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Politique - Décryptage

La petite phrase du patriarche et le plan israélien de zizanie interne

La petite phrase du patriarche maronite, Béchara Raï, dimanche a eu autant d’effet que les bombardements israéliens des derniers jours. En évoquant la nécessité de « libérer les écoles occupées par les déplacés du Sud et de la Békaa », Mgr Raï a suscité la colère de ces déplacés et des leaders religieux de la communauté chiite. Tout d’un coup, les pronostics sur la possibilité de voir une discorde interne se déclencher « le jour d’après » cette guerre ont semblé se concrétiser. Plusieurs cheikhs chiites, dont notamment Ahmad Kabalan et même certains autres sunnites de Dar el-Fatwa, ont aussitôt reproché au patriarche maronite d’avoir utilisé le terme « libérer », mettant ainsi sur le même plan les Israéliens qui bombardent sauvagement les localités du Sud et de la Békaa pour pousser les habitants à l’exode et ces mêmes habitants contraints à quitter leurs maisons et leurs biens pour vivre dans des conditions précaires dans des écoles transformées en centres d’accueil.

Face à l’ampleur du tollé, Bkerké s’est empressé de minimiser l’impact de ces propos. Des sources proches du siège patriarcal ont ainsi précisé que le cardinal Raï ne parle pas des déplacés en général, mais de certains en particulier qui se sont installés de force dans certaines écoles chrétiennes dont le nombre est d’ailleurs assez limité. C’est à ces écoles qu’il pensait en parlant de la nécessité de les libérer, vu qu’elles ont été investies sans l’aval des autorités qui en ont la charge. Celles-ci n’ont d’ailleurs pas eu leur mot à dire, et les écoles se sont ainsi transformées de facto en centres d’accueil, même si elles n’étaient pas prêtes à ce genre de mission. De plus, le terme « libérer » n’a pas été utilisé dans le sens qu’on lui connaît dans la langue arabe, autrement dit face à un occupant, mais plutôt dans le sens français lorsqu’on parle de « libérer une chambre d’hôtel » par exemple.

Toutefois, les explications des proches de Bkerké n’ont pas suffi à calmer la colère de certains déplacés ni celle de certains ulémas. Ce n’est pas tant à cause de la phrase en elle-même que parce qu’elle émane de la plus haute autorité religieuse maronite et qu’elle arrive à un moment où les habitants de nombreuses localités au Sud et dans la Békaa se retrouvent sans toit et sont contraints à solliciter de l’aide pour pouvoir survivre.

Dans ce contexte délicat, la phrase du patriarche maronite a pris une dimension qu’elle n’avait pas au départ, et les vieux démons des conflits confessionnels se sont réveillés, à un moment où le Liban a plus que jamais besoin de solidarité et d’unité. Pour la plupart des responsables, il est certain que ni le patriarche Raï ni les dignitaires religieux musulmans ne souhaitent provoquer des frictions confessionnelles à l’heure où le peuple libanais, dans son ensemble, traverse une crise grave dont on ne voit pas encore l’issue. Mais une maladresse peut provoquer un malaise et faire boule de neige dans un climat déjà suffisamment tendu. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les responsables religieux chrétiens et musulmans se sont empressés de chercher à limiter les dégâts en mettant en avant la grande solidarité des Libanais dans cette terrible crise.

C’est qu’au-delà d’une phrase ou d’un incident, le spectre de la discorde est toujours présent... Les dignitaires religieux sont conscients du fait qu’un des objectifs des Israéliens est de susciter des conflits internes au Liban et plus particulièrement de monter les communautés les unes contre les autres. Aujourd’hui, c’est surtout contre la communauté chiite qu’ils concentrent leurs efforts. Comment expliquer sinon l’acharnement des Israéliens à bombarder les régions à majorité chiite comme le Sud et la Békaa et même de temps à autre des villages chiites dans des régions à majorité chrétienne, sunnite et druze ? Comment expliquer aussi la destruction systématique des localités chiites de la Békaa, comme s’il s’agissait d’empêcher leurs habitants d’y retourner dans un proche avenir et de provoquer ainsi des frictions entre eux et les habitants des localités d’accueil ? Car si les Israéliens expliquent la destruction des localités du Sud par le fait qu’ils veulent créer à leur frontière une zone vide, pour éviter que les combattants du Hezbollah ne s’y installent sous prétexte qu’ils en sont originaires, ils ne prennent pas la peine d’expliquer leur acharnement sur les localités chiites de la Békaa. Pour les Libanais, la seule explication possible, c’est qu’ils veulent créer des confrontations entre les chiites et les autres communautés du pays, pour déchirer totalement le tissu social libanais.

Ce serait en quelque sorte « la guerre d’après », que planifient les Israéliens, indépendamment de leur invasion programmée du Sud et leur volonté d’y instaurer une zone tampon. Toutefois, jusqu’à présent, les responsables libanais ont fait preuve de vigilance et la plupart des chefs de file politiques ou confessionnels sont attentifs à éviter toute expression ou comportement qui pourraient monter les libanais les uns contre les autres. Certes, les divergences sont nombreuses et il y a même des incidents, mais ils sont rapidement circonscrits car toutes les parties semblent conscientes de la nécessité de ne pas faire le jeu israélien. De même, les services de sécurité et l’armée libanaise font de leur mieux pour éviter les débordements et pour faire respecter l’ordre public dans cette période de désordre général. En fait, les principaux responsables du pays sont convaincus que même si les Israéliens cherchent toujours à susciter des conflits en misant sur les susceptibilités confessionnelles, les Libanais eux, semblent avoir tiré les leçons du passé. Surtout que dans cette période de flou régional et international, le Liban n’est pas une priorité pour les dirigeants du monde.

La petite phrase du patriarche maronite, Béchara Raï, dimanche a eu autant d’effet que les bombardements israéliens des derniers jours. En évoquant la nécessité de « libérer les écoles occupées par les déplacés du Sud et de la Békaa », Mgr Raï a suscité la colère de ces déplacés et des leaders religieux de la communauté chiite. Tout d’un coup, les pronostics sur...
commentaires (12)

On sauvera ce pays lorsque 1) les religieux de tout bord ne s'occuperont que de religion 2) les libanais pourront décider de leur vie indépendamment de leur appartenance religieuse

N.A.

21 h 28, le 10 novembre 2024

Tous les commentaires

Commentaires (12)

  • On sauvera ce pays lorsque 1) les religieux de tout bord ne s'occuperont que de religion 2) les libanais pourront décider de leur vie indépendamment de leur appartenance religieuse

    N.A.

    21 h 28, le 10 novembre 2024

  • Que ceux qui ne sont pas satisfaits des paroles du Patriarche émigrent et quittent le pays. Tiens ça me rappelle quelqu’un …de mémoire Michel Aoun

    Lecteur excédé par la censure

    17 h 36, le 05 novembre 2024

  • Le mal libanais: les "hommes en soutane" qui se mêlent de politique.

    Alain Raymond

    14 h 52, le 05 novembre 2024

  • Qui a commencé ? Le patriarche a raison

    Eleni Caridopoulou

    13 h 16, le 05 novembre 2024

  • Pour toutes ces raisons évoquées dans l’article, il est temps que les religieux de tous bords arrêtent de se mêler de politique. Et d’une manière générale, la langue des « personnes trop bavards » a souvent tendance à fourcher ou à dire des inepties.

    Hitti arlette

    12 h 23, le 05 novembre 2024

  • on n'a pas besoin d'israël pour foutre la zizanie entre nous, on se débrouille très bien entre nous, à commencer par nos religieux de tous bords qui font le jeu de tous nos ennemis. le meilleur moyen de contrer les vélléités d'israël, iran et autres "bienfaiteurs" serait de montrer un front pacifique uni. on peut toujours réver...

    N.A.

    11 h 43, le 05 novembre 2024

  • Quand a la guerre civile, elle n'aura pas lieu. Pourquoi? Car votre article laisse supposer qu'il y aura un cessez le feu et que le HB aura encore des armes et qu'il a promis de se venger de la majorité du peuple Libanais par après. Moi je vous dis qu'il ne restera pas grand chose du HB car cette guerre ne finira qu'avec son annihilation militaire et s'il insiste a la continuer, il le sera politiquement aussi. Il est impératif de remettre la décision a l’état en votant démocratiquement pour un Président et former un gouvernement qui se chargera de négocier un cessez le feu avec Israël.

    Pierre Christo Hadjigeorgiou

    11 h 28, le 05 novembre 2024

  • Cet article ne représente pas l’opinion de tous les libanais mais celle biaisée d’un seul camp

    khattar josiane

    09 h 54, le 05 novembre 2024

  • De gaffe en gaffe , notre valeureux patriarche guerrier devrait voir s'évaporer son rêve d'être un jour promu cardinal !

    Chucri Abboud

    09 h 31, le 05 novembre 2024

  • les religieux...de tout bords...il faut les stopper....

    Elementaire

    08 h 13, le 05 novembre 2024

  • Monseigneur Raii n'est pas le Pape. Ses homélies du week-end sont loin de representer la volonté de la majorité des Libanais. Chaque mot émanant de Bkerke peut allumer un feu que personne ne souhaite. Qu'on se réveille un peu, surtout quand on est en pleine guerre..

    Raed Habib

    07 h 00, le 05 novembre 2024

  • La vérité dite tout haut source de zizanie? La traîtrise et la langue de bois garantie de paix civile ?

    LeRougeEtLeNoir

    03 h 46, le 05 novembre 2024

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