C’est la stratégie du fou qui était la politique étrangère du président Richard Nixon face au bloc de l’Est. Les négociateurs américains faisaient croire aux Vietnamiens que le président Nixon, qui était très coléreux, avait des comportements imprévisibles et qu’il avait sous la main le bouton de l’arme nucléaire. Cette théorie du fou continue avec Kim Jong-un en Corée du Nord et avec Poutine en Russie qui brandit l’arme nucléaire. D’ailleurs, Netanyahu et son entourage appliquent la même stratégie, la stratégie du fou, et bientôt l’Iran le moment venu quand ce pays va posséder l’arme nucléaire. C’est un cynisme sans frein moral ou humain. Dans un monde en déséquilibre et une région en ébullition, les Libanais retiennent leur souffle et ne savent pas qui est le responsable capable de guider le pays. L’imaginaire libanais est en désarroi et dans un chaos contradictoire. Noyés dans les détails des événements de chaque instant, les bombardements, les morts, les destructions, les déracinés de leurs foyers, que peut-on faire ?
Les télévisions, la presse écrite pullulent de descriptifs de la situation avec une multitude de solutions par des commentateurs de tous bords, mais aucune n’est réalisable. C’est le fossé entre les dires et les moyens de mise en application des propositions. Les politiques, les militaires, les journalistes se bousculent pour décrire la situation tragique et chacun y va de ses solutions aléatoires. La réalité est qu’Israël est agresseur à Gaza et au Liban, l’Iran essaie de dominer la région par le Hezbollah, les houthis et les groupes armés en Irak. Une autre réalité est que les pays arabes font le gros dos et se contentent d’envoyer des aides alimentaires et médicales. Quant au plan politique, il n’y a aucune avancée. L’Amérique qui est capable d’agir semble laisser faire par Israël placé en première ligne avec la capacité d’agression tous azimuts. Nos politiques continuent leur danse macabre et ne peuvent déclarer la vérité au peuple qui reste dans l’ignorance. Ils cultivent la langue de bois, croyant tromper leur monde. Personne ne nous dit la vérité. Ils se plaignent du manque de moyens et ils attendent la manne des pays étrangers (comme l’a fait la France dernièrement par l’octroi d’une aide pour les déplacés et l’armée). Nos politiques se laissent pousser par les courants guerriers sans pouvoir en décider ou discuter l’option de la paix ou de la guerre. Il faut crier et crier fort par une diplomatie dynamique auprès des grandes puissances et sur la tribune des Nations unies que le Liban est pris en otage. Ils attendent les messagers qui leur dictent les volontés d’Israël. Mais que disent-ils ? Qui va alerter la diaspora libanaise qui est capable d’agir en faveur de l’apaisement et de l’aide au Liban. Avec leur manque d’imagination, leur manque de vision, les politiques continuent de faire du surplace. Pendant ce temps, le peuple compte les morts, assiste aux bombardements et à l’abomination des fuites loin de leur maison et de leurs biens. Les enfants pleurent la perte de leurs parents ou leur jouet déchiré ou perdu. Les enfants empilent la peur, la tristesse et les souvenirs malheureux qui encombrent et polluent leur inconscient. C’est une perversion de la mémoire où s’entassent les souvenirs dessus dessous ou bien se convertissent en un agir du vice et une vie à la dérive. C’est une souffrance qui va moduler la personnalité des enfants et dégrader tant les individus en particulier et la société en général. Notre peuple se sent maltraité, torturé, ce qui aboutit à légitimer la violence, l’exclusion, les agressions et les révoltes. Ceci nous fait glisser au niveau de la « banalité du mal » selon Hannah Arendt, et personne ne peut penser, réfléchir ou faire ranimer son humanité pour réagir et s’opposer. Notre pays s’enfonce, se déshumanise et finira par ressembler au Radeau de La Méduse immortalisé par le tableau de peinture de Théodore Géricault. C’est en 1816 qu’une expédition de la frégate La Méduse part de l’île d’Aix pour rétablir la domination coloniale française en Afrique, cette frégate va échouer près des côtes de Mauritanie. Un ensemble d’erreurs humaines et de mauvaises décisions par le capitaine font échouer la frégate, c’est le cas des décideurs du pays par leur mauvaise gestion. Après cet accident, 150 naufragés sont laissés sur un radeau de fortune sans provisions ni protections. Ils finissent par s’entre-tuer et s’entre-dévorer. Il ne reste que 15 survivants épuisés presque mourants. Ceci va inspirer le jeune peintre Géricault pour réaliser son tableau : le Radeau de La Méduse. Par les agissements de nos responsables, le Liban comme le radeau de La Méduse est en état de dérive, le peuple est à la limite du déchirement par manque de projet de relève et par manque d’État qui gouverne et qui décide de la paix ou de la guerre. Les responsables croient choisir les meilleures solutions après avoir essayé toutes les autres. Il y a comme un réveil de la bête en chacun de nous et qui arrive à gouverner notre intelligence. Il faut des responsables qui puissent parler de paix, qui arrivent à concilier les émotions et calmer les déviances. Cette paix est une volonté, une action, qui nécessite des hommes d’État et non des personnes manipulées et poussées par leurs émotions et par leur crispation identitaire. Le cœur de chacun d’entre nous renferme des sombres recoins où crépitent nos pensées haineuses, agressives, inhumaines et perverses. Ces guerres doivent s’arrêter pour aboutir à discuter de la paix. La guerre n’est pas un but en soi. Cette paix sera construite par un sursaut d’une équipe responsable, ayant l’humain comme valeur suprême. Des responsables débarrassés du poison de l’ignorance, de la haine et qui peuvent guider l’humain vers une spiritualité transcendante loin de l’obscurantisme émotionnel. Ceci nous éloignera de la stratégie du fou. Ceci évitera au Liban d’être le radeau qui dérive vers des abîmes sans retour. Des responsables sont là pour réorganiser l’État sur des bases rationnelles, réorganiser les pouvoirs et leur bon fonctionnement pour l’intérêt de tous, et faire rayonner le Liban et ses échanges avec le monde.
Adel AKL
Psychiatre, psychanalyste
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Paroles d’or dans un climat désertique
17 h 16, le 06 novembre 2024