé, on serait toutefois bien inspiré de tirer les enseignements du raid de commandos d’avril 1973 visant, en plein Beyrouth, trois leaders palestiniens abattus dans leurs domiciles. Par les accusations de laxisme lancées contre l’armée et la grave crise politique qu’elles entraînaient, cet événement annonçait les premiers affrontements entre la troupe et les fedayin de l’OLP installés dans le pays : lesquels n’allaient pas tarder à dégénérer en une guerre civile longue de quinze ans.

Alors oui, et pour que jamais plus on n’y revienne, ne craignons pas de parler de corde dans la maison d’un pendu. Ce n’est certes pas la stabilité future du Liban qu’a à cœur l’ennemi israélien, quand il œuvre à refouler le Hezbollah au-delà du fleuve Litani, quand il jette un million et demi de déplacés sur les routes après avoir méthodiquement rasé leurs habitations. Mettre en cause l’armée, dernière institution encore debout, chercher à l’acculer au suicide, ce n’est pas un Liban martyrisé par air, par terre et finalement par mer. C’est seulement, c’est très précisément, pêcher en eaux troubles.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Qu’il s’agisse de l’Ukraine, de Gaza ou du Liban, on s’est interminablement perdu en conjectures et dissertations sur ce fameux jour d’après que connaît tout champ de bataille une fois que les armes se sont tues. C’est d’une confrontation d’un autre type, électorale celle-là mais non moins féroce dans son genre, qu’émergeait l’Amérique à l’heure où ces lignes...